08.08.2023 Auteur: Christopher Black

Algérie et France : La lutte anticoloniale continue

En septembre 2018, le président français Macron a reconnu que la France avait commis des crimes de guerre lors de la guerre d’indépendance algérienne qui a duré de 1954 à 1962. Comme seul exemple, il a cité la torture du membre du FLN Maurice Auden, un communiste qui, après avoir été torturé, a été exécuté par les forces armées françaises à l’âge de 25 ans.  Marié et père de trois enfants, il a disparu lors de la bataille  comme beaucoup d’autres.

Quelques mois plus tôt, en tant que candidat à la présidence, Macron a décrit le colonialisme comme un crime contre l’humanité, mais peu de temps après, il a exclu toute chance que des réparations soient versées à l’Algérie en tant qu’État ou à des familles ou citoyens qui avaient souffert des forces et de la police françaises pendant la guerre.

Ce refus est difficilement conciliable avec l’histoire puisque il y a onze ans, en février 2005, l’ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de Veridiere, s’excusait pour les massacres de Sétif et de Guelma survenus le 8 mai 1945, le jour même où la France et ses alliés assistaient à la capitulation définitive de l’Allemagne nazie. La France a été libérée, mais l’Algérie est restée sous occupation française.

La plupart des historiens s’accordent sur les faits liés aux massacres, mais le nombre de morts est très disputé. Les tueries ont commencé dans une petite ville le 8 mai lorsque 5 000 personnes ont défilé pour célébrer la victoire des Alliés en Europe. Mais certains d’entre eux portaient des drapeaux anticolonialistes. La police les a attaqués. Des gens ont été abattus. Un événement similaire a eu lieu dans la ville de Guelma. Les gendarmes français ont tué beaucoup de gens. Presqu’un mille de personnes a été mort. Pour se venger, certains habitants ont attaqué des pieds-noirs locaux, des européens vivant dans la région, et ont tué une centaine d’entre eux, et en représailles, l’armée et la police françaises ont attaqué un certain nombre de villes et de villages en tuant sans distinction, en utilisant des forces terrestres et des avions ainsi que des bombardements depuis des navires de la Marine française qui se trouait au large des côtes. Certaines estimations indiquent jusqu’à 30 000 tués, les autres parlent de 6 000 morts, et le nombre généralement accepté est d’environ de 20 000. Beaucoup de ceux qui n’ont pas été tués par les forces françaises ont été assassinés par des vengeurs locaux, qui ont lynché ou tiré au hasard sur des victimes enterrées ensuite dans des fosses communes, tout était passé avec l’accord des autorités françaises.

Ces massacres sont considérés par les historiens comme un moment clé dans la guerre d’indépendance éclaté neuf ans plus tard car ils ont bien révélé que, tandis que la France ait été libérée de l’occupation allemande, l’occupation française de l’Algérie, présentée comme une acte “civilisatrice”, devait se poursuivre. Les cris des Français pour la liberté de leur propre pays et la liberté pour tous n’étaient qu’une mascarade, destinée à ne s’appliquer qu’à eux, et non pas à leurs possessions coloniales en Afrique ou en Indochine.

Ainsi, la France a été libérée, mais l’Algérie est restée sous occupation française, et on se souvient que dès que les Japonais ont été vaincus au Vietnam actuel, les Français y ont rétabli leur domination coloniale comme si la guerre mondiale n’avait jamais eu lieu et ont rapidement affronté la guerre avec les Vietnamiens qui avait conduit à la défaite de la France à Dien Bien Phu.

L’occupation de l’Algérie par la France a commencé en 1830  pour satisfaire les ambitions françaises quand les napoléonistes n’avaient pas réussi à maintenir le contrôle de l’Égypte après l’échec de l’expédition de Napoléon de 1798 à 1801. Cette campagne avait pour but d’arracher l’Égypte du contrôle de l’Empire ottoman et de la transformer en colonie française pour faire avancer les intérêts commerciaux et financiers français. Il y avait eu un conflit avec les Britanniques, la mission a  échoué et les Français se sont retirés. L’Algérie était la deuxième cible qu’ils voulaient prendre en Afrique du Nord.

Au cours des trois décennies après 1830, alors que les Français consolidaient leur emprise, ils ont tué un tiers de la population de trois millions d’habitants lors d’une campagne militaire de terre brûlée.

En 1848, l’Algérie a été déclaré partie intégrante de la France elle-même, un statut unique parmi les autres colonies africaines de la France, un statut qui illustrait l’importance de l’Algérie pour la France car les ressources naturelles, telles que le pétrole, les minéraux et la terre, étaient essentielles pour les Français. La France avait besoin de contrôler cette ressource pour conserver sa puissance militaire et économique.

La lutte pour l’indépendance des Algériens dans la guerre sanglante qui a fait rage de 1954 à 1962 a entraîné la mort d’un million ou plus de personnes, ce nombre varie d’un source à l’autre. Mais il est clair que l’Armée française, la police française, la Légion étrangère et les services de renseignement ont tué des centaines de milliers de personnes dans une campagne militaire très brutale. La torture est devenue une routine pour terroriser les forces de résistance algériennes du FLN, le Front de Libération Nationale, ainsi que le meurtre de civils pour terroriser la population.  L’armée française était déterminée à s’accrocher à l’Algérie à tout prix et lorsque Charles De Gaulle est devenu président, ils avaient espéré que la guerre se poursuivrait, car De Gaulle avait déclaré que l’Algérie devait rester une partie de la France.

Mais, une fois au pouvoir en tant que président, et la guerre semblant sans fin, il a changé de position et a appelé à une indépendance limitée de l’Algérie, L’Armée française a considéré cela comme une trahison de la France et a comploté pour l’assassiner. Ces complots se sont poursuivis même après la fin de la guerre en 1962 et l’indépendance de l’Algérie, plusieurs généraux français ont fui la France vers l’Espagne et d’autres pays et ont organisé une armée secrète, l’OEA, l’Organisation de l’Armée Secrète, pour tuer De Gaulle et renouveler la guerre. Ils ont installé des bombes en France et en Algérie, mais leurs tentatives ont échoué et ils ont finalement abandonné la tentative.

L’invasion et l’occupation françaises de l’Algérie ont marqué le début de leur Second Empire. En première partie, c’étaient des colonies françaises en Amérique du Nord et dans les Caraïbes. En fait, la France contrôlait tout ce qui est maintenant le Canada et une grande partie des États-Unis actuels de la fin des années 1500 jusqu’à la guerre de Sept Ans avec les Britanniques, qui s’est terminée en 1763, au cours de laquelle la France a perdu ses possessions au Canada et dans les Caraïbes au profit des Britanniques, suivie de la vente des vastes territoires des États-Unis par Napoléon en 1803, connue sous le nom d’achat de la Louisiane.

Ces pertes ont fait un coup dur au prestige et au pouvoir économique français. La nécessité de choisir d’autres endroits pour gagner des colonies est devenue évidente pour les capitalistes français et ainsi a commencé la ruée vers l’Afrique, comme on le sait, la compétition entre les puissances européennes pour les colonies en Afrique. Au cours de la même période, la France a étendu sa puissance à l’Asie du Sud-Est et au Pacifique, le Vietnam étant le joyau des possessions françaises dans la région.

Avec la fin de la Seconde Guerre mondiale et les déclarations de paix et de bonne volonté de souveraineté des nations et d’autodétermination des peuples inscrites dans la Charte des Nations Unies et la lutte pour la décolonisation qui en a résulté, de forts mouvements politiques pour l’indépendance dans les colonies européennes ont commencé à se faire sentir.

Les Européens ont résisté tout en montrant leur hypocrisie Les Néerlandais se sont battus pour maintenir leur contrôle sur l’Indonésie. Les Britanniques se sont battus pour maintenir leur contrôle sur l’Inde, la Malaisie et le Kenya. Les Français se sont battus pour maintenir leur contrôle sur l’Indochine, aujourd’hui le Laos, le Cambodge et le Vietnam. Les guerres ont été sanglantes et longues et toutes se sont terminées par la défaite des Européens. Les Allemands avaient également des colonies en Afrique pendant une courte période avant la Première Guerre mondiale en Afrique de l’Est et en Namibie, mais ils les ont perdues au profit des Britanniques à la fin de cette guerre.

Les Allemands ont tenté de compenser cette perte par leur invasion de l’URSS en 1941 par laquelle ils avaient l’intention de briser la Russie et ses autres républiques constituantes en morceaux, d’éliminer les peuples slaves et de transformer les terres en colonies allemandes. Les Belges ont essayé de garder le contrôle du Congo ainsi que du Rwanda et du Burundi. Mais finalement ils ont dû se retirer, non sans conséquences pour les peuples de ces nations et avec des souvenirs amers.  Aujourd’hui, le capital financier européen rêve toujours de rétablir sa domination coloniale sous une forme ou une autre avec les Américains, ce qui explique l’obsession des ces deux de mener la guerre par les mains ukrainiens.

Dans le cas de la France, l’acceptation de l’indépendance nominale de leurs colonies ouest-africaines telles que la Côte d’Ivoire, le Mali, le Tchad, le Niger, le Burkina Faso, masquait la domination économique française en utilisant le CFA ou franc français des colonies africaines, une version du franc français, totalement contrôlé par la France et la Trésorerie française qui a été imposé aux colonies en 1945. En l’absence de monnaies nationales alternatives disponibles pour faire du commerce, les anciennes colonies ont été obligées de l’utiliser de la même manière que de nombreux pays devaient utiliser le dollar américain.  Le résultat a été que les pays africains envoient plus d’argent vers la France qu’ils n’en reçoivent d’aide et n’ont aucune souveraineté sur leurs politiques monétaires. En janvier 2019, des ministres italiens ont accusé la France d’appauvrir l’Afrique à travers le franc CFA, et les critiques se sont poursuivies de la part de diverses organisations africaines.

Le 21 décembre 2019, le président ivoirien Alassane Ouattara et le Président français Emmanuel Macron ont annoncé une initiative visant à remplacer le Franc CFA ouest-africain par l’Eco, une nouvelle monnaie régionale proposée, mais qui devait encore être liée au franc français.  Par la suite, une réforme du franc CFA ouest-africain a été initiée. En mai 2020, l’Assemblée nationale française a accepté de mettre fin à l’engagement français dans le franc CFA ouest-africain et les pays utilisant la monnaie n’auront plus à déposer la moitié de leurs réserves de change auprès du Trésor français, une exigence qui n’était rien de moins qu’un vol pur et simple des ressources africaines.

A part, il convient de rappeler au lecteur que l’Armée française a placé le président Ouattara au pouvoir en 2011, lorsque les forces françaises ont renversé le Président élu, Laurent Gbagbo. Plusieurs milliers de personnes ont été tuées par les forces françaises et les voyous de Ouattara lors du coup d’État. Le Président Gbagbo a été immédiatement remis par les Français à la Cour pénale internationale, et il y a des preuves dans des courriels divulgués entre les Français et le procureur de l’époque, M. Ocampo, qu’Ocampo a accepté d’organiser des accusations contre Gbagbo si les Français pouvaient le renverser et l’arrêter. Les accusations qu’ils ont déposées ont été fabriquées. Aucune preuve de crimes n’a jamais été présentée, mais la CPI a maintenu Gbagbo et son épouse ainsi que son ministre de la Jeunesse, Charles Ble Goude, en détention pendant des années jusqu’à ce qu’ils soient finalement libérés en 2021. Ils n’ont pas été indemnisés pour leurs fausses arrestations et leur décennie de détention. La raison de leur arrestation? Ils se sont opposés au contrôle français de la Côte d’Ivoire. Cet épisode illustre comment la CPI elle-même a servi d’instrument du colonialisme.

Le processus de décolonisation a été soutenu à la fois par l’URSS et la Chine tout au long des années 1950, 60, 70 et 80. Les longues luttes dans chacune des nations africaines qui les ont traversées et les guerres qui ont eu lieu depuis lors sont importantes pour comprendre la situation actuelle des nations africaines et méritent d’être traitées dans des essais séparés. Bien que je sois tenté d’entrer dans cette histoire, cela rendrait cet essai trop long et trop complexe.

Qu’il suffise de dire que le président Poutine a reconnu le rôle important de nombreux dirigeants de ces luttes lors du Sommet africain du 28 juillet lorsqu’il a déclaré,

« Pendant des décennies, nous avons invariablement apporté notre soutien lors de la lutte des pays africains contre le colonialisme. Malheureusement, certaines manifestations du colonialisme n’ont pas été éradiquées à ce jour, et les anciennes puissances coloniales les pratiquent encore, y compris dans les domaines économique, informationnel et humanitaire.

La Russie se souvient et chérit la mémoire des fils exceptionnels de l’Afrique. Je vais les nommer, mes amis. Nous devons nous souvenir d’eux, et nous ne devons jamais les oublier. Je citerai Patrice Lumumba, Gamal Abdel Nasser, Nelson Mandela, Ahmed Ben Bella,  Omar al-Mukhtar, Kwame Nkrumah, Samora Machel, Leopold Senghor, Kenneth Kaunda et Julius Nyerere. Nous nous souvenons également d’autres combattants de la liberté africains et des dirigeants nationaux des pays africains. Tout en s’appuyant sur les principes de justice et d’égalité, ils ont fermement promu le développement indépendant de leurs nations, sacrifiant souvent leur vie. “

Je voudrais souligner que le continent africain est en train de devenir un nouveau centre de pouvoir sous nos yeux. Il a démontré une croissance exponentielle en termes de rôles politiques et économiques. Chacun devra prendre en compte cette réalité.”

Néanmoins, la France tente toujours de maintenir sa propre hégémonie dans ses anciennes colonies et refuse de reconnaître ses crimes.  Cet auteur a rencontré, approximativement en 2010, en Tanzanie, un groupe de militants pacifistes français parcourant le continent. Nous nous sommes rencontrés par hasard dans un café. Ils m’ont invité à dîner. Ils étaient cinq, dont une femme, à voyager dans l’une de ces camionnettes VW avec des signes de paix. Mais quand le vin a été bu, ils m’ont vite admis qu’ils travaillaient tous pour le Renseignement de l’Armée française et étaient basés à la base de la Légion Étrangère française à Djibouti et étaient déguisés en militants pacifistes, cheveux longs, jeans déchirés et tout, afin de recueillir des renseignements sur la situation autour de l’Afrique. Je me souviens très bien d’eux, ils m’ont offert une bouteille de Ricard. Rien n’est le cas comme il y paraît.

Et qu’en est-il de la demande d’indemnisation réclamée par l’Algérie pour l’occupation et les barbaries de la guerre d’indépendance? La France refuse tout mais a accepté d’indemniser les harkis, c’est-à-dire les Algériens locaux qui se sont battus pour les Français, environ 200 000 d’entre eux. Environ 100 000 personnes ont fui en France après la guerre, mais ont été maltraitées en France et ont demandé réparation. Le 16 mai 2023, la France a annoncé qu’elle offrirait l’indemnisation aux anciens soldats qui ont combattu pour la France mais les Algériens n’obtiendront rien.

Ainsi, la visite du Président algérien Abdelmadjid Tebboune à Moscou le 15 juin, en tant qu’invité au Forum économique international de Saint-Pétersbourg et de son Premier Ministre Aymen Benabderrahmane, est doublement significative, car ils reconfirment la longue amitié entre l’URSS et maintenant la Russie et l’Algérie et confirme également une alliance stratégique et développe davantage les liens économiques, militaires, scientifiques et culturels croissants entre les deux nations.

La France, ne peut que voir cela avec consternation car elle a également entretenu des relations économiques et culturelles avec l’Algérie et compte une importante population d’Algériens vivant en France. Le jeune homme qui a été abattu récemment par la police française, déclenchant des semaines de chaos, était issu d’une famille algérienne.

Il y a eu une forte volonté en Algérie de se débarrasser de son passé colonial, de réduire l’utilisation du français dans le discours, l’éducation et les médias, ce qui a à son tour généré un sentiment plus anti-français dans le pays. La France pourrait atténuer une partie du sentiment anti-français en reconnaissant son passé en Algérie et en acceptant de négocier une forme de compensation. Mais elle refuse de le faire, et bien que des liens solides resteront certainement, il est clair que l’Algérie, comme de nombreux autres pays africains, détourne son attention de l’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord vers la Russie et la Chine, un changement qui ne fera que s’accélérer à mesure que l’hégémonie coloniale américaine et européenne couvrira le monde continue de s’effondrer en poussière.

 

Christopher Black, avocat en droit pénal international à Toronto. Il est connu pour un certain nombre d’affaires de crimes de guerre très médiatisées, il vient de publier son roman Beneath the Clouds. Il écrit des essais sur le droit international, la politique et les événements mondiaux, en particulier pour le magazine en ligne «New Eastern Outlook ».

Articles Liés