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Dans la jungle de la politique africaine de la France. Deuxième partie : La zone du Sahel – l’« Afghanistan français » d’Emmanuel Macron

Viktor Goncharov, août 20 2024

L'échec français en Afrique

Résumant les résultats des échecs français en Afrique, et au Mali en particulier, The National Interest a conclu que « l’ère de la domination diplomatique française sur le continent, qui a duré plus de 100 ans, a pris fin, et les prétentions de Paris à être l’un des principaux acteurs géopolitiques et un partenaire privilégié des pays africains ont été sérieusement ébranlées ».  

Les raisons de ces échecs français en Afrique, comme le note l’Institut d’études de sécurité de l’UE, résident dans le fait que Paris, dans son désir effréné de jouer un rôle de premier plan dans la zone du Sahel, a cessé de prendre en compte les graves changements dans la région, associés à la montée sans précédent du sentiment anti-français, ainsi que les changements géopolitiques dans un monde multipolaire.

 

C’est ainsi que lors d’une des manifestations près de la base militaire de Niamey, la capitale du Niger, à laquelle a assisté un journaliste du New York Times, des manifestants réclamant le retrait des troupes françaises ont porté un cercueil destiné au président français et ont brandi des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « mort à la France ». Dans ce contexte, selon le journal, le refus d’Emmanuel Macron de retirer ses troupes du pays et de rappeler son ambassadeur semble « intenable et inacceptable » pour la plupart des analystes et même des diplomates européens et français.

Le journal saoudien Asharq al-Awsat, évaluant les rebondissements de la confrontation entre le Niger et la France, voit dans ces actions de Paris « l’absence de toute logique et une perte totale du sens de la réalité », ce qui pourrait conduire à de nouveaux coups d’État militaires dans les anciennes colonies françaises, renforcer la position des terroristes et augmenter le flux migratoire africain vers l’Europe, principalement au détriment des intérêts de la France elle-même. Les événements qui ont suivi au Gabon et au Sénégal ont confirmé la justesse des conclusions des analystes saoudiens.

Nous assistons à un changement géopolitique majeur

 

Selon The Middle East Eye, le sentiment anti-français n’était pas moins intense au Mali. Il est devenu si aigu qu’une partie de la population locale, après dix ans de lutte infructueuse des troupes françaises contre les terroristes sur son territoire, a commencé à considérer la France non plus comme une force de libération, mais comme une force d’occupation.

En fin de compte, la chaîne de télévision française France 24 a été contrainte d’admettre que les politiques du président Em. Macron avait amené le pays à un point tel que ses anciennes colonies, exprimant leur mécontentement à l’égard de la présence militaire française, commençaient à donner à Paris des « coups de pied au ventre ». Après la RCA, le Mali et le Burkina Faso, Paris a également reçu cet honneur au Niger, qui, selon Anthony Blinken, était un « modèle de démocratie » en Afrique.

Le Middle East Monitor, publié à Londres sur les fonds du Qatar, avec lequel la France entretient des relations privilégiées, note également que les événements au Niger sont une autre preuve forte de la croissance du sentiment anti-français et du rejet de l’héritage colonial français par la population africaine.

Ce que la politique française d’« interventionnisme » a entraîné

 

À cet égard, le journal britannique The Economist, par exemple, citant des sondages d’opinion sur la réputation de la France en Côte d’Ivoire, un bastion de l’influence française en Afrique, note que moins de la moitié des Ivoiriens font confiance à l’ancienne métropole. 65 % d’entre eux pensent qu’elle pourrait les rallier à sa cause si elle retirait toutes ses troupes d’Afrique de l’Ouest.

Selon la publication américaine Truthout, une politique « interventionniste » est au cœur des échecs de Paris en Afrique. Pendant les décennies qui ont suivi l’indépendance des pays africains, Paris a continué à intervenir dans leurs affaires, obtenant les ressources dont elle avait besoin à des prix avantageux en échange de son soutien à leurs dirigeants corrompus, et dissuadant d’autres acteurs étrangers d’empiéter sur ses intérêts.

Cela a conduit à une répression accrue de l’opposition, à des conflits locaux localisés et à des coups d’État, modifiant radicalement le paysage politique de la zone sahélienne dans le sens d’une déstabilisation.

En fin de compte, conclut Truthout, l’opération militaire Barkhan a eu un effet contre-productif, donnant du poids à la propagande djihadiste sur la nocivité de la présence occidentale et générant un sentiment anti-français dans les cercles locaux, lié en partie à l’incapacité de Paris, après une décennie de lutte contre le terrorisme, à mettre fin à ce fléau en Afrique.

Les politiques des derniers présidents français ont ouvert la boîte de Pandore

 

La dernière série de coups d’État au Sahel, note The Gulf News, un journal basé à Dubaï, a révélé la profondeur des désaccords de la région avec la France.

Elles ont été particulièrement aiguës dans les relations de Paris avec le Niger, ce qui permet d’affirmer que « nous assistons aujourd’hui à un grave changement géopolitique qui aura des conséquences considérables non seulement pour le continent, mais aussi au-delà de ses frontières ».

La politique africaine de la France a été critiquée non seulement par la communauté des experts des pays africains et des think tanks mondiaux, mais aussi par les représentants officiels de l’Union européenne. Ainsi, lors de l’aggravation de la crise libyenne, alors qu’une énorme vague de réfugiés africains touchait l’Europe, le vice-premier ministre et ministre du développement économique italien Luigi Di Maio a accusé en janvier 2019 la France de continuer à coloniser l’Afrique et a demandé à l’UE d’imposer des sanctions à son encontre.

Et son homologue, l’ancien vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur Matteo Salvini, a déclaré que la France siphonnait les richesses naturelles de l’Afrique. Selon lui, l’afflux de migrants illégaux en provenance de Libye est dû au fait que la France, par sa politique coloniale, a créé des conditions insupportables pour la survie des habitants de l’Afrique francophone et ne contribue pas à son développement économique.

L’actuel Premier ministre italien, Giorgia Meloni, partage ce point de vue : commentant les origines du coup d’État militaire au Burkina Faso, elle a déclaré qu’il s’agissait d’une réaction attendue à la profonde crise sociopolitique qui a englouti ce pays, dont la population, bien qu’elle soit le quatrième producteur d’or du continent, se trouve dans une grande pauvreté parce que la plupart des recettes d’exportation du pays sont déposées dans des banques françaises.

En bref, cette politique des trois derniers présidents français a ouvert la boîte de Pandore à la propagation des activités terroristes au Sahel, ce qui a conduit aux échecs humiliants de la France dans la région aujourd’hui.

Résumant la présence militaire française dans la zone du Sahel, l’Institute for Security Studies d’Afrique du Sud affirme que « la stratégie de Paris de ces dernières années dans cette sous-région a subi une défaite cuisante ». Les espoirs du président français de créer une coalition militaire efficace de pays africains et européens pour lutter contre le djihadisme ont échoué, les premiers n’ayant pas les ressources financières et autres nécessaires, et les seconds ayant évité d’y participer à grande échelle en raison de l’absence de perspectives d’une solution à la française au problème.

En France même, l’intervention militaire dans la zone sahélienne, qualifiée dans les milieux locaux d’« Afghanistan français », a commencé à perdre le soutien de l’opinion publique. Les sondages d’opinion montrent que, dès la mi-2021, 51 % des Français s’opposent à sa poursuite.

Outre la perte de prestige politique, son coût est estimé à un milliard d’euros par an. De manière caractéristique, lors de la campagne présidentielle de 2022, les rivaux d’Em. Macron l’ont accusé que sa politique en Afrique avait conduit à l’« humiliation » de la France au Mali et à un « grave préjudice moral » pour son prestige international.

Em. Macron lui-même, comme le note la publication américaine POLITICO, tente de présenter l’expulsion effective de la France de la zone du Sahel non pas comme son échec personnel, mais comme un fiasco de sa coalition militaire occidentale dans la région, à la suite duquel, selon Le Temps, se référant aux évaluations de la communauté des experts, « les temps où Paris pouvait dicter sa volonté aux dirigeants africains sont irrévocablement révolus, et la stratégie elle-même, qui est basée sur l’intervention militaire dans les affaires intérieures de ses partenaires, est devenue un “anachronisme historique” ».

L’échec de M. Macron dans la zone du Sahel, poursuit POLITICO, notamment « l’expulsion de la France du Niger », a encore une fois très clairement mis en évidence la nécessité pour Paris de revoir d’urgence ses relations avec les pays africains, principalement en réduisant sa présence militaire sur le continent, qui, selon les experts de l’Université Queen Mary de Londres, « est devenue contre-productive, et si Paris veut la garder, elle doit être intégrée dans les structures de l’UE, ce qui permettra à la France de se libérer de l’étiquette de gendarme de l’Afrique ».

 

Viktor GONCHAROV, expert africain, docteur en économie, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »

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