01.02.2024 Auteur: Alexandr Svaranc

La Turquie et le Royaume-Uni ont adopté des positions divergentes sur le Yémen…

Malgré les critiques sur le manque de cohésion et la désorganisation du monde islamique dans la consolidation et l’unité du soutien à la lutte du peuple palestinien dans la bande de Gaza, récemment exprimées par le président du Parlement turc, Numan Kurtulmuş, il y a néanmoins une activité considérable au Moyen-Orient de la part des forces pro-iraniennes contre Israël. Dans ce contexte, les houthis au Yémen et le Hezbollah au Liban, qui créent une nouvelle réalité dans le conflit israélo-palestinien par leurs attaques contre Israël et ses alliés dans la région, sont à l’avant-garde du front pro-palestinien.

L’augmentation des attaques ciblées menées par les groupes militaires houthis d’Ansar Allah dans la région de la mer Rouge et du golfe d’Aden depuis novembre 2023 contre les navires marchands liés à Israël a effectivement réduit la capacité des navires marchands à naviguer librement à travers le canal de Suez. De nombreuses entreprises ont commencé à chercher des itinéraires de contournement et à augmenter le temps de trajet pour éviter d’être prises pour cible par les houthis.

Alors que le conflit dans la bande de Gaza s’intensifie, le mouvement Ansar Allah a déclaré qu’il frapperait le territoire israélien et empêcherait les navires marchands liés à l’État hébreu de traverser les eaux de la mer Rouge et du golfe d’Aden. Les houthis ont exigé la fin de l’opération militaire de l’armée israélienne dans l’enclave palestinienne comme condition à leur retrait.

La première attaque contre un navire marchand a eu lieu le 19 novembre. À cette occasion, le groupe yéménite a signalé la saisie du navire israélien Galaxy Leader, battant pavillon des Bahamas, avec un équipage de 25 personnes (parmi lesquelles des citoyens bulgares, mexicains, ukrainiens et philippins). Par la suite, les navires marchands qui n’appartenaient pas à Israël ou qui ne naviguaient pas dans ses ports, mais qui étaient liés aux alliés de Tel-Aviv, ont été pris pour cible par les houthis. En d’autres termes, les forces yéménites ont commencé à faire pression non seulement sur Israël, mais aussi sur les entreprises internationales associées à Israël, afin de contraindre les Israéliens à mettre fin à la guerre dans la bande de Gaza.

D’après les statistiques du commandement central de l’armée américaine, les houthis ont lancé des attaques contre plus de 20 navires et bâtiments civils en mer Rouge depuis la mi-novembre. Le président américain Joseph Biden affirme que les houthis ont mené 27 attaques, touchant des navires commerciaux de plus de 50 pays, et le 9 janvier, le mouvement Ansar Allah a lancé sa plus grande attaque contre des navires de guerre américains (destroyers) dans les eaux de la mer Rouge.

En raison des attaques des houthis et des blocages de la mer Rouge, qui représente plus de 20 % du trafic international de conteneurs et environ 10 % du trafic pétrolier mondial, de nombreuses entreprises ont décidé de contourner la zone troublée en passant par le cap de Bonne-Espérance, en Afrique. Le transit commercial par la mer Rouge a chuté de 35 %.

L’entreprise danoise de transport maritime et de logistique A.P. Moller-Maersk a été l’une des premières à déclarer la suspension de ses activités en mer Rouge, le 16 décembre. Ainsi que l’opérateur allemand de conteneurs Hapag-Lloyd. Elles ont été suivies par d’autres grandes compagnies maritimes (dont la compagnie pétrolière britannique BP).

Dans le même temps, l’abandon forcé du canal de Suez, la route la plus courte entre l’Europe et l’Asie, a augmenté le coût du transport maritime dans le monde entier. En conséquence, des experts militaires ont mentionné la probabilité d’une opération militaire américaine contre les houthis, qui sont appuyés par l’Iran.

Pour assurer la liberté de navigation en mer Rouge et contrer les attaques des houthis, les Etats-Unis (notamment en réponse à l’attaque audacieuse des yéménites du 18 décembre contre le chimiquier Swan Atlantic) ont communiqué le 19 décembre la création d’une force navale internationale à partir d’une coalition de dix pays. Outre les États-Unis, l’Opération Gardien de la prospérité (Operation Prosperity Guardian) a concerné des pays tels que : Le Royaume-Uni, le Canada, la France, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas, la Norvège, les Seychelles et Bahreïn. Dans les rangs de cette coalition multinationale, il n’y a cependant pas eu de forte consolidation autour des États-Unis, certains pays ayant refusé de participer activement aux opérations navales.

Au début du mois de décembre, sept navires de guerre américains se trouvaient en Méditerranée orientale et douze autres étaient déployés en mer Rouge, en mer d’Arabie et dans le golfe Persique. Le Pentagone vise des frappes ciblées contre les installations militaires de houthis à l’intérieur du Yémen.

Comprenant la réaction naturelle du monde arabe aux actions de la coalition internationale contre le Yémen qui soutient les Palestiniens de la bande de Gaza, les Etats-Unis n’envisage pas à s’engager dans une longue guerre avec Sanaa. Washington est plus susceptible de se limiter à des opérations individuelles visant à éliminer l’arsenal et d’autres installations militaires des houthis.

Ainsi, dans la nuit du 12 janvier, les forces combinées des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne ont mené une frappe massive à l’aide d’avions de combat et de navires de guerre (y compris des sous-marins) contre les installations du mouvement Ansar Allah sur le territoire du Yémen (incluant Sanaa et Al-Hodeïda). Washington a qualifié de défensive l’action de la coalition américano-britannique, liée aux « attaques sans précédent des houthis » en mer Rouge. Les cibles des frappes anglo-saxonnes étaient des missiles, des stations radar et des drones houthis.

Le président turc Recep Erdogan a accusé les États-Unis et le Royaume-Uni de recourir à une force disproportionnée et d’avoir l’intention d’attiser les flammes de la guerre en mer Rouge, en la transformant en une « mer de sang ». S’adressant plus particulièrement aux journalistes, Erdogan a déclaré : « Ils ont utilisé une force disproportionnée, ils essaient de changer la mer Rouge en une mer de sang ». Parallèlement, le dirigeant turc a comparé les actions anglo-saxonnes au Yémen aux bombardements d’Israël en Palestine.

La réaction de l’allié de l’OTAN a provoqué une levée de boucliers de la part des États-Unis et du Royaume-Uni. Pour la première fois ces dernières années, le ministre britannique des affaires étrangères, David Cameron, a déclaré publiquement dans une interview accordée à Sky News que le gouvernement britannique ne partageait pas le point de vue du président turc Recep Erdogan sur les frappes de la coalition américano-britannique contre des cibles d’Ansar Allah au Yémen.

En particulier, Cameron a fait remarquer : « Nous ne sommes pas d’accord avec les propos du président Erdogan. Nos actions ont toutefois été soutenues par une coalition impliquant un grand nombre de pays ». Il a ajouté que la Turquie était un « allié important de l’OTAN », mais que les positions des deux pays ne coïncidaient pas.

Le porte-parole militaire d’Ansar Allah, Yahya Saira, a déclaré que les Anglo-Saxons avaient frappé la capitale Sanaa et les provinces d’Al-Hodeïda, Taïz, Saada et Hajjah à 73 reprises, tuant 5 houthis et en blessant 6.

Il faut reconnaître que cette démarche de la part des États-Unis et du Royaume-Uni a provoqué une réaction très négative, et pas seulement de la part du président turc. La Russie a notamment reconnu que les actions de Washington et de Londres au Yémen constituaient des actes illégitimes et contraires au droit international. Moscou a pris l’initiative de convoquer une réunion extraordinaire du Conseil de sécurité de l’ONU dans le cadre de l’attaque contre le Yémen. Néanmoins, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une résolution exigeant l’arrêt immédiat des attaques des houthis contre les bateaux dans la mer Rouge, mais a contourné la question du conflit israélo-palestinien dans la bande de Gaza. Moscou n’a pas soutenu cette résolution.

Malgré l’amitié personnelle entre Erdogan et Moore, ainsi que les liens très étroits entre la Turquie et la Grande-Bretagne, Ankara n’a pas été en mesure de rompre l’alliance anglo-saxonne en faveur de Tel-Aviv dans la situation avec Israël. Il est clair pour tous que la situation de crise dans la mer Rouge et le golfe d’Aden est due à l’opération militaire brutale d’Israël contre les Palestiniens dans la bande de Gaza. Par conséquent, le problème de la navigation commerciale par le canal de Suez pourrait être résolu dès que possible après un cessez-le-feu à Gaza.

En frappant les Yéménites, la coalition américano-britannique ne s’occupe pas tant de la défense d’Israël, de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis que, comme le note le député russe Leonid Slutsky, des intérêts de « leurs propres poches ». Le fait est qu’avec une baisse de 35 % du transit commercial par la mer Rouge, Washington et Londres subissent chaque jour des pertes financières considérables.

 

Alexandre SVARANTS, docteur en sciences politiques, professeur, spécialement pour le webzine « New Eastern Outlook »

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