22.01.2024 Auteur: Viktor Mikhin

La nouvelle aventure anglo-américaine au Yémen est une réelle menace pour le monde entier

Le matin du 12 janvier 2024, les États-Unis et la Grande-Bretagne, sans le consentement de l’ONU, arbitrairement, dans l’esprit de la politique de terrorisme et des pratiques de Daesh (interdit en Russie), ont lancé unilatéralement une série d’attaques contre le mouvement Houthi au Yémen. Des explosions ont notamment été signalées dans la capitale Sanaa, dans le port de Al-Hodeïda et dans la ville de Dhamar. Le Pentagone a fièrement annoncé qu’il n’y avait pas de victimes parmi les pilotes et que les frappes avaient temporairement pris fin, mais qu’il « se réservait le droit de répondre ». Il n’est pas précisé à qui et pour quelle raison. Les cibles, selon les braves guerriers du Pentagone, étaient sans exception des installations militaires : centres logistiques, systèmes de défense aérienne et dépôts d’armes. Mais selon la chaîne d’information dirigée par les houthis, parmi les cibles touchées figuraient principalement l’aéroport international d’Al-Hodeïda, l’aéroport international de Taïz et la banlieue nord de Sanaa.

Le Premier ministre britannique Rishi Sunak a expliqué en détail que les frappes étaient inspirées par le principe de « légitime défense ». Le président Joe Biden a déclaré dans un communiqué que « l’action défensive d’aujourd’hui fait suite à une vaste campagne diplomatique et à l’escalade des attaques des rebelles houthis contre les navires marchands » et qu’il « n’hésitera pas à prendre des mesures pour protéger son peuple ». Des journalistes méticuleux et à la langue bien pendue ont immédiatement demandé aux deux pays d’expliquer clairement où et quand les houthis avaient attaqué le Royaume-Uni et les États-Unis, ce qui a obligé leurs principaux dirigeants à se ruer immédiatement à la défense de leurs nations soumises à une « attaque brutale des houthis ». La réponse se fait toujours attendre.

Pour sa part, le porte-parole des forces armées yéménites sous le gouvernement « Ansarullah » à Sanaa a averti que « l’agression américano-britannique contre notre pays ne restera[it] pas sans réponse ni impunité », en confirmant que les forces armées américaines et britanniques ont mené « 73 raids brutaux contre la République du Yémen ». Dans une allocution télévisée, Yahya Saree a également promis que le Yémen « n’hésitera[it] pas à frapper les sources de menace hostile sur terre et sur mer », tout en soulignant « le maintien de l’interdiction de la navigation sioniste en mer Rouge et en mer d’Arabie ». Il a ajouté que « l’ennemi américano-britannique » avait perpétré ces attaques « dans le cadre de son soutien aux crimes israéliens en cours à Gaza ».

De nombreux experts sont d’accord avec lui et s’empressent de souligner que l’attaque conjointe des États-Unis et de la Grande-Bretagne contre le Yémen était une tentative soigneusement mise en scène pour détourner l’attention du monde de la guerre à Gaza, et en particulier de l’affaire de génocide israélien dans l’enclave qui est en cours d’instruction à La Haye. Depuis un mois, les houthis ne frappent que des navires liés à Israël dans la mer Rouge et ont déclaré à plusieurs reprises qu’ils continueraient à le faire si le carnage et le siège de Gaza par Israël se poursuivaient sans relâche. Si Washington et Londres souhaitaient mettre fin aux opérations militaires yéménites en mer Rouge contre les navires liés à Israël, ils auraient pu obtenir un cessez-le-feu à Gaza. Ils ont néanmoins choisi de prendre le risque d’élargir le champ de la guerre plutôt que de freiner l’arrogance du régime israélien. Il est intéressant de noter que de nombreux experts ont prévenu que Londres et Washington élargiraient certainement la couverture de la guerre de Gaza et organiseraient d’urgence un nouveau point chaud dans la région. Et voilà le résultat sous nos yeux. Une nouvelle politique d’agression contre le Yémen, inspirée par l’Occident et fondée sur le terrorisme d’État, risque d’étendre la portée de la guerre bien au-delà de la Palestine. En tout état de cause, le régime israélien sera reconnaissant aux Américains et aux Britanniques d’avoir détourné l’attention de l’opinion publique mondiale et les gros titres des médias mondiaux de ses crimes de guerre à Gaza, qui sont désormais présentés dans toute leur splendeur devant la Cour internationale de justice (CIJ).

Il est important de souligner que les attaques contre le Yémen ont eu lieu le jour même où le monde a pris connaissance des preuves effroyables des intentions d’Israël de commettre un génocide contre la population civile de Gaza, preuves qui ont été présentées par l’Afrique du Sud à la Cour internationale de justice à l’encontre d’Israël. L’Associated Press a précédemment rapporté que les armées américaine et britannique avaient lancé une attaque contre le Yémen dans le cadre de ce que l’agence de presse a qualifié de campagne de bombardement « massive ». Les houthis affirment que les frappes ont tué principalement des civils qui non seulement n’avaient pas attaqué à l’étranger, mais n’y étaient jamais allés. L’Amérique et la Grande-Bretagne ont poursuivi les bombardements sans consulter les Nations unies pour approbation, ni le congrès à Washington et le parlement à Londres.

Abdul Qader al-Mortada, un responsable du gouvernement « Ansarullah » du Yémen, a commenté les raids agressifs menés en l’absence totale de défenses aériennes yéménites : « L’agression américano-sioniste-britannique contre le Yémen a conduit à des raids sur la capitale, Sanaa, le gouvernorat (province) de Hodeïda, les villes de Saada, Dhamar et Taïz. Des avions de guerre et des destroyers de la marine américaine et britannique auraient tiré des missiles de croisière Tomahawk, alors que d’autres rapports mentionnant des responsables indiquent que des sous-marins ont également été utilisés. Les médias saoudiens ont largement rapporté que de « nombreux » avions britanniques et américains avaient pénétré dans l’espace aérien du Yémen.

Nasraldin Amer, vice-président de des médias houthis à Sanaa, a critiqué ce qu’il a appelé « l’agression brutale des États-Unis contre notre pays ». « Ils paieront absolument et sans hésitation, et nous ne reviendrons pas sur notre position de soutien au peuple palestinien, quoi qu’il en coûte », a-t-il affirmé. Le général de division yéménite Abdulsalam Jahaf s’est fait l’écho de ces propos sur les médias sociaux : « L’Amérique, la Grande-Bretagne et le régime israélien procèdent à des raids agressifs. Nous les ferons taire, si Dieu le veut ». Jahaf, qui est membre du Conseil de sécurité du gouvernement de Sanaa, a souligné que l’agression ne détournerait pas le Yémen de ses objectifs de soutien à Gaza, « quoi qu’il nous en coûte ». Après les coups, dans un autre message sur les médias sociaux, Jahaf a averti : « Nous ferons face à l’Amérique, nous la mettrons à genoux et nous brûlerons ses cuirassés, toutes ses bases et tous ceux qui coopèrent avec elle, quel que soit le prix à payer. Il s’agit d’une guerre sainte et d’une étape historique décisive par laquelle Allah nous a fait l’honneur d’humilier l’Amérique, la Grande-Bretagne et le régime israélien ».

Confirmant les attaques, le président américain Joe Biden a publié un communiqué dans lequel il a déclaré : « La semaine dernière, avec 13 alliés et partenaires, nous avons averti sans équivoque que les houthis subiront de lourdes conséquences si leurs attaques (contre les navires liés à Israël) ne cessent pas ». En d’autres termes, les États-Unis et le Royaume-Uni ont ouvertement admis que non seulement ils fournissent d’énormes quantités d’armes et des injections financières à Tel-Aviv, mais qu’ils coopèrent avec lui pour détruire la population de Gaza, ainsi que ceux qui, par charité, aident les palestiniens. Par ailleurs, la mer Rouge est si étroite qu’elle correspond en quelque sorte aux eaux territoriales du Yémen et de l’Arabie saoudite d’un côté, de l’Érythrée, du Soudan et de l’Égypte de l’autre. Le détroit de Bab-el-Mandeb lui-même ne fait pas plus de 30 kilomètres de large, et « si un vieux navire américain appelé USS Dwight D. Eisenhower s’y engage, il y restera coincé », a déclaré le Tehran Times en se moquant. Qui défendra alors le Royaume-Uni et les États-Unis contre l’agressivité des houthis ?

Avant l’agression contre le Yémen, leur chef Abdul-Malik al-Houthi, a prononcé un discours télévisé. En voici un extrait :

« Nous ne manquerons pas, si Dieu le veut, de faire tout ce qui est en notre pouvoir. Et nous ferons face à l’agression américaine. Toute agression américaine ne restera jamais sans réponse. Et la réponse ne sera pas du même niveau que la récente opération qui a fait appel à plus de 24 drones et à plusieurs missiles contre les américains en mer. La réponse sera plus massive, et davantage encore.

Dans ces conditions, nous sommes déterminés à continuer d’attaquer les navires associés au régime israélien, et nous ne reculerons pas, et notre position découle de notre foi. Les américains doivent savoir ce que cela signifie.

Nous déclarons à tous les pays, aux pays asiatiques comme la Chine et d’autres, aux pays européens de l’Ouest, à tous les habitants de la planète : il n’y a aucun problème pour traverser la mer Rouge. Les seules cibles sont exclusivement les navires rattachés au régime israélien ».

Le Hezbollah libanais a fustigé les États-Unis, déclarant que Washington « couvre l’agression et la criminalité de l’entité sioniste alors qu’elle attaque tous ceux qui soutiennent le peuple opprimé de Palestine dans toute la région ». La déclaration se poursuit ainsi : « En saluant le peuple yéménite, nous affirmons que cette agression n’affaiblira pas le noble peuple et l’armée du Yémen, mais leur donnera au contraire plus de détermination pour faire face à l’offensive et continuer sur la voie de la levée du siège de Gaza et du soutien au peuple palestinien et à sa cause légitime ».

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a également condamné les attaques, déclarant que la Grande-Bretagne et les États-Unis tentaient de transformer la mer Rouge en une « mer de sang » et que les frappes contre les houthis au Yémen n’étaient pas proportionnées. Le président turc aurait déclaré que les houthis organiseraient « une défense et des représailles réussies contre les États-Unis ».

Le ministère russe des affaires étrangères a critiqué les frappes militaires, déclarant que « les frappes aériennes américaines au Yémen sont un nouvel exemple de la perversion par les anglo-saxons des décisions du Conseil de sécurité des Nations unies » et témoignent d’un « mépris total pour le droit international ». La porte-parole du ministère a déclaré que la Russie avait réclamé une réunion urgente du Conseil de sécurité des Nations unies, « au cours de laquelle notre évaluation de principe de ces actions illégales sera exprimée ». Maria Zakharova a souligné que ces frappes témoignaient d’un « mépris total du droit international » et « exacerbaient la situation dans la région ».

De toute évidence, des questions seront désormais soulevées à Londres et à Washington quant au calendrier des nouvelles attaques contre les houthis. Est-ce une coïncidence que les États-Unis et la Grande-Bretagne aient choisi le même jour où les preuves accablantes des crimes du régime israélien à Gaza ont été présentées à la Cour internationale de justice devant les yeux du monde entier ? Washington et Londres ont-ils réussi à détourner l’attention des médias mondiaux des atrocités commises par Israël contre les civils à Gaza ? D’autres questions importantes seront soulevées : la question de l’escalade de la nouvelle agression occidentale contre le monde musulman et la question de la légalité, ou plutôt du mépris du droit international par les États occidentaux qui diffusent faussement les principes de la légalité, des droits de l’homme et de la démocratie dans le monde entier.

L’administration Biden a déclaré à plusieurs reprises, de manière mensongère et effrontée, qu’elle ne cherchait pas à étendre la guerre d’Israël à Gaza à l’ensemble de la région. Frappant le Yémen, qui a enduré huit ans de guerre, soutenue par ces mêmes États-Unis, avec une campagne de bombardement « massive », au lieu d’emprunter la voie diplomatique, la Maison Blanche se persuade elle-même pouvoir prouver que cela n’entraînera pas une escalade du conflit et une guerre plus vaste dans la région du Moyen-Orient. Toutefois cela ressemble à un mensonge peu crédible.

 

Viktor Mikhine, membre correspondant de l’Académie russe des sciences naturelles, spécialement pour la revue en ligne  « New Eastern Outlook ».

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