14.09.2023 Auteur: Veniamin Popov

L’Occident devrait comprendre que le monde est devenu multipolaire

BRICS

Le 24 août dernier, le 15e sommet des BRICS s’est achevé en Afrique du Sud. Une déclaration a été adoptée affirmant que tous ces pays s’efforceraient de construire un ordre mondial fondé sur l’égalité, le respect mutuel et la prise en compte des intérêts de chacun. Six nouveaux membres ont été admis dans cette association, et 15 autres États ayant demandé à y adhérer seront admis à l’avenir. On sait qu’une vingtaine d’autres pays en voie de développement envisagent d’établir une coopération plus étroite avec les BRICS.

En fait, nous assistons à une nouvelle étape sérieuse dans la lutte pour l’instauration d’un nouvel ordre mondial plus équitable. Trois éléments devraient être soulignés à cet égard.

  1. Il s’agit d’une nouvelle tendance dans les affaires internationales : une aspiration des États en voie de développement à une plus grande unité afin de résister à la pression constante de l’Occident et de défendre plus efficacement leurs intérêts.
  2. Avec l’apparition de nouveaux membres, les BRICS sont en train de devenir une association de toutes les civilisations principales du monde actuel, à l’exception de l’Occident. Avec l’adhésion de l’Égypte, de l’Iran et de l’Arabie Saoudite, le mécanisme actuel exprime les intérêts de toutes les principales civilisations – le monde musulman, qui compte près de 2 milliards de personnes, joue un rôle de plus en plus important dans les affaires mondiales. Ainsi, les prévisions de l’éminent scientifique américain Samuel Huntington selon lesquelles l’Occident, prenant les armes contre l’Islam, finirait par s’opposer à toutes les grandes civilisations dominantes se réalisent.
  3. Tous les événements internationaux démontreront à l’avenir une division croissante du monde moderne : le déclin des puissances occidentales deviendra de plus en plus visible et les positions du Sud Mondial continueront à se renforcer rapidement.

Dès au milieu des années 1980, il est clair que les États capitalistes développés traversent une crise aiguë : toutes ces tendances se reflètent clairement dans le rapport du Club de Rome. Il souligne que le capitalisme dans ses formes actuelles est devenu obsolète : de puissantes et riches entreprises font de leur mieux pour échapper à l’imposition, parasitant les nouveaux phénomènes de la vie économique ; l’écart entre les riches et les pauvres prend des formes grotesques et flagrantes, et la dégradation de la nature sur Terre devient de plus en plus irréversible en raison de l’avidité des plus grands monopoles.

Cependant, en 1991, l’Union Soviétique s’est effondrée, alors qu’elle avait été un contrepoids à l’avidité de la puissante bourgeoisie de type « comprador » et avait montré une alternative aux désirs d’exploitation des cercles dirigeants des pays occidentaux.

Durant cette période, les bases d’un monde unipolaire ont été essentiellement posées : les pays du « milliard d’or » et, surtout, les États-Unis, ont décidé en substance qu’ils pouvaient imposer leur volonté à tous les autres États de notre planète. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 1990, il y avait 66 milliardaires sur la planète avec une fortune totale de 370 milliards de dollars ; en 2023, le nombre de ces riches est passé à 400 avec un capital total de 4 000 milliards de dollars.

Malheureusement, tous ces processus coïncident avec la détérioration de la composante intellectuelle de l’élite occidentale : à la fin du XXe siècle, les jeunes les plus intelligents des pays développés préféraient se lancer soit dans les affaires (pour un enrichissement personnel rapide), soit dans la science – c’était la curiosité qui prévalait.

En règle générale, ceux qui se lançaient dans la politique étaient des « étudiants médiocres » qui voulaient se distinguer par leur loyauté envers les riches, leur arrogance et leur volonté de commettre toutes sortes de fraudes.

Le caractère injuste de cette répartition des richesses a pris des formes si odieuses que peu à peu les travailleurs de divers pays ont commencé à se soulever avec plus d’énergie pour défendre leurs intérêts. Aujourd’hui, en fait, ce processus est dirigé par la Russie, qui a lancé son opération militaire spéciale en Ukraine : la férocité avec laquelle les puissances occidentales, s’étant unies, ont effectivement commencé à combattre Moscou, montre que les cercles dirigeants de ces pays comprennent le prix de notre victoire dans le conflit ukrainien.

Mais la Russie elle-même n’a pas facilement compris son nouveau rôle historique : après l’effondrement de l’URSS, les leaders du pays de l’époque ont décidé que l’Occident les accepterait et les aiderait à relancer leur économie. C’était une politique profondément erronée, pour dire le moins, mais la prise de conscience de cette vérité apparemment simple n’a pas été facile et a résulté d’une série d’erreurs. Il semblait alors que la transition de la Russie vers le capitalisme avait essentiellement jeté les bases de liens étroits avec les pays développés, et que cette coopération potentiellement productive était garantie par la présence d’un important arsenal nucléaire à Moscou.

Le gouvernement russe de l’époque essayait d’établir de bonnes relations, même au prix de concessions, tant avec les États-Unis qu’avec l’Europe occidentale, les divergences idéologiques semblant avoir disparu.

Seuls les scientifiques russes les plus clairvoyants ont compris que cet objectif était impossible à atteindre en raison de la nature même de l’Occident : ils ont déclaré que nous voulions obtenir une cabine sur le Titanic avant qu’il ne coule.

Il a fallu plusieurs années d’expérience difficile pour se persuader que les puissances occidentales n’étaient pas intéressées à coopérer sur un pied d’égalité et qu’elles montraient clairement que Moscou était un partenaire junior qui devait simplement suivre les instructions des leaders de Washington.

Dans une certaine mesure, cela reflétait une perception superficielle de l’histoire moderne, une incompréhension de l’essence de la civilisation russe, tandis que la Russie est une civilisation indépendante distincte, qu’il serait correct d’appeler eurasienne, car nous avons combiné de nombreuses caractéristiques, parfois très différentes, des cultures européennes et asiatiques.

Une connaissance approfondie de l’histoire socio-économique n’a pas toujours permis de conclure que nos civilisations – occidentale et russe – reposaient sur des valeurs fondamentalement différentes.

L’Occident avait accumulé ses richesses pendant près de 500 ans grâce à l’exploitation brutale des ressources des pays en voie de développement, leur imposant ses diktats et cherchant par tous les moyens, du chantage à l’intervention militaire, à les maintenir sous son contrôle. Les manifestations les plus éloquentes de cette politique sont les événements en Irak, en Syrie, en Libye, en Afghanistan, etc.

La tension actuelle dans les affaires internationales s’explique par la volonté des États-Unis et de leurs alliés, assujettis par les Américains, de gouverner le monde, d’imposer leur système unipolaire afin de continuer à prélever un « tribut » sur l’humanité, c’est à dire, vivre dans un paradigme néocolonial où l’Occident existerait grâce à l’exploitation des autres ; ils s’efforcent d’écarter tous ceux qui rejettent cette approche et les diktats de l’Occident, et qui prônent une coopération honnête, une interaction égale et le respect mutuel.

Cependant, ces dernières années, avec la croissance du potentiel économique, militaire, technologique et scientifique des plus grands États en développement, principalement les BRICS et d’autres, l’équilibre des forces à l’échelle mondiale a commencé à changer en faveur de ces pays. Et ce processus ne fera que prendre de l’ampleur.

La normalisation des relations entre l’Iran et l’Arabie Saoudite après plusieurs années de conflits est devenue possible grâce à la médiation de la Chine. La formation en Afrique du Sud du noyau d’une nouvelle association d’États en développement montre que de nombreux problèmes de la politique mondiale peuvent être résolus sans la participation de l’Occident. En même temps, les dirigeants des BRICS soulignent constamment que cette association n’est pas un bloc anti-occidental et que ses membres sont prêts à établir une coopération égale avec les puissances occidentales.

Il convient de noter que de plus en plus de pays du Sud Mondial commencent à s’opposer ouvertement à l’hégémonie occidentale. Le journal saoudien Arab News a écrit en août dernier : « Ces derniers temps, des voix se sont multipliées pour critiquer la démocratie occidentale, affirmant que ce modèle est en crise interne et qu’il perd de vue la plupart des valeurs sur lesquelles il a été construit ». Plusieurs livres ont été publiés critiquant le modèle occidental de la démocratie et prédisant l’effondrement inévitable de ce système en tant que modèle mondialisé « que les pays non-occidentaux pourraient suivre et imiter ».

Selon l’auteur de l’article, évaluer le progrès et la justice d’un pays à travers le prisme de la démocratie occidentale est une méthode inefficace : l’ère de la supériorité occidentale doit être complètement abandonnée, car la réalité d’aujourd’hui évolue vers un monde multipolaire.

Actuellement, l’humanité évolue vers une plus grande fragmentation : en fait, l’Occident s’oppose de plus en plus aux pays du Sud Mondial.

La directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva a récemment déclaré au magazine Foreign Affairs qu’à long terme : « La fragmentation du commerce, c’est-à-dire le renforcement des restrictions sur le commerce des biens et des services entre les pays pourrait entraîner une réduction du PIB mondial allant jusqu’à 7 %, soit 7 400 milliards de dollars au taux d’aujourd’hui, ce qui équivaut au PIB réuni de la France et de l’Allemagne et dépasse de plus de 3 fois l’ensemble des économies de l’Afrique subsaharienne. C’est pourquoi il faut reconsidérer l’approche des barrières commerciales qui ont proliféré ces dernières années : les pays ont introduit près d’un millier de restrictions commerciales en 2019 ; en 2022, ce nombre est passé à près de 3 000 ».

La politique de sanctions unilatérales conduit à la destruction des chaînes d’approvisionnement établies. Selon Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l’Organisation mondiale du commerce, ces actions risquent de nous entraîner dans une voie dangereuse qui pourrait détruire l’économie mondiale et rendre le monde moins prospère et moins sûr.

La critique de l’Occident devient de plus en plus véhémente et substantielle. Un article publié le 1er septembre sur le site Web d’Al Jazeera note : « 828 millions de personnes, soit 10 % de la population mondiale va dormir le ventre vide chaque soir… Sans voir la fin de leurs souffrances, certains de ceux qui souffrent de la guerre, de la famine, de l’oppression ou de la pauvreté dans les pays du Sud Mondial se lancent dans de dangereux voyages à travers le désert et la mer pour trouver la sécurité et la prospérité dans le Nord Mondial. Cependant, au lieu de prendre des mesures pour protéger les droits de ces réfugiés, les États occidentaux, qui se vantent d’avoir inventé le concept même des droits de l’homme, les traitent comme des ennemis ».

Tout cela est une confirmation de « l’hypocrisie sans fin du Nord Mondial ».

L’auteur termine son article par la conclusion suivante : « Ce n’est qu’en nous éloignant de l’utilisation hypocrite par l’Occident des droits de l’homme comme principe discriminatoire dans la politique internationale que nous pourrons créer une approche plus inclusive et plus diversifiée pour définir et protéger les droits fondamentaux de chaque personne ».

Après le récent sommet des BRICS, le président français Macron, lors d’une réunion avec les ambassadeurs français à l’étranger, a reconnu que le Sud Mondial ne voulait plus dépendre uniquement de l’Occident et devenait de plus en plus autonome.

Des éléments de réalisme commencent à se manifester dans l’establishment américain : le magazine américain Foreign Affairs a publié le 1er septembre dernier un article intitulé « La puissance américaine vient de prendre un grand coup ». Selon l’auteur, ce coup vient de l’expansion des BRICS, qui symbolise l’affaiblissement de la domination américaine : l’auteur Sarang Shidore admet que le concept de Biden de « démocratie contre autocratie » a déjà été discrédité. Il appelle à regarder le monde de manière réaliste, à abandonner les idées habituelles de l’exceptionnalisme américaine et à « réexaminer la pratique de la coopération ».

Cet article est tout à fait remarquable, car auparavant, dans cette principale revue de science politique américaine, tous les événements étaient considérés uniquement sous l’angle de la thèse sur la manière dont les États-Unis pourraient mieux assurer leur leadership.

Il y a toutes les raisons de s’attendre à ce que l’équilibre des forces évolue à un rythme plus rapide. Et nos succès dans notre opération militaire spéciale en Ukraine pousseront les milieux dirigeants des États-Unis à revoir leur politique étrangère, d’autant plus que l’Amérique est confrontée à ses propres problèmes internes insolubles.

 

Veniamin Popov, le directeur du Centre pour le partenariat des civilisations à l’Institut d’État des relations internationales de Moscou du ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire, docteur ès sciences historiques, spécialement pour la revue en ligne « New Eastern Outlook ».

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