13.09.2023 Auteur: Viktor Mikhin

L’Afrique remet les néocolonialistes français à leur place

L’Afrique remet les néocolonialistes français à leur place

Le coup d’État militaire au Gabon est un nouveau ennui pour la France et une nouvelle manifestation, certes pas la dernière, de l’effet domino en Afrique dirigé contre le néocolonialisme français. Tous les médias du monde entier rapportent que, portant un nouveau coup dur aux intérêts français, l’armée gabonaise a renversé le président Ali Bongo peu après que celui-ci ait été déclaré vainqueur d’une élection qui avait été fermement condamnée par l’opinion publique du pays comme étant frauduleuse, mensongère et contraire à la réalité.

Il convient de rappeler qu’au cours de ces trois dernières années, des officiers ont renversé les présidents du Burkina Faso, du Mali, de la Guinée, du Tchad, plus récemment du Niger et maintenant du Gabon. Et tous les six États africains ont un trait commun. Ils sont tous des anciennes colonies françaises et ont vu le sentiment anti-français monter en flèche, tandis que l’ancienne puissance coloniale est accusée d’utiliser sa présence militaire dans la région, en particulier au Sahel, pour alimenter l’instabilité.

Il est désormais absolument clair que la présence militaire française en Afrique décline lentement mais sûrement. Alors que la populations de ces pays, qui ont connu ou connaissent toujours une présence militaire française sur leur territoire, vivait et vit toujours dans la pauvreté, ne voyant pas les bénéfices financiers de l’utilisation, ou plus exactement du pillage par Paris, des ressources naturelles abondantes de leurs terres. Les liens étroits de la France avec les anciens présidents d’Afrique de l’Ouest (que Paris a installés comme ses marionnettes) indiquent également le pillage complet de ces riches ressources naturelles uniquement pour ses propres intérêts.

Il suffit de regarder la carte des coups d’État en Afrique. Le Mali a connu deux coups d’État, le premier en août 2020 et le second neuf mois plus tard. L’ancien président Ibrahim Boubacar Keita a été renversé par l’armée, qui lui a reproché la dégradation de la situation sécuritaire. Des accusations similaires ont été dirigées contre la France et son contingent militaire, qui ne savaient pas exactement ce qu’il faisait sur le territoire malien.

En septembre 2021, les forces spéciales guinéennes ont renversé le président Alpha Condé. En avril 2021, l’armée du Tchad a pris le pouvoir après que le président Idriss Déby avait été tué sur le champ de bataille alors qu’il rendait visite aux troupes combattant des rebelles. En janvier 2022, l’armée du Burkina Faso a renversé le président Roche Kaboré, l’accusant ainsi que la France de ne rien faire pour lutter contre le terrorisme et le pillage des ressources naturelles au seul profit de Paris. Fin juillet dernier, l’armée du Niger a renversé le président Mohamed Bazoum, l’accusant de nouer des liens plus étroits avec la France alors que la situation sécuritaire du pays se détériorait.

Et voilà que les officiers gabonais, dirigés par le général Brice Nguema, viennent de prendre le pouvoir. Les policiers ont placé l’ancien président Ali bin Bongo Ondimba en résidence surveillée et Nguema a été nommé chef de l’État, mettant ainsi fin aux 56 (!) années de règne de la famille Bongo. A la suite du coup d’État, des foules ont envahi les rues de la capitale, Libreville pour soutenir les actions des militaires, que les gens considèrent comme correspondant aux intérêt du peuple tout entier, et non d’un groupuscule de politiciens corrompus. Rappelons qu’environ un tiers des 2,3 millions de Gabonais vit en dessous du seuil de pauvreté.

Dans un discours télévisé, Nguema a déclaré que l’armée agirait « rapidement mais fermement » pour revenir à un régime civil, mais que cela permettrait d’éviter des élections qui « répéteraient les mêmes erreurs » en maintenant au pouvoir les mêmes personnes et les mêmes hommes politiques. « Agir le plus rapidement possible ne signifie pas organiser des élections extraordinaires où nous nous retrouverons avec les mêmes erreurs », a-t-il déclaré.

Bongo a été élu pour la première fois en 2009, succédant à son défunt père, qui avait pris le pouvoir en 1967. Les opposants disent que la famille au pouvoir n’a pas fait grand-chose pour partager les richesses pétrolières et minières du Gabon. Selon une enquête menée en 2020 par le Organized Crime and Corruption Reporting Project (Projet de signalement du crime organisé et de la corruption, OCCRP), un réseau mondial de journalistes d’investigation, la famille possède des voitures de luxe et des biens immobiliers coûteux en France et aux États-Unis, souvent payés en espèces, tout naturellement détournées, au détriment du peuple gabonais. Les leaders militaires ont ordonné l’arrestation de l’un des fils de Bongo, Nureddin Bongo Valentin, et de plusieurs membres du cabinet de Bongo pour des accusations allant du détournement de fonds au trafic de drogue.

La chaîne de télévision publique Gabon 24 a rapporté que des sacs remplis d’argent liquide, emballés dans du plastique, avaient été confisqués au domicile de divers fonctionnaires. Des images télévisées montrent une perquisition au domicile de l’ancien chef du cabinet des ministres. Faisant son discours à côté de Bongo Valentin, le nouveau chef militaire a déclaré à la chaîne de télévision que l’argent faisait partie du fonds électoral de Bongo. C’est cet argent, volé au peuple, comme le rapportent les dirigeants militaires, qui a été utilisé dans la campagne électorale corrompue visant à faire élire des hommes politiques qui arrangeaient Paris.

Les nouvelles en provenance de ce pays africain, selon les médias français et mondiaux, sont considérées comme un nouvel ennui pour la France au milieu des coups d’État militaires dans d’autres pays de la région où Paris avait des liens militaires soutenues par leurs anciens présidents. Des centaines de militaires français sont stationnés en permanence au Gabon, notamment dans une base militaire de la capitale Libreville. Paris possède également de nombreux intérêts économiques liés aux secteurs minier et pétrolier du Gabon.

Entre-temps, les tensions atteignent leur paroxysme au Niger au milieu de rassemblements massifs anti-français alors que les relations entre le nouveau gouvernement militaire du pays et l’ancienne puissance coloniale se détériorent. Une organisation créée après le coup d’État, « Front patriotique pour la souveraineté du Niger » a lancé des appels publics pour exiger que l’armée adopte une ligne dure à l’égard de la France. Des manifestations organisées par le groupe M62 ont lieu dans le centre de Niamey pour réclamer le retrait du contingent français. « Nous ne voulons pas de ces gens (des troupes françaises) ici, nous sommes prêts à mourir pour les mettre à la porte », a déclaré un manifestant. La France dispose d’environ 1500 soldats au Niger, dont beaucoup sont stationnés dans une base aérienne proche de la capitale.

Après le coup d’État militaire, les organisations civiles du Niger ont appelé à une marche généralisée vers la base française, qui devrait être suivi d’un sit-in jusqu’au départ des troupes françaises. Selon la lettre, dont les agences de presse ont pris connaissance, les nouveaux dirigeants sont entrés dans une lutte politique avec Paris, ont privé l’ambassadeur de la France de son immunité diplomatique et ont ordonné à la police de l’expulser.  Les nouvelles autorités ont donné 48 heures à l’ambassadeur français Sylvain Itté pour quitter le sol nigérian, dont il avait été auparavant le maître absolu et où, avec les autorités corrompues précédentes, il avait gouverné dans l’intérêt de la France.

L’ambassadeur « ne bénéficie plus des privilèges et immunités liés à son statut de membre du personnel diplomatique de l’ambassade de la France », indique la lettre adressée au ministère français des Affaires étrangères. Naturellement, Paris, qui avait dirigé ce pays et d’autres États africains pendant de nombreuses décennies, n’a pas apprécié cette demande et l’Élysée l’a rejetée, affirmant que les dirigeants militaires n’avaient pas le droit de donner cet ordre. En d’autres termes, Macron et ses acolytes, qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, tentent de ne pas remarquer les nouvelles réalités et s’efforcent de continuer à gouverner ce pays africain.

Les relations du pays avec la France se sont fortement détériorées depuis le coup d’État de juillet, car Paris continue de soutenir le président déchu Mohamed Bazoum et refuse de reconnaître les nouveaux dirigeants du Niger. Le président français Emmanuel Macron n’a eu d’autre choix que de faire contre mauvaise fortune bon cœur et de déclarer qu’il communique quotidiennement avec son ancien allié Bazoum. « Je parle chaque jour avec le président Bazoum. Nous le soutenons. Nous ne reconnaissons pas ceux qui ont procédé à un putsch. Les décisions que nous prendrons, quelles qu’elles soient, seront basées sur l’accord avec Bazoum », a déclaré le président français. En fait, que reste-t-il d’autre au malchanceux Macron, dont la politique en Afrique craque sur toutes les « coutures politiques » ?

Le gouvernement militaire du Niger, qui a pris le pouvoir le 26 juillet, a accusé à juste titre Macron d’utiliser une rhétorique schismatique dans ses commentaires sur Bazoum et de chercher à cimenter les relations néocoloniales de la France avec son ancienne colonie. Dans le même temps, les nouveaux dirigeants accusent la France de fomenter l’instabilité sur leur territoire. Ils accusent également Paris de profiter de sa présence militaire au Niger pour combattre les soi-disant rebelles comme prétexte pour garantir l’accès aux riches réserves d’uranium et de pétrole du pays.

Le 3 août dernier, les nouveaux dirigeants du Niger ont dénoncé tous les accords militaires signés entre Bazoum et la France. Immédiatement, le représentant officiel des forces armées françaises, le colonel Pierre Gaudillière, a commencé à proférer des menaces disant que « les forces armées françaises sont prêtes à répondre à toute flambée de tensions qui pourrait endommager les installations diplomatiques et militaires françaises au Niger ». La question se pose de savoir qui a réellement appelé les troupes françaises au Niger, qui y ont été stationnées, et plus tard des installations militaires ont été créées grâce à un accord avec la marionnette française de Bazoum.

L’Algérie, voisine influente située au nord du Niger, a mené des négociations avec les dirigeants ouest-africains pour tenter d’éviter toute intervention militaire au Niger et a proposé une période de transition de six mois. Face aux menaces d’intervention militaire au Niger, les États du Mali et du Burkina Faso se sont empressés d’offrir leur soutien, affirmant que toute opération serait considérée comme une « déclaration de guerre » contre eux également. Les trois pays ont récemment condamné publiquement et avec véhémence la France pour attiser l’instabilité régionale, ce qui a suscité la compréhension dans d’autres pays africains. Selon un communiqué gouvernemental émanant de Ouagadougou, le Burkina Faso a approuvé un projet de loi autorisant l’envoi de troupes au Niger. Les nouveaux leaders du Niger affirment qu’ils ne s’opposent pas au développement démocratique du pays, mais qu’ils demandent seulement une période de transition de trois ans pour rétablir l’ordre constitutionnel.

Le président du Nigéria Bola Tinubu, chef de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), a offert aux nouveaux dirigeants du Niger une transition de neuf mois vers la démocratie après le coup d’État de juillet. Le fait marquant est que c’est pour la première fois qu’un responsable de la CEDEAO ait évoqué publiquement une éventuelle période de transition pour les dirigeants militaires du Niger. Bien entendu, la France et les États-Unis ont exigé le retour rapide de Bazoum à la présidence.

Les événements récents en Afrique montrent que la population africaine des colonies françaises ne veut pas supporter la domination néocoloniale de Paris dans ses pays. Dans les relations internationales actuelles, l’idée d’un monde multipolaire fait son chemin de plus en plus clairement et les puissants BRICS sont bien là, sur l’aide desquels non seulement les Africains, mais aussi les autres peuples du monde peuvent compter dans leur lutte contre la politique néocoloniale dépassée de l’Occident. Nous vivons au XXIe siècle, messieurs les occidentaux, et non au XXe, et il est temps de mettre la politique néocoloniale vermoulue de l’Occident au rebut de l’histoire. Malheureusement, messieurs les occidentaux ne comprennent pas les vents de l’actualité et veulent malgré tout exploiter et profiter des richesses des autres peuples du monde. Cela ne marchera pas !

 

Viktor Mikhine, membre correspondant de l’Académie russe des sciences naturelles, spécialement pour la revue en ligne « New Eastern Outlook ».

Articles Liés