22.05.2024 Auteur: Vladimir Terehov

Le contexte géopolitique du voyage du dirigeant chinois Xi Jinping en Europe

Le voyage du dirigeant chinois Xi Jinping en Europe

Le voyage du dirigeant chinois Xi Jinping en Europe, du 5 au 9 mai dernier, a été remarquable à plusieurs égards. C’était la première fois qu’il se rendait en Europe depuis sa précédente tournée européenne, il y a cinq ans, qui comprenait une visite en France. Toutefois, le président Xi s’est déjà rendu deux fois sur le continent depuis qu’il occupe les plus hautes fonctions au sein du gouvernement et du parti de la RPC, et avant le voyage susmentionné (2019).

Il convient de rappeler que le contenu principal du deuxième de ces voyages, qui a eu lieu en janvier 2017, était un discours liminaire au Forum de Davos, dans lequel le dirigeant de la deuxième puissance mondiale, déjà virtuellement établie, a exposé sa vision du scénario le plus souhaitable pour l’évolution des processus mondiaux. Leur objectif ultime aurait dû être la formation d’une « Communauté de destin pour l’humanité », dans laquelle chacun de ses participants devrait se sentir tout à fait à l’aise.

Cependant, presque immédiatement après la prochaine tournée du dirigeant chinois en Europe (qui a eu lieu, répétons-le, en mars 2019), un certain nombre de phénomènes négatifs à l’échelle mondiale, étrangement superposés les uns aux autres, sont apparus. Il s’agit notamment de la « pandémie de Covid-19 », de la forte détérioration de l’organisme économique mondial et de l’aggravation de la situation politique en général. Cette dernière, en particulier, s’est exprimée sous la forme de conflits militaires locaux qui ont éclaté dans différentes régions du monde. Tout cela doit être considéré comme des signes (voire des « outils ») d’un reformatage radical de l’ordre mondial.

Certains résultats intermédiaires de ce processus global sont déjà perceptibles aujourd’hui. En particulier, la catégorie de « l’Occident généralisé » devient de plus en plus éphémère. Tant en général que dans ses principales composantes, qui incluent toujours l’Europe. La question de savoir ce que l’on entend par le mot « Europe » devient de plus en plus pertinente. En outre, on ne sait pas très bien ce que l’on entend par les pays individuels qui sont encore (plutôt, répétons-le, par inertie) inclus dans « l’Occident généralisé ». Cette ambiguïté ne concerne d’ailleurs pas seulement les États-Unis, qui sont presque au bord de la guerre civile.

Qu’en est-il, par exemple, du gouvernement allemand actuel ? D’un côté, le chancelier Olaf Scholz affiche sa volonté de développer les relations avec la Chine. Mais le chef de son propre ministère des affaires étrangères ne se lasse pas d’envoyer toutes sortes de philippiques à Pékin. Notamment lors de sa visite en Australie (suivie d’un voyage en Nouvelle-Zélande et aux Fidji), qui a eu lieu juste au moment de la visite discutée de Xi Jinping en Europe. Dans le même temps, le ministre allemand de la défense envoie non pas des mots, mais deux navires de la marine nationale à la même adresse. Officiellement, dans la région de la mer de Chine méridionale, mais en même temps, la presse discute de la question de savoir s’ils passeront par le détroit de Taïwan. Ce serait une provocation flagrante à l’égard de Pékin.

Ce que la France s’est abstenue de faire lors de l’exercice américano-philippin (avec la participation symbolique de l’Australie) « Balikatan », qui s’est déroulé du 22 avril au 10 mai dans cette même mer de Chine méridionale. Au cours duquel la frégate française, qui était présente, a effectué une certaine mission de « patrouille » dans le sud des eaux de cette mer. C’est-à-dire, et pourtant, en dehors de la zone des exercices proprement dits.

En outre, si l’on peut encore entendre quelque chose de plus ou moins clair de la part de la France sur la motivation de ses démonstrations militaires dans la région indo-pacifique (le territoire d’outre-mer de la Nouvelle-Calédonie, bien que très éloigné de la mer de Chine méridionale, est toujours situé dans l’océan Pacifique), il n’y a aucune raison d’attendre même de telles « explications » de la part de la République fédérale d’Allemagne.

Aux yeux des dirigeants chinois, la situation en Europe semble encore plus confuse, car on ne peut ignorer la détérioration brutale et complète des relations avec le troisième « pilier historique » de la politique européenne, le Royaume-Uni, qui est positionné sur le continent depuis des siècles. D’ailleurs, il y a près de dix ans, le Royaume-Uni a été l’objet du premier voyage de Xi Jinping en Europe, qui était alors accueilli par le Premier ministre David Cameron, aujourd’hui à la tête (selon toute vraisemblance, ces derniers mois) du ministère britannique des affaires étrangères. Et qui préfère aujourd’hui ne pas rappeler sa propre prophétie de l’époque « sur l’âge d’or à venir » dans les relations avec la RPC.

Sous son successeur Theresa May, un rapprochement entre le Royaume-Uni et le Japon, qui se positionne de plus en plus clairement comme l’adversaire géopolitique « numéro deux » de la Chine, avait déjà été esquissé. Cette évolution s’est poursuivie uniquement dans le sens de la hausse. Notons, par exemple, la coopération croissante dans le développement des dernières technologies militaires. En particulier, un programme commun de développement de la prochaine (« sixième ») génération d’avions de combat est en cours depuis plusieurs années, et l’Italie s’y est récemment jointe.

En juin de cette année, le couple impérial japonais doit se rendre au Royaume-Uni, ce qui constituera une étape extrêmement importante dans le développement des relations bilatérales. Malgré le statut cérémoniel officiel de l’empereur dans le système étatique du Japon actuel.

Toutefois, avant même cet événement, répétons-le, marquant, une autre visite en Europe du Premier ministre japonais Fumio Kishida a laissé une trace très visible dans l’évolution de la situation sur le continent. Il a quitté le continent trois jours avant l’arrivée de Xi Jinping.

La situation en Europe continue d’être affectée par la présence du leader de « l’Occident généralisé », les États-Unis. La perspective de restaurer le caractère positif des relations russo-européennes n’est pas du tout désespérée. Malgré toutes les tentatives d’ériger une barrière entre les parties, des furoncles parasites apparaissent dans la partie orientale du continent. Ils vivent en remplissant la seule fonction assignée par leurs « sponsors », à savoir l’empoisonnement de l’atmosphère paneuropéenne.

En d’autres termes, à la complexité croissante du puzzle de la situation politique en Europe (qui remet en cause sa subjectivité) se superpose la donnée de plus en plus évidente de la lutte d’influence que se livrent les principaux acteurs mondiaux sur le continent. Le continent abrite un demi-milliard de personnes qui assurent le fonctionnement de l’économie avancée.

Et l’objectif principal du voyage discuté en Europe du dirigeant d’une des deux puissances mondiales, qui a eu lieu cinq ans après le précédent, était apparemment de se faire une idée « sur place » de ce qu’est aujourd’hui un partenaire aussi important dans le système des relations internationales. Après tous les processus (pour la plupart, nous le répétons, négatifs) qui ont eu lieu dans l’arène mondiale au cours de cette période.

Entre-temps, les rapports des agences mondiales sur cette question se concentrent principalement sur l’une ou l’autre spécificité de la sphère commerciale et économique des relations bilatérales. Il ne fait aucun doute que ce domaine est extrêmement important, mais la résolution des problèmes qui y sont liés relève de la compétence des groupes d’experts, des ministres de profil et, dans la plupart des cas, des premiers ministres. C’est d’ailleurs ce qu’ils font en se rendant régulièrement visite.

Cependant, les questions accumulées par les partenaires européens à la Chine dans ce domaine sont apparemment si sérieuses qu’Ursula von der Leyen, qui est en charge de l’économie de l’UE, aurait été invitée à assister à la réunion de Xi Jinping avec le président français Emmanuel Macron. Il est tout à fait possible d’imaginer un message qu’elle aurait envoyé à l’hôte de marque avec le contenu suivant : « Cher Monsieur le Président Xi. Comme vous le savez, la Chine gagne 300 à 400 milliards de dollars par an grâce au commerce avec nous. Cependant, nous avons des raisons de penser que certaines règles du commerce international ne sont pas pleinement respectées. Pourriez-vous, s’il vous plaît, dissiper nos doutes ou prendre certaines mesures, si elles sont justes ?

D’une manière générale, il est assez fréquent qu’un dortoir soit confronté à un malentendu domestique entre deux de ses membres. Tous deux préfèrent le résoudre par un dialogue de bonne foi. Dans la grande majorité des cas, cela n’a absolument rien à voir avec le fond du problème.

Le fait que la visite du dirigeant chinois en Serbie et en Hongrie ait suivi celle de la France ne peut qu’être associé à la configuration « 14+1 » (active jusqu’à une date relativement récente), qui comprend un groupe de pays d’Europe de l’Est et la Chine. Après le départ de trois pays baltes de son prédécesseur (« 17+1 »), cette configuration a disparu des médias mondiaux pendant un certain temps. Apparemment, les dirigeants chinois s’intéressent de nouveau à elle en tant que participant potentiellement important au projet mondial de l’initiative « Nouvelle route de la soie ». Il convient de noter que l’UE s’est toujours méfiée de cette configuration, la considérant comme une source de tendances séparatistes potentielles.

Dans l’ensemble, la dernière tournée du dirigeant de la RPC dans trois pays européens, qui comprenait des discussions sur d’autres aspects de la phase actuelle du « Grand jeu mondial » (tels que les conflits armés en Ukraine et au Moyen-Orient), a été un événement notable à cet égard.

 

Vladimir TEREKHOV, expert sur les problèmes de la région Asie-Pacifique, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »

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