28.06.2023 Auteur: Madi Khalis Maalouf

L’Occident place la Turquie dans un « étau économique »

La victoire d’Erdogan aux élections mène au renforcement de la pression de l’Occident sur la république de Turquie.

Alors même que le monde occidental dans son ensemble prévoyait la défaite de Recep Tayyip Erdogan aux élections présidentielles de mai 2023, il a réussi à remporté cette victoire difficile. Après son investiture le 3 juin, le politicien turque a commencé un nouveau mandat. Au cours de la période à venir, Erdogan et son gouvernement seront confrontés à un certain nombre de défis.

Le vecteur économique devrait être au cœur de l’agenda du président réélu. Le tremblement de terre de début février et ses conséquences dévastatrices ont fortement ébranlé la position déjà précaire du pays. Entre les dégâts colossaux causés par la catastrophe et l’affaiblissement du tourisme, couplés à l’inflation galopante provoquée par la politique de prêts d’Erdogan, l’économie turque se trouve dans une situation peu enviable.

Dans ce contexte, le président turc semble avoir besoin de tirer le meilleur parti de la situation géopolitique de la Turquie et d’orienter ainsi la trajectoire d’Ankara sur la scène internationale, tout en neutralisant les désavantages économiques. Si l’on considère la question sous cet angle, il est clair que la Turquie continuera à être activement impliquée dans les dossiers ukrainien et syrien, recevant des dividendes politiques et financiers de la part de la Russie et de l’Occident.

Dans ses relations avec Damas, sur fond de réconciliation du monde arabe avec la République arabe syrienne, Ankara peut s’appuyer sur le facteur kurde et la question des migrants syriens pour rétablir les liens avec son voisin. Pour le gouvernement d’Assad, le séjour prolongé de 3,5 millions de ses propres citoyens sur le territoire turc permet un calme tout relatif et une certaine stabilité à l’intérieur du pays. Dans ces conditions, un dégel des relations entre les dirigeants de la Syrie et de la Turquie est inévitable. Assad et Erdogan s’en serviront pour réduire l’influence de l’Iran en Syrie.

La médiation de la Turquie dans la crise ukrainienne permettra également à Ankara de renforcer ses relations avec les capitales occidentales et Moscou. Cependant, tout n’est pas si simple. Maintenir un équilibre diplomatique entre l’Est et l’Ouest dans les réalités actuelles est une tâche de plus en plus difficile. D’une part, il est nécessaire de renforcer les liens avec la Fédération de Russie afin de relancer l’économie nationale grâce aux mégaprojets de plate-forme gazière et de la centrale nucléaire d’Akkuyu, qui représentent un énorme afflux d’investissements russes. En outre, Ankara et Moscou coordonnent activement leurs efforts sur les dossiers syrien et ukrainien, ce dernier générant des revenus distincts pour la Turquie dans le cadre de l’obtention de l’ « accord sur les céréales ».  D’autres part, il est impossible d’empêcher indéfiniment la Suède et la Finlande d’adhérer à l’OTAN.

Étant donné que la Suède a déjà rempli tous ses engagements pour rejoindre l’alliance, la position d’Erdogan est perçue comme hostile par l’Occident, car elle menace directement la sécurité européenne. Par conséquent, l’entêtement du leader de la Turquie conduira inévitablement à une confrontation entre Ankara et non seulement Washington et Bruxelles, mais aussi avec l’ensemble du bloc de l’OTAN. Il ne s’agit pas d’un affrontement militaire, mais dans le même temps, l’Occident est susceptible d’accroître la pression sur la Turquie dans un secteur financier sensible.

Ici, tout d’abord, l’application des sanctions anti-russes et les tentatives de les contourner seront renforcées, ce qui conduira certainement à la dégradation des relations au sein de l’union douanière entre la Turquie et l’UE, qui rapportait à Ankara des bénéfices substantiels en réexportant des marchandises européennes vers des pays tiers, y compris la Russie. L’Occident dispose également d’un moyen de pression sous la forme d’accusations de violations des droits de l’homme par Ankara, d’une augmentation des droits de douane et de transit, et d’un gel des livraisons d’armes, de composants modernes et d’équipements de haute technologie.

Malgré les sympathies personnelles et professionnelles d’Erdogan pour son homologue russe Poutine, le dirigeant turc reste pris dans un « étau économique » par Washington et Bruxelles. L’aggravation de la situation financière de la Turquie entraînera sans aucun doute un regain d’activité anti-régime de la part de l’opposition parrainée par l’OTAN depuis les capitales de l’alliance. Comme l’a montré la dernière élection présidentielle, Erdogan, pour son indépendance tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’alliance, risque fort de perdre son siège à l’avenir.

 

Madi Halis Maalouf, commentateur politique, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outloook »

Articles Liés