Frappée de plein fouet par la montée en puissance des mouvements terroristes et la multiplication des foyers de tension dans la région, la CEDEAO semble avoir du pain sur la planche pour maintenir son homéostasie sur l’échiquier politique de l’Afrique de l’Ouest. La sortie de l’Alliance des États du Sahel (AES) formée par le Burkina, le Niger et le Mali constitue à la fois un coup de tonnerre pour la CEDEAO et la constitution d’un pôle de contestation et d’autodétermination des peuples, qui fait de la région un espace de compétition et de confrontation entre la Russie de l’Alliance BRICS et la France de l’OTAN. Dans une approche sociométrique, l’auteur fait la sociographie des incidences éventuelles de cette sortie de l’Alliance des États du Sahel de la CEDEAO sur la libre-circulation des personnes, des biens et des services en Afrique de l’Ouest. Adoptant ainsi une posture diachronique et synchronique, il se positionne dans le débat sur l’impact de la présence de deux institutions supranationales d’intégration régionale dans un même espace économique régional et, qui se livrent une adversité sévère. L’avenir de la communauté de destin en Afrique de l’Ouest est en jeu.
Survenue ainsi le 28 janvier 2024, la sortie de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) constitue un véritable coup de tonnerre pour celle-ci (Le Colonel Assimi Goïta, 2024). De 15 Etats à 12 Etats aujourd’hui, la CEDEAO s’amenuise sous l’effet du désir ardent des peuples ouest-africains de s’autodéterminer sur la scène internationale. Alors que la région est en proie au terrorisme, à l’extrémisme violent, au crime organisé transnational, à la piraterie maritime et aux coups d’Etat institutionnels et militaires, la réponse de la CEDEAO face à ces fléaux est toujours perçue par les peuples à la base comme un casus belli. Par son système de gouvernance, la CEDEAO pourrait être présentée comme une communauté des chefs d’Etat plutôt qu’une communauté des peuples qui gouverne par sanctions, loin de sa vocation économique (Crozier, 1982). La volonté des tenants de la CEDEAO de torpiller les régimes militaires du Mali, du Burkina Faso, du Niger et de la Guinée dans une certaine mesure, débouche sur la création de l’AES du trio qui s’est constituée en pôle de contestation et de nouvelle sphère d’influence entre la fédération de Russie de l’Alliance BRICS et la France de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) dans la région. La sortie de l’AES de la CEDEAO que l’on convenu d’appeler en d’autres termes AESexit, pourrait à coup sûr générer des impacts indésirables sur les fondements de la libre-circulation des personnes, des biens et des services qui a longtemps caractérisé la région. Intervenue dans un contexte mondial émaillé de guerre hybride ou guerre par procuration, l’AESexit semble schématiser la guerre par alliés interposés dans la région dont il convient d’inscrire dans une approche Sui generis. Alors que la sortie de la CEDEAO est, par principe, assujettie à une période d’observation d’une année linaire, l’AES a décidé d’en sortir avec effet immédiat au motif que la CEDEAO a trahi ses principes fondateurs en se soumettant à l’influence des puissances étrangères, et par ricochet, une menace pour ses Etats membres et ses populations dont elle est censée assurer le bonheur. Elle reproche également à la CEDEAO de n’avoir pas porté main forte aux Etats du Sahel (Mali, Burkina Faso et Niger) dans le cadre de leur lutte existentielle contre le terrorisme et l’insécurité. Ce qui donne à penser que la CEDEAO est instrumentalisée et téléguidée par les suzerains coloniaux et impérialistes, dont le seul but de la présence est de piller et de spolier les ressources naturelles des Etats de la région pour alimenter leurs industries.
Considérer l’incidence de la sortie de l’AES de la CEDEAO sur la libre-circulation des personnes, des biens et des services comme une thématique de recherche, revient à placer au cœur de la réflexion le contexte géopolitique et géostratégique de la région. Cet article se propose d’analyser des impacts éventuels de la sortie de l’AES de la CEDEOA sur les relations bilatérales et multilatérales entre les outsiders et les insiders (Becker, 1985). La communauté de destin en Afrique de l’Ouest semble mise en lambeau sous l’effet de l’ingérence des anciennes puissances coloniales dont la CEDEAO serait sous la botte et téléguidée par celle-ci. Le fait d’avoir deux organisations d’intégration régionale dans un même espace géographique porte en son sein les obstacles à la réalisation des étapes de cette intégration (DCG, 2022) : la constitution d’une zone de libre-échange (1), l’union douanière (2), le marché commun (3), l’union économique (4), l’union économique et monétaire (5) et l’union politique (6). Partant de la rhétorique entre les tenants de la CEDEAO et les autorités de l’AES, tout porte à croire que les reins de l’intégration de la région sont en passe d’être coupés. Exsangue par la sortie des pays de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), la CEDEAO semble foncer droit dans sa tombe. Tout comme un Etat, toute organisation d’intégration régionale (Ronnås, 2005) qui s’avère incapable « d’assurer l’ordre à l’intérieur et la puissance à l’extérieur » s’estompe (Juvin, 2010). La CEDEAO s’amenuise sous l’effet d’un système de gouvernance calqué à l’image de l’époque du fascisme (Ela, 1990) et imposé par un pool de chefs d’Etat dont certains sont auteurs de coups d’Etat institutionnels (Houngnikpo, 2004) et qui, furieux contre les coups d’Etat militaires (Cissé, 2023) dans la région se soumettent docilement au diktat (Ziegler, 1980) des anciennes puissances coloniales, notamment la France (Agora, 2023). Cette situation semble bien avoir placé la CEDEAO au bord du précipice (Agbezoukin, 2022). C’est l’implosion (Konaté, 2015) d’un territoire conquis de coups d’Etat, Afrique de l’Ouest (Bayart, 2007) dont il convient d’étudier l’incidence éventuelle sur la libre-circulation des personnes, des biens et des services dans l’espace ouest-africain (Hirschman, 1995). Un espace géographique régional dont la dynamique institutionnelle est désormais assurée par deux institutions supranationales protagonistes qui s’exercent mutuellement des influences (Gurr, 2015) CEDEAO versus AES. A chacune d’elles ses alliés (Dumont, 1986). Ce qui fait de l’Afrique de l’Ouest un nouveau champ de la guerre par procuration ou par alliés interposés (Marie, 2009).
La recherche sur l’insuffisance de la gouvernance de la CEDEAO s’est toujours faite tant par les experts de l’intégration régionale que par les spécialistes de la géopolitique et de la géostratégie de la région (Hobbes, 1921). La documentation sur la problématique est aussi vaste que l’Egyptologie dont l’exploration nous a permis de déceler diverses orientations et approches (Dumont, 1986). Si pour certains la CEDEAO est un instrument au service des Chefs d’Etat de la région (Cedeao C. , 2024), d’autres par contre, pensent qu’elle est une instance de la mise en œuvre de la politique étrangère des puissances impérialistes, celle des suzerains coloniaux notamment (Club_Cedeao, 2023). Une troisième orientation se dégage et selon laquelle, la CEDEAO est une passerelle par laquelle les néocolonialistes passent pour faire main basse sur les ressources des Etats membres (Kaba, 2023).
Pour ce qui est de notre part, la multiplication des foyers de tension, la montée en puissance des mouvements terroristes (y compris leurs ramifications), la tolérance des coups d’Etat institutionnels dans la région et les immiscions des puissances étrangères affectent gravement l’appareil gouvernemental de la CEDEAO (Ziegler, 1980). Ce qui fait que la réponse de la CEDEAO aux coups d’Etat militaires est toujours mal perçue par les peuples à la base alors que l’intégration régionale se veut d’être de jure avant d’être de facto (Quenum, 2022). Ce qui pose donc la question de sa légitimité face aux multiples défis d’ordre social, politique, économique, culturel et sécuritaire qui se posent avec acuité au sein des Etats membres. Cette mauvaise gouvernance entraina la création de l’Alliance des Etats du Sahel (Mali, Burkina Faso et Niger) le 16 septembre 2023. Se constituant en pôle de contestation et d’autodétermination des peuples respectifs qui composent l’espace, l’AES a finalement décidé de se retirer de la CEDEAO. Un retrait matérialisé par le communiqué conjoint du Burkina Faso, de la République du Mali et de la République du Niger en date du 28 janvier 2024. Motivée par la volonté de la CEDEAO de s’éloigner des idéaux fondateurs et fédérateurs pour se soumettre au diktat des suzerains coloniaux, la sortie de l’AES pourrait affecter gravement la libre-circulation des personnes, des biens et des services dans l’espace ouest-africain.
Cette étude est guidée par une hypothèse principale selon laquelle, la sortie de l’AES s’explique par le fait que la CEDEAO s’est éloignée des idéaux de ses pères fondateurs et du Panafricanisme. Cette hypothèse générale s’éclate en trois hypothèses secondaires qui sont :
- L’inaction de la CEDEAO face au terrorisme et à l’insécurité semble être à l’origine de l’autodétermination de l’AES.
- La CEDEAO semble soumise au diktat des suzerains coloniaux, notamment la France, et par ricochet, téléguidée ceux-ci.
- La sortie de l’AES de la CEDEAO pourrait générer à court, à moyen et à long-terme générer des conséquences néfastes sur la libre-circulation des personnes, des biens et des services en Afrique de l’Ouest.
Mohamed Lamine KABA– Expert en géopolitique de la gouvernance et de l’intégration régionale, Institut de la gouvernance, des sciences humaines et sociales, Université panafricaine, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »