01.03.2024 Auteur: Boris Kushhov

Le Kazakhstan et l’Italie : un partenariat modèle avec un pays de l’UE ?

Le 19 janvier 2024, la visite officielle du président du Kazakhstan en Italie a pris fin.

Au cours de sa visite en Italie, Kassym-Jomart Tokayev s’est entretenu avec le premier ministre italien, Giorgia Meloni, ainsi qu’avec le président italien, Sergio Mattarella. Lors de ses rencontres avec eux, M. Tokayev a souligné le développement dynamique du commerce bilatéral, qui avait représenté 14,5 milliards de dollars à la fin de l’année 2023. Parallèlement, il a exprimé l’espoir que ce chiffre passe à 20 milliards dans les années à venir. Dans ce cas, l’Italie comptera pour environ 1/6 du commerce extérieur total du Kazakhstan. Actuellement, ce chiffre est légèrement supérieur à 10 %. Néanmoins, l’Italie est déjà le plus grand partenaire d’exportation du Kazakhstan, ainsi qu’un investisseur étranger significatif.  Le Kazakhstan fournit du blé, des ferro-alliages, du charbon et du titane à l’Italie.

Le statut de l’Italie, seul État membre de l’Union européenne avec lequel la République a signé un accord de partenariat stratégique, n’est pas négligeable pour le Kazakhstan.

Parmi les projets prometteurs des deux pays, Kassym-Jomart Tokayev a également mentionné la reconstruction du TPP-3 d’Almaty. Ce projet est la toute première étape d’un vaste programme visant à faire passer progressivement les centrales de cogénération du Kazakhstan du charbon au gaz, conformément à l’engagement pris par le pays de lutter contre le changement climatique. Alors que le Kazakhstan a confié la création de nouvelles capacités gazières à son partenariat avec la Fédération de Russie, la reconstruction de la centrale d’Almaty se fait en partenariat avec des pays européens. Par ailleurs, au cours des entretiens, les parties ont échangé leurs vues sur le développement de la voie de transport internationale transcaspienne, dans laquelle le Kazakhstan et ses ports de la mer Caspienne joueront un rôle clé. Dans le cadre de ce projet, le Kazakhstan et l’Italie prévoient de consolider conjointement leur part dans le transit continental de marchandises entre l’Asie et l’Europe.  Il existe des perspectives de coopération entre les deux pays dans le domaine du commerce de l’uranium, dont le Kazakhstan est le premier exportateur mondial. En particulier, l’Italie prévoit de rouvrir les centrales nucléaires fermées lors du référendum de 1987 et de construire de nouvelles installations dans ce secteur.

Le programme de M. Tokayev en Italie a été complétée par sa participation à un forum d’affaires conjoint des deux pays. Dans son discours au forum, le président du Kazakhstan a annoncé la préparation de réformes à grande échelle dans la république, qui la conduiront à être aussi attrayante que possible pour les investisseurs étrangers. A l’issue de cet événement, plusieurs accords importants ont été conclus (une usine de traitement du gaz sera construite dans la région de Mangistau, une usine d’acide sulfurique dans la région de Turkestan et une entreprise de production de matériaux d’isolation thermique dans la région d’Aktobe). Au total, les parties ont signé 18 documents pour un montant total de plus de 1,5 milliard de dollars. Par ailleurs, à la suite de la visite, on a appris le projet du fonds kazakh Samruk-Kazyna et du groupe italien Cassa Depositi i Prestiti de créer un fonds d’investissement commun pour le financement de projets industriels bilatéraux.

Si l’on parle de la place du Kazakhstan dans la politique étrangère de l’Italie, il faut le considérer comme le principal, mais en aucun cas le seul partenaire parmi les républiques d’Asie centrale : ainsi, en novembre 2023, le président de l’Italie a visité l’Ouzbékistan. Par ailleurs, une réunion Asie centrale-Italie est prévue pour 2024 à Rome.  Ce fait ne fait que démontrer l’intérêt à long terme de l’Italie pour la coopération avec le Kazakhstan, qui est la plus grande économie de la région.

Le président du Kazakhstan a également été reçu par le pape, à qui le chef du Kazakhstan a offert une mosaïque représentant le lac Karakol, ainsi qu’un petit souvenir : l’« oiseau de la paix ». Les relations du Vatican avec le lointain Kazakhstan sont un peu plus intenses qu’il n’y paraît. En 2022, le pape s’est rendu à Astana, où se déroulait un congrès des dirigeants des religions mondiales et traditionnelles. Un contact limité entre les deux parties a également eu lieu en 2023, lorsque le souverain pontife qui se rendait en Mongolie a envoyé des lettres de vœux aux dirigeants de tous les pays qu’il a survolés lors de son long vol vers Oulan-Bator. Ces dernières années, la politique étrangère du pape François a inclus le désir d’établir un dialogue avec d’autres religions et cultures : Dans ce contexte, le Kazakhstan est un exemple rare d’État asiatique où les traditions des religions européennes, comme le christianisme orthodoxe, et des religions asiatiques, comme l’islam et le tengriisme, s’entremêlent harmonieusement.

A cela s’ajoute le fait que M. Tokayev a eu une réunion avec Qiu Dongyu, directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, dont le siège est à Rome. La nécessité d’une telle réunion peut s’expliquer par plusieurs facteurs : premièrement, le Kazakhstan a un plan à grande échelle pour augmenter les exportations nationales de produits agricoles. Ce programme semble être très important pour le président du Kazakhstan : c’était l’un des principaux chapitres de son programme électoral. Une autre raison pourrait être la volonté du Kazakhstan de parer aux accusations des structures politiques occidentales concernant une coopération accrue avec la Fédération de Russie dans le domaine de l’industrie, notamment en ce qui a trait à l’importation d’engrais et de semences. Actuellement, le premier argument de la république est que la rupture des liens sectoriels entre la Russie et le Kazakhstan pourrait conduire à une aggravation de la crise alimentaire globale : éviter un tel scénario est l’un des principaux objectifs de la FAO. Par ailleurs, les perspectives d’approfondissement de la coopération dans le domaine de l’agriculture ont été discutées par le Président du Kazakhstan et le Président italien.

De ce fait, la visite de M. Tokayev en Italie a prouvé son efficacité et sa productivité. Un large éventail de relations entre le Kazakhstan et l’Italie, ainsi que le Saint-Siège, a été examiné et les bases d’une coopération fructueuse dans des secteurs importants pour les parties ont été posées.  Cette visite du président de la République peut également être considérée comme un autre maillon de ses rencontres avec les dirigeants des pays de l’Union européenne (en 2023, il s’est entretenu avec le chancelier fédéral d’Allemagne et le président de la République française).

Une différence notable du voyage en Italie serait la priorité complète des questions commerciales et économiques bilatérales sur les questions politiques globales : notamment, les interlocuteurs italiens de M. Tokayev ne lui ont pas proposé d’adhérer à l’agenda politique antirusse de l’UE, contrairement à ses homologues français et allemands. Bien sûr, il peut s’agir d’une manifestation de la position plus modérée de l’Italie à l’égard de la crise ukrainienne. Cependant, l’échec d’Emmanuel Macron et d’Olaf Scholz dans leurs appels russophobes au Kazakhstan aurait également pu influencer le refus des Italiens d’« insister » sur ce sujet.

 

Boris KUSHKHOV, département de Corée et de Mongolie, Institut d’études orientales de l’académie des sciences de Russie, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »

Articles Liés