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La Mongolie pour les États-Unis : un mythe officiel et une réalité dissimulée

Bair Danzanov, juillet 31

La Mongolie, dans les déclarations officielles des hauts représentants des États-Unis, apparaît presque toujours dans un contexte purement amical en tant que partenaire. Depuis l’époque du secrétaire d’État James Baker et de son expression « les États-Unis sont le troisième grand voisin de la Mongolie » et de Joe Biden qui, lors de sa visite dans ce pays en 2011 a qualifié la Mongolie d’« ami proche et de partenaire des États-Unis et d’un leader émergent dans le mouvement démocratique mondial », la rhétorique publique à l’égard de ce pays asiatique a fait preuve d’une constance et d’une cohérence enviables. A l’heure actuelle, la Mongolie est désignée par les Américains comme un « partenaire important dans l’ Indo-Pacifique ». Cependant, des témoignages rares mais révélateurs de l’attitude réelle des États-Unis envers la Mongolie créent une impression quelque peu différente, tout en dissipant la grandiloquence du partenariat démocratique, du marché libéral et de l’harmonie idéologique déclarés par les politiciens américains.

Une illustration frappante de la duplicité des États-Unis envers leurs partenaires démocratiques, dont la Mongolie est un exemple, sont les documents de correspondance diplomatique de l’ambassade américaine à Oulan-Bator (2006-2010), rendus publics en 2011 par Wikileaks.

Ces documents présentent un éventail assez large de problèmes relatifs aux relations bilatérales. Cependant, au centre se trouve le sujet le plus pertinent à l’époque concernant l’approbation de l’accord d’investissement entre la société anglo-australienne Rio Tinto et le gouvernement de Mongolie sur la mine d’Oyu Tolgoi.

Il ressort clairement des dépêches que l’ambassade américaine a agi en tant qu’intermédiaire soutenant les aspirations prédatrices de la multinationale en Mongolie. La pression exercée sur le gouvernement de la Mongolie par l’ambassade des États-Unis pour le forcer à signer l’accord d’investissement était un acte de stimulation des exportations des fabricants américains. En particulier, l’une des dépêches de février 2008 dit que « la participation active au secteur minier mongol des entreprises telles que Rio Tinto et Peabody Energy augmente le potentiel d’exportation à long terme des fabricants américains et favorise également la promotion des valeurs démocratiques et libérales du marché en Mongolie » (le 30 juillet 2009). La façon dont la pression sur le gouvernement d’un pays souverain facilite le deuxième point du programme reste un mystère.

Dans le même temps, les restrictions sur les activités des groupes d’entreprises occidentaux introduites par les autorités mongoles sont considérées dans la dépêche comme « des pertes subies par les exportateurs américains à hauteur de 200 millions de dollars ».

Le diktat économique des pays occidentaux s’est également manifesté sous d’autres formes. En particulier, l’ambassadeur britannique a indiqué que « si la Mongolie veut maintenir et développer des relations avec le Royaume-Uni, elle doit tout faire pour attirer les investissements britanniques ». Dans ce contexte, cela signifie que la Mongolie doit faire des concessions aux agents commerciaux occidentaux si elle veut avoir de bonnes relations avec l’Occident. On se souvient de la clause sur la promotion du marché libre et des valeurs démocratiques en Mongolie, où le marché libre privilégie tout spécialement certains partenaires bien précis. (février 2008)

Des hommes d’affaires des principaux pays de l’Occident (le Canada, le Royaume Uni, le Japon, les États-Unis, l’Australie et l’Allemagne), par l’intermédiaire des fonctionnaires de l’ambassade américaine, ont cherché à persuader le gouvernement mongol « de s’abstenir de participer activement aux affaires minière » – dans son propre pays. Qu’est-ce qu’une telle déclaration, sinon une ingérence dans les affaires d’un État souverain ? Et où est la « promotion de la démocratie », si l’implication du gouvernement sans l’économie du pays est déterminée par l’Ambassade des États-Unis et les entreprises étrangères, et non par le peuple ? (février 2008)

Les documents de l’ambassade notent « l’absence d’experts de classe internationale en Mongolie », dont Rio Tinto s’est empressée de profiter en sous-estimant le montant des investissements nécessaires au développement de la mine.

Par ailleurs, les documents de l’ambassade américaine permettent de détecter l’effort visant à faire passer la promotion agressive des entreprises occidentales pour une mesure nécessaire afin d’assurer l’équilibre de la Mongolie entre la Fédération de Russie et la Chine. En particulier, en février 2008, l’ambassade a averti la partie mongole que « sans les entreprises occidentales, la Mongolie devra inévitablement céder sa dépendance économique à l’un de ses deux voisins ».

Dans les documents de l’ambassade, une dissonance très remarquable est évidente – les éloges adressés à la Mongolie pour ses progrès dans la promotion de la démocratie s’accompagnent chez les fonctionnaires américains de regrets qu’imposer leur volonté à une Mongolie démocratique soit plus difficile que ce ne serait le cas en l’absence de la démocratie. Ainsi, la dépêche du 30 mars 2009 stipule que « la Mongolie est devenue une démocratie qui fonctionne, et les pouvoirs des parlementaires ont commencé à limiter la capacité des barons post-socialistes à prendre des décisions unilatérales ». Tout cela a été rapporté dans le contexte du fait qu’il est devenu presque impossible de faire avancer les intérêts économiques occidentaux par le biais de personnalités individuelles.

Le commentaire sur l’impossibilité de cibler des individus pour imposer les intérêts américains à la Mongolie, contenu dans la dernière dépêche, a été pris en compte quelques mois plus tard. L’une des dépêches de l’ambassade du 30 juillet 2009 indique que l’USAID, l’Agence des États-Unis pour le développement international, concentre actuellement son attention sur « la promotion du consensus national en Mongolie sur le développement des gisements miniers ». Il semblerait que seule l’USAID elle-même sache comment un agent étranger peut contribuer à parvenir à un consensus dans un pays, et surtout en informer, dans des messages cryptés, les représentants des entreprises étrangères ayant leurs propres intérêts dans ce consensus.

Ainsi, derrière les déclarations officielles pacifiques et amicales des représentants des États-Unis se cache un travail actif et cynique pour imposer les intérêts des géants commerciaux, financiers et industriels occidentaux à un petit pays émergent riche en ressources naturelles. La démocratie mongole, louée par les Américains dans des déclarations publiques, n’est plus considérée dans les documents confidentiels comme un acquis, mais comme un obstacle à l’avancement des intérêts rapaces de l’Occident en Mongolie. Chaque document officiel regorge de déclarations et de souhaits qui sapent directement non seulement les valeurs démocratiques et de libre marché, mais aussi les principes fondamentaux des relations internationales. Derrière les mots sur « le libre marché » se cachent des appels à créer des conditions exclusives pour le travail de telles ou telles entreprises, derrière les « valeurs démocratiques » — des tentatives systémiques d’imposer les intérêts des entreprises étrangères au peuple mongol. Derrière le « partenariat politique et l’équilibre » se cache l’intimidation de la Mongolie par l’influence économique russe et chinoise.

 

Bair Danzanov, expert indépendant sur la Mongolie, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook ».

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