07.03.2024 Auteur: Mohamed Lamine KABA

Le terrorisme et ses ramifications en Afrique de l’Ouest : un regard panoramique sur un fléau transnational

Le terrorisme et ses ramifications en Afrique de l’Ouest

Depuis la chute de Mouammar Kadhafi le 20 octobre 2011, le terrorisme s’est répandu sur le continent noir, entraînant des répercussions négatives en Afrique de l’Ouest. Ces conséquences ont conduit à la multiplication des points chauds dans la région, entraînant la montée en puissance de deux grandes plateformes terroristes, à savoir Al-Qaïda et l’État islamique (organisations terroristes internationales interdites en Russie) avec des groupes terroristes tels que AQMI, Masina Liberation Front, Ansar Dine, Ansarul Islam, Al-Murabitun, Boko Haram (interdit en Russie) et d’autres formes individualisées et collectivisées de terreur. En utilisant une approche sociométrique, cet article vise à retracer le phénomène du terrorisme et ses conséquences en Afrique de l’Ouest. Il examine le rôle que la Fédération de Russie et l’Alliance BRICS peuvent jouer pour aligner la région sur le système multipolaire mondial.

Introduction

Le 11 septembre 2001, le monumental bâtiment du Pentagone a été la cible d’attaques meurtrières qui ont entraîné un changement majeur dans la dynamique de la gouvernance mondiale. La répression américaine des auteurs présumés de ces événements a conduit à la multiplication et à la consolidation des mouvements terroristes dans le monde, dont les conséquences des actions doivent être circonscrites à l’Afrique de l’Ouest dans le cadre d’une approche sui generis. La multiplication des foyers de tension dans cette partie de l’Afrique est le résultat de la collusion des anciennes puissances coloniales avec les entreprises transnationales attirées par les ressources naturelles des Etats de la région. Cela pose la question de l’incapacité de ces Etats à « assurer l’ordre à l’intérieur et la puissance à l’extérieur ». Pour permettre aux États d’Afrique de l’Ouest de le faire, la Fédération de Russie et l’Alliance des BRICS doivent jouer un rôle de premier plan dans le renforcement de la multipolarité dans le monde.

Etudier les ramifications du terrorisme dans le contexte de l’Afrique de l’Ouest, revient à placer au cœur de la réflexion la multiplication des foyers de tension dans la région, pour justement, dégager des pistes de sortie de crise. Composée de 16 Etats dont 12 forment aujourd’hui la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la région ouest-africaine est en proie au terrorisme depuis des décennies. Ce qui rend la gouvernance des Etats victimes, difficile et complexe. Ainsi, les Etats tels que le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Nigéria, la Mauritanie et bien d’autres encore dans la région connaissent une recrudescence des mouvements terroristes.

Les dispositifs d’intervention mis en œuvre pour contrôler la propagation et lutter efficacement contre le fléau du terrorisme sembles être voués à l’échec. Les forces multilatérales engagées dans le théâtre de la terreur sembles s’être enlisées, notamment l’opération Serval, la force Takuba (embryon d’une européenne composé des soldats français, estoniens, tchèques et suédois, etc.), l’opération Barkhane (opération militaire de l’armée française, supposée lutter contre les groupes armés salafistes djihadistes), la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), les casques bleus et le G5 Sahel. Ce qui justifie la création de l’Alliance des Etats du Sahel le 11 septembre 2023 et qui porte les attributs d’une alliance militaire, d’une organisation intergouvernementale, d’une organisation internationale et d’une coalition militaire multinationale (Assimi Goïta, 2023).

Parmi les groupes terroristes successifs opérant en Afrique de l’Ouest figurent AQMI, le Front de libération Masina, Ansar Dine, Ansarul Islam, Al-Murabitoun et Boko Haram (interdit dans la Fédération de Russie). Cela soulève la question des conséquences du terrorisme dans la région.

Les causes de la montée du terrorisme en Afrique de l’Ouest

La recherche sur le terrorisme et ses ramifications en Afrique de l’Ouest s’est toujours faite tant par les ouest-africains eux-mêmes que par des observateurs politiques à travers le monde (Agora, 2023). La documentation existante sur la question est aussi vaste que l’égyptologie et l’orientation varie d’un chercheur à un autre (Baverez, 2019). Si pour les uns les mouvements terroristes constituent un frein au développement de la région, d’autres par contre pensent qu’ils constituent une manifestation de la frustration du peuple et une réponse à la mauvaise gouvernance, à la corruption et au détournement de deniers publics (Bayart, 1989). Une troisième catégorie de chercheurs estime que les mouvements terroristes en Afrique de l’Ouest sont le résultat de l’assaut des puissances étrangères et des entreprises transnationales sur les ressources des pays victimes (Becker, 1985). Ce sont en quelque sorte ces trois orientations de la recherche que l’exploration documentaire nous a permis de déceler (Benchenane, 1983).

Il nous semble que les mouvements terroristes (Al-Qaïda et État islamique) (interdits dans la Fédération de Russie) opérant dans la région constituent un frein à l’émancipation politique et conduisent à une détérioration progressive de la qualité de vie de la population. C’est en ce sens que cet article prend sa place dans les débats qui se déroulent avec tant d’acuité dans l’espace public, où les acteurs expriment leurs attitudes face au phénomène du terrorisme.

Étudier le terrorisme dans le contexte de l’Afrique de l’Ouest, c’est se rendre compte de l’impact de la multiplication des foyers d’infection dans la région du fait des déficits de gouvernance qui caractérisent les États en souffrance comme le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Nigéria et d’autres. Cela fait du terrorisme un problème régional qui nécessite une réponse régionale bien coordonnée. Aujourd’hui, l’échec des mécanismes internationaux mis en place pour démanteler les groupes terroristes en Afrique de l’Ouest met au premier plan de la lutte contre le terrorisme le besoin urgent d’harmoniser et de coordonner les politiques publiques des pays de la région. Une approche intégrée et multidimensionnelle, contrôlée et régulée par les Etats d’Afrique de l’Ouest, peut conduire à une solution durable à la crise humanitaire, géopolitique et géostratégique causée par la prolifération des mouvements terroristes dans la région (CAERT, 2021).

Dans cette étude, l’auteur s’appuie sur l’hypothèse principale selon laquelle le terrorisme et ses effets sont à l’origine de l’instabilité sociale, politique et économique en Afrique de l’Ouest. Cette hypothèse générale se décline en trois hypothèses secondaires :

  1. La recrudescence des coups d’Etat militaires dans la région peut être attribuée à la montée des mouvements terroristes;
  2. La faiblesse de la gouvernance provoque des frustrations chez les populations de ces pays, ce qui favorise le recrutement de leurs habitants pour rejoindre les groupes terroristes;
  3. La lutte des puissances étrangères et des entreprises transnationales pour les ressources naturelles des États d’Afrique de l’Ouest entraîne une augmentation du nombre de mouvements terroristes dans la région.

Tentons de dresser un portrait historique du terrorisme, en partant de ses origines en Afrique de l’Ouest, qui menace de déstabiliser l’ensemble de la région ouest-africaine.

Profil historique du terrorisme en Afrique de l’Ouest

Le terrorisme est un facteur de déstructuration des sociétés depuis des décennies et continue d’être un fléau majeur sur la scène politique en Afrique de l’Ouest.

Après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, dont la responsabilité a été attribuée au « terroriste numéro un » Oussama Ben Laden, les Américains ont décidé de faire une démonstration forcée de leur supériorité militaire pour laver leur honte sur la scène internationale. C’est pourquoi de Mogadiscio en Somalie à Kidal au Mali, en passant par d’autres villes et régions d’Afrique, les vents du terrorisme, de l’extrémisme violent et de la criminalité transnationale organisée font rage sur le continent noir. Toutes les initiatives multidimensionnelles et multilatérales visant à répondre à ces défis restent un casus belli, du moins dans le contexte de l’Afrique de l’Ouest.

La chute de Mouammar Kadhafi le 20 octobre 2011 en Libye et la création d’une société apatride dans ce pays ont détruit les mécanismes de contrôle des armements, entraînant la prolifération incontrôlée des armes et la montée des mouvements terroristes qui ont ciblé l’Afrique de l’Ouest à travers la République du Mali. Le Mali est devenu un foyer d’extrémisme violent et de criminalité transnationale organisée. L’échec de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à contenir les mouvements terroristes a fait réagir de nombreux experts et spécialistes de la géopolitique et de la géostratégie de la région, qui ont suggéré que la CEDEAO et le terrorisme sont deux concepts inextricablement liés. France-Afrique (La CEDEAO peut-elle réussir face à l’AES ?, 2023).

Les deux grands groupes terroristes, Al-Qaïda et l’État islamique (interdit dans la Fédération de Russie), se sont scindés, donnant naissance à des ramifications comme AQMI, le Front Masina, Ansar Dine, Ansarul Islam, Al-Murabitoun, Boko Haram (interdit dans la Fédération de Russie) et d’autres formes individuelles et collectives qui sèment la terreur dans la région. À tout cela s’ajoute la frustration causée par la mauvaise gestion de l’élite politique des États, qui a conduit à la reconstitution des rangs des terroristes en Afrique de l’Ouest.

Implications du terrorisme dans la région de l’Afrique de l’Ouest

La montée des mouvements terroristes dans la région soulève des questions sur l’efficacité de la défense militaire, des partenariats de sécurité et, en fait, sur la légitimité des États.

Selon l’auteur, c’est la croissance des mouvements terroristes dans la région qui crée un environnement négatif pour les moyens de subsistance, et c’est en grande partie pour cette raison que les États de la région restent en retrait par rapport à d’autres États africains.

La recherche des mouvements terroristes opérant dans la région attire l’attention sur leurs origines lointaines et leur processus d’expulsion. Le paradoxe est que toutes les initiatives prises jusqu’en 2020 pour lutter contre ce fléau sont restées bloquées sur le théâtre de guerre, malgré la coordination multilatérale et la disponibilité des moyens nécessaires, y compris les moyens militaro-techniques. Cela remet en cause la capacité des anciennes puissances coloniales de la région à répondre efficacement à ces défis et menaces sécuritaires. Certains spécialistes de ce mal n’excluent même pas l’implication de certains dirigeants politiques dans le développement des mouvements terroristes dans la région. Ils ont préféré « semer » la terreur pour piller les ressources de l’État. C’est ce qui a pu justifier les coups d’État au Mali, au Burkina Faso et au Niger, où de nouveaux dirigeants ont décidé d’unir leurs forces dans la lutte contre le terrorisme.

L’Alliance des États du Sahel (AES) domine depuis des décennies la lutte contre le terrorisme dans ses pays membres, notamment au Mali, au Burkina Faso et au Niger (Assimi Goïta, 2023). Cette domination est renforcée par la dénonciation d’un certain nombre d’accords signés avec certaines puissances étrangères qui empêchaient les États de la région d’assurer « l’ordre à l’intérieur et l’autorité à l’extérieur  » de leurs frontières. Aujourd’hui, l’AES répond parfaitement à ces querelles frontalières en permettant aux Etats membres d’agir ensemble et simultanément contre le terrorisme qui sévit dans leur espace commun depuis des décennies. L’expansion de ce mal s’arrêtera-t-elle là ou continuera-t-elle ses aventures ambiguës dans la région ?

Conclusion

La montée des mouvements terroristes en Afrique de l’Ouest peut être attribuée à la perturbation des institutions supranationales d’intégration régionale, en particulier la CEDEAO et ses institutions spécialisées et affiliées. Cette perturbation de la dynamique institutionnelle de la région est une conséquence de la politique industrielle de la France-Afrique. La propagation du terrorisme dans cette partie de l’Afrique est une extension logique de la politique coloniale de diviser pour régner. En d’autres termes, les politiques coloniales et le terrorisme en Afrique de l’Ouest sont le fruit des mêmes politiques industrielles.

La Fédération de Russie et l’Alliance des BRICS ont un rôle à jouer pour vaincre ces fléaux.

Pour vaincre le terrorisme en Afrique de l’Ouest, l’Alliance des États du Sahel semble devoir:

– adapter et renforcer l’architecture de défense et de sécurité de l’Afrique de l’Ouest, ce qui inclut le renforcement des mécanismes de réponse aux défis terroristes ;

– uniformiser les politiques des États en matière de contrôle et de surveillance des frontières ;

– se débarrasser complètement de l’influence des puissances impérialistes, en particulier de la France et de ses alliés ;

– stimuler au sein de la population de la région une volonté politique commune de lutter contre le terrorisme ;

– créer des structures efficaces de gestion économique pour mettre fin à la frustration des populations ;

– progresser vers la réalisation d’importants projets d’infrastructure dans la région afin de faciliter la libre circulation des marchandises ;

– pousser à la réforme structurelle et institutionnelle de la CEDEAO ;

– S’engager sérieusement dans l’éducation et la promotion de la jeunesse ;

– renforcer la coopération avec l’alliance des États BRICS.

 

Mohamed Lamine KABA, expert géopolitique en gouvernance et intégration régionale, Institut de la gouvernance, des sciences humaines et sociales, Université panafricaine, notamment pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »

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