En guise d’introduction, la langue est un véritable facteur de la manifestation de la souveraineté culturelle d’un peuple et un excellent instrument de diplomatie permettant à un Etat de se doter d’une force dynamique sur la scène mondiale. Pour s’en convaincre, depuis la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989 et la fin de la guerre froide en 1991, les puissances hégémoniques mondiales se sont positionnées au-devant de la scène internationale chacune avec sa propre langue nationale. Dans ce contexte d’hostilité, de positionnement géostratégique et d’expansion de sphères d’influence entre les surpuissances, l’Afrique fut maintenue dans le schéma de la conférence de Berlin du 15 novembre 1884 au 26 février 1885 lors de laquelle, les puissances coloniales européennes se sont battues pour contrôler l’intérieur du continent. La langue est un puissant levier pour le maintien de ce schéma jusqu’à nos jours.
C’est dans ce périple de l’histoire politique mondiale que les anciennes puissances coloniales ont conçu, dans leurs langues respectives, des programmes de formation tous azimuts et imposés à leurs anciennes colonies afin de pérenniser leur domination multidimensionnelle. C’est ainsi que les langues africaines, y compris celles écrites furent reléguées au rang de patois de peu d’importance. Ces programmes, conçus dans une logique de sous-humanisation du peuple africain, contribuent largement à l’assujettissement des générations d’hommes et de femmes d’Afrique depuis le contact avec la mission et l’expédition Européennes d’exploration des terres profondes du continent. Ce qui fait de la domination culturelle des peuples d’Afrique, fille de la mission civilisatrice conduite sur le continent par les puissances impérialistes, notamment l’Angleterre, la France, l’Allemagne, le Portugal, l’Espagne et l’Italie.
Après donc des décennies d’utilisation de ces langues coloniales à la fois, comme langues officielles et comme langues d’enseignement dans les Etat africains, il ressort de l’examen qui découle de cette utilisation de celles-là dans les affaires politiques internes et externes de ceux-ci, que les systèmes éducatifs africains n’ont pas atteint la performance souhaitée par les peuples à la base. Cette insuffisance de performance des systèmes éducatifs nationaux répercute négativement sur la performance de l’administration publique des Etats africains. C’est pour répondre à ce défi d’ordre social, politique, économique et culturel que nous proposons aux dirigeants africains, l’introduction des langues nationales dans les programmes d’enseignement primaire (maternelle et élémentaire), secondaire (collège et lycée) et universitaire (premier cycle, deuxième cycle et troisième cycle).
Dans les lignes qui suivent, nous tenterons en toute objectivité, de démontrer l’importance de l’introduction des langues africaines dans les programmes d’enseignement primaire, secondaire et universitaire dans la lutte contre l’aliénation mentale et ensuite, nous évoquerons l’incidence de celle-ci sur le positionnement stratégique et diplomatique de l’Afrique sur l’échiquier politique mondiale.
Importance des langues africaines dans la réforme du système éducatif africain global et la lutte contre l’aliénation mentale des peuples d’Afrique
L’Afrique à la trainée de l’histoire du monde. Un peuple sans culture est un peuple qui est appelé à s’estomper sous l’effet du choc de cultures. Car, un peuple s’identifie et se reconnaît par son identité culturelle et civilisationnelle. Pour s’en convaincre, l’annale de l’histoire politique des relations internationales indique le choc de cultures entre l’Occident et l’Orient comme un facteur qui, depuis belle lurette, conduit l’humanité à la catastrophe. C’est-à-dire, le Pangermanisme versus le Panslavisme. La mutation de ce choc de cultures débouche aujourd’hui sur la prolifération de la guerre hybride qui, nécessairement invoque tout aussi une paix hybride. En d’autres termes, des guerres par procuration ou des guerres par procuration avec des alliés, comme dans le cas de l’opération militaire spéciale de la Fédération de Russie en Ukraine, qui a débuté le 24 février 2022. Les néo-nazis qui ont pris le pouvoir en Ukraine ont entamé le processus d’éviction de la langue russe des différentes sphères de l’État et de la vie publique dans le Donbas (Ukraine orientale), où le russe est parlé depuis l’époque antique de Kievan Rus. L’interdiction de la langue russe s’est accompagnée d’une terreur contre ses locuteurs, contre l’Église orthodoxe russe, où les prières se déroulaient en russe. Le Président russe a expliqué qu’il avait décidé de lancer une opération militaire spéciale dans l’intérêt des habitants du Donbas, victimes d’un « génocide de la part du régime de Kiev ».
Ainsi, les interventions militaires des Etats-Unis d’Amérique en Afghanistan, en Iraq, en Lybie, en Palestine (toujours en complicité avec l’Israël, la France et OTAN) et bien d’autres encore à travers le monde, ont généré et continuent de générer des répercussions négatives sur la stabilité des institutions africaines. Cependant, guidée par l’esprit du multipolarisme et engagée d’aider les Etats africains se remettre de la domination et de manipulation occidentales, la Fédération de Russie s’est constituée en pôle de contestation de l’ordre mondiale unipolaire imposé au reste du monde par les Etats-Unis. D’où la transposition de la guerre par procuration sur le continent africain. Quel rôle les langues africaines peuvent-elles jouer dans la lutte contre cette aliénation mentale des africains vis-vis de l’Occident global ?
La langue étant un puissant levier de la manifestation de l’identité culturelle et civilisationnelle d’un peuple, les langues africaines doivent substituer les langues héritées de la colonisation pour le stopper la sirène du néocolonialisme sur le continent. Elles pourraient permettre aux africains d’accéder à la lumière de la science qui n’est l’apanage d’aucun peuple, et donc, impersonnelle et accessible par tous les peuples du monde. De tout bon sens, la promotion et la valorisation de celles-ci pourraient à coup sûr, renverser la tendance des enseignements de servitude contenus dans les programmes élaborés sous l’expertise des occidentaux et imposés à l’Afrique pour donner un avenir lointain au néocolonialisme sur le continent. Les langues africaines apparaissent dès lors comme des facteurs d’accélération et de stimulation du progrès social, politique, économique, culturel, scientifique, technique et technologique des Etats d’Afrique. La fierté d’être et de se sentir africain s’y trouve, d’autant plus que toutes les puissances mondiales utilisent leurs propres langues. Preuve éloquente que les langues coloniales freinent le processus de développement de l’Afrique.
Incidence de la promotion, de la valorisation et de l’utilisation des langues africaines dans les affaires africaines sur le positionnement stratégique et diplomatique de l’Afrique sur l’échiquier politique mondiale
Partant de la trilogie diplomatique (le Soft-power, le Hard-power et le Smart-power), la langue transparaît comme un instrument fondamental, sans quoi, l’on ne parlerait pas de diplomatie. Les conventions de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 et sur les relations consulaires de 1964, accordent une place de choix à la langue dans la dynamique de la scène mondiale. Ce qui fait que chaque pays, à l’exception des pays africains (qui restent encore en ce 21ème siècle, attachés aux langues coloniales d’asservissement), utilise sa propre langue dans les négociations internationales bilatérales et multilatérales. L’on ne peut pas marcher sur la tête, pieds à l’air, et prétendre compétir dans une course, avec celui qui marche les pieds exactement posés sur la terre. Ceci explique mieux les conséquences tragiques des langues coloniales sur le positionnement géopolitique et géostratégique de l’Afrique sur la scène internationale.
De ce qui précède, il incombe aux dirigeants politiques de l’Afrique de comprendre cette situation qui n’a fait que duré, et d’opérer un choix courageux pour remplacer les langues héritées de la colonisation par les langues africaines. Car, les langues africaines font partie des valeurs qui définissent l’africain et sans quoi, il n’y aurait pas d’africain. Assimiler n’est pas mauvais en soi, mais s’assimiler est la pire des choses qui pourraient arriver à un peuple.
En conclusion, les langues africaines constituent une belle arme dont les africains sont appelés à se servir pour se défaire complètement de l’hybridation dans laquelle ils sont plongés et changer la configuration de l’échiquier politique mondiale, en se taillant une place enviable. Les terres africaines renferment les ressources stratégiques dont le monde a besoin pour fonctionner. Une diplomatie linguistique, accompagnée du Soft-power, du Hard-power et du Smart-power, constitue un levier accélérateur du progrès social, politique, économique, culturel, scientifique, technique et technologique de l’Afrique. Le salut des africains s’y trouve et la Russie offre la garantie de cette mutation profonde des sociétés africaines ! Alors, osez-innover !
Mohamed Lamine KABA — expert géopolitique en gouvernance et intégration régionale, Institut de la gouvernance, des sciences humaines et sociales, Université panafricaine, notamment pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »