01.05.2024 Auteur: Bair Danzanov

Kazakhstan-Arménie : visite historique, médiation et corridors

la visite officielle du Président du Kazakhstan Kassym-Jomart Tokaïev en Arménie

Le 15 avril 2024 a eu lieu la visite officielle du Président du Kazakhstan Kassym-Jomart Tokaïev en Arménie. Les parties sont partenaires au sein d’un certain nombre d’organisations internationales : l’OTSC (malgré les turbulences liées à l’attitude des dirigeants arméniens à l’égard de cette organisation), l’EAEU, la CEI et l’OSCE. Le commerce bilatéral se développe de manière dynamique : le chiffre d’affaires entre le Kazakhstan et l’Arménie a augmenté de 23 %, passant de 43,1 millions de dollars à 53,1 millions de dollars en 2023.

Lors du briefing officiel sur les résultats de la réunion des présidents des deux pays, les thèmes suivants ont été exprimés par les dirigeants de l’Arménie et du Kazakhstan :

– Le développement du secteur des transports et de la logistique est l’un des domaines clés du renforcement de la coopération mutuellement bénéfique.

– Le Kazakhstan est prêt à porter le volume de ses exportations vers l’Arménie à 350 millions de dollars (c’est-à-dire à le multiplier au moins par 5 ou 6).

– Le Kazakhstan salue positivement les aspirations de l’Arménie à parvenir à la paix avec l’Azerbaïdjan et se tient prêt à entreprendre une « mission sur fond de bonne volonté ».

– L’Arménie est prête à déployer des efforts conjoints pour porter les relations arméno-kazakhes à un nouveau niveau.

De même, à la suite de la visite de Tokaïev, le président arménien Pachinian a reçu une invitation à effectuer une visite officielle à Astana. Les hauts représentants des deux pays ont signé 10 accords différents, allant de l’établissement de relations de jumelage entre les villes à des protocoles de coopération entre les différents ministères dans des domaines spécifiques.

Cette visite revêt une importance historique : depuis le début de l’escalade du conflit du Karabakh, c’est-à-dire depuis 2020, aucun dirigeant de l’un des États turcs ne s’était rendu en visite officielle à Erevan. Il s’agira de la première visite du chef du Kazakhstan à Erevan depuis 2010 dans le cadre des relations bilatérales directes entre l’Arménie et le Kazakhstan.

Cette visite ne saurait être qualifiée de purement ostentatoire ou formelle : le président du Kazakhstan ne l’a pas annulée, malgré le contexte difficile des inondations qui se sont produites dans plusieurs régions de son pays. Le programme a été réduit à un voyage d’une journée : il a néanmoins eu lieu malgré les conditions défavorables au déplacement du dirigeant à l’étranger, ce qui montre l’importance du « vecteur arménien » dans la stratégie de politique étrangère d’Astana.

En effet, le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan a connu une désescalade évidente au cours des dernières années. Néanmoins, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ne sont pas encore parvenus à un traité de paix définitif et à la reconnaissance mutuelle des frontières. Cela laisse présager une seconde escalade, dont ni le Kazakhstan ni les autres pays d’Asie centrale ne bénéficient actuellement. Le dirigeant du Kazakhstan place de grands espoirs dans les corridors de transit continentaux qui passeront par son pays, que ce soit dans le cadre de l’itinéraire nord (via la Russie), de l’itinéraire transcaspien ou de l’itinéraire sud. Le bien-être du second, dans lequel le Kazakhstan joue un rôle clé en tant que lien entre la Chine et la Transcaucasie avec un accès à l’Europe, dépend directement de relations bilatérales constructives et stables entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

Au-delà des avantages de transit qu’Astana compte tirer du règlement de la situation en Transcaucasie, la perspective d’exportations de pétrole vers le marché européen (via l’Azerbaïdjan et la Géorgie également, compte tenu de la proximité du gazoduc avec le territoire arménien) lui semble très attrayante. Selon l’auteur, ce sont ces deux opportunités que le Kazakhstan cherche à exploiter et qui font de lui le bénéficiaire évident du règlement de la crise du Karabakh ; ce sont elles qui ont fait de la république un médiateur important et prometteur entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.

Les perspectives de développement de la route transcaspienne ont été discutées il y a moins d’un mois lors d’une visite de Tokaïev à Bakou. Cette proximité chronologique entre les deux voyages du président du Kazakhstan mérite d’ailleurs d’être soulignée dans un contexte plus large. Le rôle direct de l’Arménie dans la réalisation des plans de transport et d’infrastructure du Kazakhstan est clairement indiqué dans le protocole de la réunion de la 10e commission intergouvernementale bilatérale qui a eu lieu le 3 avril 2024. Au cours de l’événement, le vice-premier ministre du Kazakhstan a notamment invité les entreprises arméniennes à participer activement aux activités du centre d’affaires et de négociations de Khorgos, qui leur offre la possibilité d’entrer sur le marché chinois. Rappelons que ce centre Khorgos est un centre international de coopération transfrontalière en matière de commerce, d’économie et d’investissement, situé à la frontière du Kazakhstan et de la RPC, sur l’une des principales lignes ferroviaires desservant l’itinéraire Chine-Europe. Parallèlement, l’aspiration de l’Arménie à devenir un acteur important des corridors continentaux est clairement exprimée dans le projet « Carrefour du monde » présenté par le premier ministre Pachinian lors d’un forum international à Tbilissi il y a six mois. Erevan ne désire pas rester à l’écart des projets et initiatives prometteurs, surtout dans le contexte des contacts intensifs de leurs participants extrarégionaux (Kazakhstan, Chine, Turquie) avec ses voisins, la Géorgie et l’Azerbaïdjan. Il convient de rappeler que le mois dernier, la Géorgie, la Turquie et l’Azerbaïdjan ont signé la « Déclaration de Bakou », dans laquelle ils ont fixé, entre autres, leur engagement en faveur du développement de la section trilatérale de la route internationale « Asie-Europe ». Un peu plus tôt, en 2023, le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan et la Géorgie ont élaboré un transporteur multimodal commun pour le corridor médian afin d’assurer le transit des marchandises le long d’un itinéraire similaire. Erevan se voit craindre à juste titre que tous les itinéraires prometteurs passent exclusivement par l’Azerbaïdjan et la Géorgie, tout en contournant l’Arménie. Pour éviter ce scénario défavorable, Erevan souhaite avant tout normaliser ses relations avec son voisin oriental.

 

Bair Danzanov, expert indépendant sur la Mongolie et l’Asie centrale, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »

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