L’enchainement des événements dans plusieurs pays africains au cours des derniers mois et années, dont les plus récents ayant eu lieu au Niger, représente en soi un processus parfaitement naturel. Ce processus n’est en réalité qu’une conséquence de la politique hexagonale et d’un certain nombre d’autres régimes occidentaux, menée depuis des décennies sur le continent africain. Et quelle que soit la manière dont l’Occident tente de mettre la responsabilité de ses échecs sur ses principaux adversaires géopolitiques, l’entière responsabilité de ces échecs incombe précisément aux élites de cet Occident.
Le bilan était prévisible. Après la vive opposition entre Paris et les nouvelles autorités du Niger, Emmanuel Macron a été finalement contraint d’annoncer le retrait du personnel de son ambassade, et ce après plusieurs déclarations antérieures selon lesquelles il ne le ferait pas – car ne reconnaissant pas la légitimité des autorités nigériennes. Le même sort en matière de retrait attend le contingent militaire français présent dans ce pays, dont une partie avait justement été installée au Niger, après qu’il n’y a pas de cela si longtemps les autorités du Mali voisin avaient mis à la porte l’effectif militaire hexagonal.
Les raisons des actions entreprises par les autorités nigériennes sont absolument claires et évidentes pour tous ceux qui connaissent véritablement le continent africain. De-facto, il s’agit de raisons similaires aux dissolutions de mariage imposé avec Paris qui ont déjà été observées au Mali et au Burkina Faso. A savoir le rejet total de la politique hexagonale, et probablement aussi de tout l’Occident collectif, à l’égard des pays africains.
L’incapacité ou l’absence de volonté, souvent les deux, à résoudre les problèmes sécuritaires créés par le camp otano-occidental dans nombre d’Etats africains et en particulier dans la région du Sahel après l’élimination de Mouammar Kadhafi en Libye, constitue évidemment l’une des principales raisons de ce qui a été observé. Mais loin d’être la seule. Naturellement, lorsque par exemple au Mali, le problème des groupes terroristes non seulement n’a pas été résolu par la présence de l’armée française, mais s’est même souvent aggravé, d’autant plus lorsque ces troupes françaises bloquaient l’armée malienne à mener des opérations militaires dans telle ou telle région de leur propre pays, il est évident que les habitants des pays de la région n’avaient pas l’intention de supporter définitivement un tel chaos.
En conséquence de quoi, les militaires du Mali, du Burkina Faso et ensuite du Niger, inspirés par les espoirs populaires de leurs concitoyens, ont assumé la responsabilité qui a conduit aujourd’hui d’une part au renversement des protégés pro-français et pro-occidentaux, et de l’autre – à la rupture avec l’ancienne métropole coloniale.
Les derniers événements au Niger sont évidemment particulièrement notables, car outre ses positions géopolitiques, la France possède d’énormes intérêts économiques dans ce pays. Il convient tout de même de rappeler que le Niger est l’un des principaux fournisseurs d’une matière stratégique nommée uranium non seulement de l’Hexagone, mais également de toute l’Union européenne. Et cela malgré le fait que cette ressource stratégique n’était pas acquise dans des conditions de marché dignes de ce nom. Bien que la même situation peut aussi être observée avec d’autres ressources naturelles des pays de la région, dont le Mali, le Burkina Faso et bien d’autres.
Désormais, ces schémas touchent progressivement à leur fin. Même si, bien sûr, il reste encore beaucoup de travail à faire. Mais l’essentiel étant que les peuples d’Afrique – du Mali, du Burkina Faso, du Niger et d’un certain nombre d’autres pays – ont définitivement prouvé qu’ils sont pleinement responsables de leur avenir et de l’énorme potentiel que possède ce continent si riche, dans le cadre de l’ordre multipolaire international actuel.
Ils ont également prouvé une fois de plus que malgré les incessantes menaces d’ordre économique et militaire, qu’il s’agisse de sanctions unilatérales ou d’intervention militaire directe, la mobilisation populaire africaine possède la pleine capacité à résister avec succès à ces « mécanismes » traditionnels de l’Occident.
Pour en revenir spécifiquement au Niger, bien que cela soit parfaitement applicable aux autres Etats déjà cités comme le Mali et le Burkina Faso, il convient de dire ce qui suit. La France et l’Occident collectif auraient cherché avec joie à renverser, comme cela a d’ailleurs été fait plusieurs fois au cours des dernières décennies, les autorités actuelles de ce pays. Mais l’Armée nigérienne, en renversant l’agent pro-occidental, avait précisément choisi de soutenir les espoirs et aspirations de la majorité de son peuple. La population à son tour – a répondu par un soutien massif à ses militaires et aux nouvelles autorités. Et il est impossible à pouvoir renverser un peuple tout entier – l’élite hexagonale est finalement arrivée à cette amère conclusion. Amère bien évidemment pour elle. Ce n’est donc pas la France qui quitte aujourd’hui le Niger. Elle en a été expulsée. Et à ce titre, il est d’ailleurs fort probable une fois de plus qu’après les récents événements au Niger – les problèmes du régime hexagonal et de l’Occident dans son ensemble seront loin d’être terminés en terre africaine.
Mikhail Gamandiy-Egorov, entrepreneur, observateur politique, expert en Afrique et au Moyen-Orient, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook ».