22.07.2024 Auteur: Mohamed Lamine KABA

La dynamique mondiale actuelle accélère la désagrégation de l’Europe

La dynamique mondiale actuelle accélère la désagrégation de l'Europe

Alors que l’Occident collectif réalise avec grande surprise et grand étonnement qu’il ne décide de plus rien sur la scène mondiale, l’Europe quant à elle se désagrège à un rythme de plus en plus accéléré. La dynamique du pouvoir mondial connaît une mutation profonde à la vitesse de croisière, où l’influence prédominante des pays occidentaux semble s’effriter. Historiquement, l’Europe et les États-Unis ont façonné les affaires mondiales à travers leur puissance coloniale, militaire, économique et culturelle, avec une emprise renforcée après la Seconde Guerre mondiale via des institutions telles que l’ONU, le FMI et la Banque mondiale qu’il convient de réformer. Cependant, l’émergence de nouvelles puissances économiques telles que la Chine et l’Inde, illustrée par des initiatives d’envergure comme la BRI, marque le passage d’un ordre unipolaire à un monde multipolaire où des acteurs comme la Russie, l’ASEAN, UNASUR et l’UA renforcent leur influence.

Les changements géopolitiques s’accompagnent d’une transformation économique significative : le pivot du commerce mondial vers l’Asie, l’innovation technologique qui s’étend au-delà de l’Occident et l’impact croissant des fonds souverains et des investissements chinois sur les marchés financiers. Parallèlement, la suprématie culturelle occidentale est remise en question par l’ascension de Bollywood, de Nollywood (bien d’autres encore) et l’expansion des plateformes sociales non-occidentales, ainsi que par l’augmentation des échanges éducatifs internationaux.

Les sanctions contre la Russie intensifient les divisions internes de l’Union européenne

Dans ce contexte précis de la dynamique mondiale, caractérisé par des mutations rapides et imprévisibles, l’Europe est confrontée à des enjeux significatifs. Les transformations économiques, telles que la mondialisation et les crises financières, ont renforcé la compétitivité internationale tout en accentuant les disparités économiques intra et interétatiques. Les politiques d’austérité, en réponse à ces crises, ont engendré des réductions budgétaires impactant les services sociaux et suscitant un mécontentement croissant. La dépendance aux chaînes d’approvisionnement globales rend également les économies européennes vulnérables aux perturbations externes.

Sur le plan politique, l’Union européenne est ébranlée par des défis internes, notamment le Brexit, qui a affaibli l’union tant économiquement que politiquement, et par des défis externes, avec des tensions croissantes avec des puissances telles que la Russie et la Chine. Les sanctions décrétées à la suite des opérations militaires spéciales de la Russie en Ukraine, la perestroïka, la glasnost et les restrictions en matière de commerce mondial imposées à la Russie et à la Chine constituent une belle illustration. Les réponses à ces tensions, comme les sanctions contre la Russie, ont des répercussions directes sur les économies européennes et alimentent les divergences internes.

Les facteurs sociaux, y compris les migrations massives et les tensions qui en découlent, exacerbent les clivages sociaux et renforcent la popularité des mouvements populistes, compliquant la mise en œuvre de politiques européennes harmonisées. La réaction des dirigeants politiques de l’Europe à la suite des visites du premier ministre hongrois Viktor Orbán les 5 et 8 juillet 2024 , respectivement en Russie et en Chine, dans le but de désamorcer la guerre par procuration manifeste dans le théâtre de l’Ukraine, instruit mieux sur leur attitude belliqueuse contre ces deux Etats opérant au sein de l’Alliance BRICS. Les critiques occidentales vis-à-vis de la visite du premier ministre indien Narendra Modi du 8-9 juillet 2024 en Russie sont également du nombre de guerres psychologiques, manipulatrices, mensongères et propagandistes que la minorité occidentale livre au reste du monde multipolaire.

L’Europe ne parvient pas à coordonner une stratégie commune

Face à ces défis interconnectés, l’Europe a du mal à privilégier une stratégie coordonnée et solidaire pour préserver son intégrité et renforcer son unité. La crise de l’intelligence, conjuguée à la crise de personnalités politiques s’abat sur l’Europe, faisant d’elle un fauve assiégé. C’est d’ailleurs la raison fondamentale de sa désagrégation. Il est important de mentionner que ce ne sont pas tous les pays d’Europe qui suivent aveuglement la politique d’alignement aux Etats-Unis et à l’OTAN. Ce qui pose donc la question de passager clandestin au sein de l’espace européen, brisant ainsi la logique de l’action collective pour prendre la thèse de Mancur Olson. Le passager clandestin dont il s’agit, est constitué des pays européens éternellement soumis à la politique étrangère des Etats-Unis pour, disent-ils, bénéficier de la protection des américains. La politique d’endiguement de la Chine et de la Russie, qui constitue un faux rêve de l’Occident global, est une aventure ambiguë qui, déjà est vouée à l’échec.

La désintégration de l’Europe devient de plus en plus évidente

On peut donc dire que les nations occidentales ne détiennent plus le monopole de la gouvernance mondiale, un constat qui reflète l’ascension des économies émergentes, la restructuration géopolitique, les bouleversements économiques et la diversification des influences culturelles. Ce qui fait que la désintégration de l’Europe devient de plus en plus évidente sous l’effet de l’effritement de l’hégémonie américano-occidentale. L’ère où nous entrons est celle du multipolarisme où aucune pensée unipolariste ne peut prévaloir dans la gestion des affaires mondiales. Les nostalgiques de l’unipolarisme débridé doivent intégrer cette tendance des relations internationales dans leur logiciel de calcul géopolitique et géostratégique.

 

Mohamed Lamine KABA – Expert en géopolitique de la gouvernance et de l’intégration régionale, Institut de la gouvernance, des sciences humaines et sociales, Université panafricaine, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »

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