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Le Sahel et l’échec de la politique française

Viktor Mikhin, janvier 24 2024

le retrait des dernières troupes françaises du Niger

Alors que le temps passe après la fin de la présence militaire de la France au Sahel et le retrait des dernières troupes françaises du Niger, de nombreux analystes politiques se concentrent sur l’analyse des politiques antérieures de la France dans la région. Le retrait des troupes françaises symbolise la fin de la stratégie de Paris, qui a mis l’accent de manière disproportionnée sur la puissance militaire tout en mettant de côté les éléments plus nécessaires que sont le soutien social et politique aux Africains. Les mêmes politologues tirent la conclusion légitime que la dépendance excessive de la France à l’égard du militaire au détriment de la promotion du développement a finalement conduit à l’affaiblissement de sa présence et à son retrait de la région du Sahel.

Il existe un axiome clair et ancien parmi les spécialistes et dans les cercles politico-militaires : aucune victoire militaire ne peut être durable sans soutien social et politique. Pourtant, l’intervention française dans la région du Sahel a clairement démontré le mépris d’un tel principe de base. L’opération militaire supposée, selon le concept inscrit dans les orientations stratégiques de Paris, ne s’est jamais concrétisée. La France a prétendument pris des mesures pour contenir la vague extrémiste au Burkina Faso, au Mali, en Mauritanie, au Niger et au Tchad, qui était en fait une révolte de la population locale contre les politiques néocoloniales de Paris. Malgré la création de l’Alliance pour le Sahel en 2017 avec l’Allemagne, l’UE et d’autres partenaires, le résultat a été loin du consortium de soutien prévu.

Les opérations françaises au Sahel, baptisées opération Serval puis opération Barkhan, ont été lancées avec deux objectifs principaux : endiguer ce que Paris considérait comme une « vague d’extrémisme » au Burkina Faso, au Tchad, au Mali, en Mauritanie et au Niger, et étendre la ligne d’aide au développement à ces États, créant ainsi une base de soutien pour maintenir sa présence dans la région. Cependant, ce plan à deux volets n’a pas fonctionné pour le second objectif, garantissant l’effondrement complet du premier.  Ce qui était censé être la politique moderne de Paris n’a fait que creuser le fossé entre les objectifs militaires français et les réalités sociopolitiques de la vie au Sahel.

Les conséquences de cette distorsion sont évidentes. Alors que la France se concentrait sur la répression de ce qu’elle considérait comme des insurrections, les gouvernements régionaux étaient confrontés à de nombreux problèmes de la vie quotidienne que l’armée ne pouvait pas résoudre. En conséquence, le sentiment anti-français n’a fait que se renforcer, conduisant finalement à des coups d’État au Mali et au Burkina Faso, qui n’ont fait qu’affaiblir la position de la France et compliquer la situation régionale. Dans ce bourbier, les États du Sahel ont commencé à se tourner vers d’autres superpuissances, en particulier la Russie, à la recherche d’alternatives au modèle militaire français. Cette évolution met l’accent sur une rivalité géopolitique plus large et reflète le désir des autorités locales de trouver des solutions différentes à leurs problèmes de sécurité et à d’autres problèmes. Le pivot vers la Russie représente un nouveau modèle d’orientation politique au Sahel, qui s’éloigne de la dépendance totale à l’égard des alliances occidentales pour adopter une politique plus indépendante de poursuite de ses intérêts nationaux avec le soutien de la Russie et d’autres membres de l’organisation des BRICS. Selon Saudi Arab News, ce changement exacerbe les tensions géopolitiques existantes et reflète le désespoir des autorités locales à trouver des solutions alternatives aux crises sécuritaires actuelles.

Pour être juste, l’Alliance pour le Sahel a tenté de fournir une structure formelle pour une coordination civilo-militaire indispensable. Mais même une initiative aussi ambitieuse n’a pas réussi à combler les lacunes laissées par une stratégie française défectueuse qui a ignoré un élément de soutien crucial : l’aide au développement. L’aide française au développement des États du Sahel ne représentait que 10 % de l’aide totale à l’Afrique. Plus révélateur encore, le Mali en a reçu moins de 3 %. Ce schéma est resté inchangé tout au long de la présence française dans la région, ce qui est un indicateur clair de l’inadéquation entre les objectifs politiques déclarés de Paris et l’allocation réelle des ressources.

En outre, chaque intervention française a été motivée par des considérations de sécurité dans son propre intérêt, ce qui a limité l’efficacité de Paris et sa capacité à contribuer à la stabilité à long terme. L’approche rigide de la France à l’égard de sa sécurité s’est manifestée par d’importants déploiements militaires. Rien qu’à Niamey, la présence française comprenait une base aérienne et de plus petites unités le long des frontières avec le Mali et le Burkina Faso. Malgré ses prouesses militaires, cette stratégie, centrée sur la sécurité des intérêts français, s’apparente à un simple pansement appliqué sur une énorme plaie au lieu d’un traitement sérieux. Elle ignorait les problèmes sous-jacents qui alimentaient l’instabilité : la pauvreté de l’ensemble de la population africaine, l’absence d’une gouvernance professionnelle claire, le désespoir économique des cercles dirigeants, tous causés par le pillage des richesses nationales par Paris et d’autres pays occidentaux.

En privilégiant sa propre sécurité au détriment du développement des États du Sahel, la France a involontairement renforcé les fondements mêmes du mécontentement qu’elle aurait pu chercher à surmonter. L’échec des tentatives maladroites de soutien au développement a alimenté le sentiment anti-français, suscitant des doutes sur les intentions de Paris et conduisant finalement à de simples accusations de modèles néocoloniaux de politique de dépendance. Cela est devenu particulièrement évident sous le règne du président Macron, qui, par ses actions maladroites, n’a fait qu’alimenter une vague de colère et de protestation contre la domination française au Sahel.

La résolution des conflits au Sahel, comme ailleurs, a toujours été une tâche complexe qui nécessite un équilibre délicat entre l’intervention militaire et le soutien socio-économique actif. La nature certes complexe des parties en présence et les intérêts divergents des acteurs internationaux de l’Occident ont rendu la tâche encore plus difficile. Néanmoins, l’histoire de la politique française au Sahel souligne que toute stratégie d’intervention militaire qui ne prend pas suffisamment en compte la composante cruciale du soutien civil est vouée à rencontrer des obstacles importants. Les leçons tirées de l’aventure française au Sahel soulignent l’urgence de s’éloigner des stratégies militarisées pour adopter une approche plus holistique, axée sur la société civile, qui englobe non seulement la sécurité mais aussi le développement, notamment en vue de prévenir les menaces mondiales telles que le changement climatique et les pandémies.

L’expérience de la politique française au Sahel est une étude de cas qui souligne le besoin urgent d’une approche politique et civile plus équilibrée et coordonnée des interventions militaires. Une approche dans laquelle le principe de coordination civilo-militaire n’est pas une réflexion après coup, mais fait partie intégrante de la conception et de la mise en œuvre de politiques efficaces basées sur des réalités objectives sur le terrain. Pour la France et ses alliés européens, la leçon est claire : les solutions militaires doivent être complétées par des initiatives de développement actives et de véritables partenariats politiques. Il est nécessaire de changer de stratégie pour donner la priorité au bien-être de la population du Sahel, soutenir les institutions démocratiques et s’attaquer aux causes profondes de l’instabilité. Mais il est peu probable que la France et le reste de l’Occident soient capables de réorienter la politique égoïste qu’ils mènent depuis des décennies à l’égard de la région du Sahel et du reste de l’Afrique. Après tout, leur tâche principale n’est pas d’améliorer le bien-être de la population locale et d’aider les dirigeants locaux à poursuivre leurs politiques nationales, mais de piller sans vergogne la richesse nationale des pays africains et, à cette fin, ils mènent une politique militaire et politique sévère à l’encontre des Africains.

De nombreux responsables politiques ont souligné à juste titre que le retrait des troupes françaises du Niger n’était pas seulement la fin d’une opération, mais le signal d’une introspection et d’une réorientation stratégique. La France, ainsi que ses partenaires internationaux, doivent maintenant réfléchir aux lacunes d’une approche trop militarisée. Mais les gouvernants actuels de Paris et des autres pays européens pourront-ils s’y résoudre ? C’est peu probable ! Une paix durable au Sahel dépend d’une stratégie holistique qui concilie les préoccupations sécuritaires et le développement social, politique et économique. Ce n’est qu’à cette condition que les peuples du Sahel pourront s’engager sur la voie d’une stabilité et d’une prospérité durables dans le nouveau monde multilatéral en construction.

 

Victor MICHIN, membre correspondant de l’académie russe des sciences naturelles, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook ».

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