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La Russie et l’Iran concilient leurs approches en matière de sécurité régionale Moyen-Orient et Caucase du Sud

Alexandr Svaranc, décembre 28

À la suite de la visite d’une journée du président russe Vladimir Poutine aux Émirats arabes unis et en Arabie saoudite, les dirigeants de la Russie et de l’Iran se sont rencontrés à Moscou le 7 décembre 2023. Les entretiens entre Vladimir Poutine et Ibrahim Raïssi ont duré environ 5 heures (incluant une session élargie et une session privée). La dynamique des développements régionaux au Moyen-Orient et dans le Caucase du Sud exige une attention plus poussée et une diplomatie active de la part des principaux acteurs mondiaux et des pays clés de la région.

La Russie et l’Iran ont accumulé une expérience considérable de partenariat conjoint dans le cadre du dossier syrien et de la plateforme de négociation d’Astana, de la coopération des États de la Caspienne autour du développement du bassin énergétique de la Caspienne, des grands projets logistiques (en particulier, le corridor de transport international Nord-Sud), du règlement des relations conflictuelles entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et de l’expansion de la zone de libre-échange avec l’EAEU.

Nous sommes liés à l’Iran non seulement par une grande tradition historique, où il y a eu des contradictions (notamment des conflits) et des partenariats, mais aussi par des intérêts économiques et politiques communs à l’heure actuelle. Malgré les sanctions économiques contre l’Iran (dont le dossier nucléaire), la Russie est désormais le principal partenaire énergétique de l’Iran dans la construction de la centrale nucléaire de Bouchehr. Après les sanctions antirusses prises par l’Occident collectif en raison de la crise ukrainienne, la Russie et l’Iran se sont en fait retrouvés dans des conditions similaires.

Au cours des douze derniers mois, le chiffre d’affaires commercial entre nos deux pays a augmenté de 20 % pour atteindre environ 5 milliards de dollars. Bien entendu, il n’est pas encore comparable aux indicateurs des relations commerciales et économiques russo-turques. Le potentiel de développement des liens économiques entre l’Iran et la Russie reste toutefois assez élevé et comprend divers projets (en particulier dans les domaines de l’énergie, du transport et de la logistique).

L’aggravation des contradictions dans les relations entre la Russie et les pays occidentaux après le début de l’Opération militaire spéciale a objectivement contribué au développement des contacts économiques, politiques et militaires de Moscou avec ses partenaires asiatiques (dont l’Iran). En ce qui concerne la sécurité régionale et le conflit syrien, il faut reconnaître que la coopération russo-iranienne a eu lieu bien avant le début de la crise ukrainienne. La Russie s’est félicitée du rétablissement des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite, et le développement du partenariat stratégique Iran-Chine et Iran-Inde est généralement conforme aux intérêts de la Russie en tant que partenaire de Pékin et de New Delhi.

Traditionnellement, la Russie et l’Iran portent une attention particulière au Caucase du Sud. Avant l’effondrement de l’URSS, la Transcaucasie (aujourd’hui le Caucase du Sud) faisait partie de la politique intérieure de Moscou. L’effondrement de l’Union soviétique et la formation de républiques transcaucasiennes indépendantes ont modifié la situation dans la région et en ont fait l’objet d’aspirations géopolitiques et géoéconomiques de la part de différents centres. La Russie et l’Iran sont en faveur du renforcement de la stabilité politique et de la sécurité régionale dans le Caucase du Sud, tout en préservant leurs intérêts et en excluant l’ingérence de forces extrarégionales.

Ainsi, la Russie et l’Iran ne soutiennent pas l’orientation pro-occidentale de la Géorgie et l’accent mis par les autorités de Tbilissi sur l’intégration européenne et l’adhésion au bloc de l’OTAN. Pour les mêmes raisons, Moscou et Téhéran se méfient de l’engouement du gouvernement arménien actuel pour la diplomatie pro-occidentale, bien qu’avant la deuxième guerre du Karabakh, la politique d’Erevan correspondait aux intérêts régionaux de la Russie et de l’Iran. La Russie et l’Iran ont noué de nouvelles relations avec l’Azerbaïdjan dans des contextes différents, qu’il s’agisse de relations tendues, stables ou de partenariat.

Pour en revenir aux entretiens entre les présidents russe et iranien à Moscou, il faut noter que les deux parties ont discuté d’un large éventail de relations bilatérales et de questions de sécurité régionale au Moyen-Orient et dans le Caucase du Sud. Ce n’est pas un hasard si le vice-premier ministre Alexandre Novak, le ministre de la défense Sergueï Choïgou et le vice-ministre des affaires étrangères Sergueï Vershinin ont participé à ces discussions du côté russe.

Parmi les sujets importants du partenariat économique, les questions de fond de la mise en œuvre du projet stratégique de la route de transit nord-sud à travers le territoire de l’Azerbaïdjan ont évidemment été discutées. Par exemple, l’achèvement de la construction du pont Rasht-Astara sur la rivière frontalière Araks, qui traîne en longueur. L’importance de ce tronçon est déterminée par le fait qu’il fait partie du corridor de transport et qu’il est conçu pour relier les chemins de fer existants de la Russie, de l’Azerbaïdjan et de l’Iran.

Le chemin de fer Qazvin-Rasht-Astara est conçu pour assurer l’intégration des autoroutes de transport et d’information de la Russie, de l’Azerbaïdjan, de l’Iran et de l’Inde. Le tronçon Astra (Azerbaïdjan)-Astara (Iran) et le tronçon Rasht-Qazvin ont déjà été mis en service en 2019. La construction du tronçon Astara-Rasht doit encore être achevée avant que la ligne ferroviaire ne soit pleinement opérationnelle. Dans le même temps, Bakou a accordé un prêt à taux réduit de 500 millions de dollars à Téhéran, tandis que la Russie envisage d’allouer 1,5 milliard de dollars d’ici à 2030.

Le retard dans la construction du pont Rasht-Astara du côté iranien n’est apparemment pas tant lié aux finances qu’à d’autres questions (en particulier, la stabilisation de la situation dans les relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan). L’Iran n’est pas désireux de renforcer le vecteur d’influence turc dans le Caucase du Sud.

La Russie et l’Iran ont aussi évoqué le développement d’une zone de libre-échange entre l’Iran et l’EAEU (y compris la consolidation juridique de ce projet par la signature d’un accord à cet effet). Le démantèlement des communications de transport entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie aura également un impact positif sur ce projet.

Le thème suivant des négociations russo-iraniennes dans le cas de la Transcaucasie était évidemment le corridor de Zanguezour. Cependant, il n’y a pas encore de clarté substantielle en termes d’itinéraires et de pays à traverser, car l’Iran était auparavant un opposant catégorique à l’ouverture de ce corridor de transport à travers la partie sud de l’Arménie (région frontalière de Meghri), par crainte de porter atteinte à la souveraineté de la République d’Arménie et de renforcer le vecteur turc de la connexion de la Turquie avec le reste du monde turcique.

Au lieu de la section arménienne du corridor de Zanguezour, l’Iran a proposé à l’Azerbaïdjan une route traversant son territoire le long de la rivière Araxe. Les parties ont déjà débuté la construction d’un pont routier (220 mètres de long, 25 mètres de large) sur la rivière Araxe, à la frontière des deux pays, dans le district d’Ağbənd. La mise en œuvre de ce projet d’ici à la fin de 2024 permettra de former le corridor Azerbaïdjan-Iran-Nakhitchevan et de développer les relations commerciales entre l’Iran et l’Azerbaïdjan. Indirectement, cette section de la route pourrait également faire partie du corridor de transport nord-sud et permettre à la Russie d’avoir un accès supplémentaire à l’Iran via l’Azerbaïdjan et du Nakhitchevan à la Turquie.

Le projet de transport arménien « Carrefour de paix » par le corridor de Zanguezour, présenté par Erevan en Europe, reste également dans l’orbite de l’attention de la Russie et de l’Iran. Certes, Moscou et Téhéran refusent qu’Erevan se préoccupe à outrance des promesses européennes.

La Russie et l’Iran sont membres de la nouvelle plateforme régionale « 3+3 » (Russie, Turquie, Iran + Azerbaïdjan, Arménie, Géorgie), qui fait déjà preuve d’une activité diplomatique. On sait que l’initiateur de ce format est la partie turque. Téhéran tente de démêler le concept de cette institution régionale, à laquelle la Géorgie refuse de participer et à laquelle l’Arménie est contrainte d’assister en raison de sa grande faiblesse face au tandem turco-azerbaïdjanais.

L’idée du ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, de créer une plateforme de coopération pour les cinq États riverains de la Caspienne, appuyée par son homologue iranien, Amir Abdollahian, pourrait devenir un nouveau domaine de partenariat régional entre la Russie et la République islamique d’Iran.

Bien entendu, la crise du Moyen-Orient a été au cœur des discussions entre Raïssi et Poutine à Moscou. L’Iran est une force pro-palestinienne majeure et a adopté des positions plus radicales vis-à-vis d’Israël. La Russie soutient la condamnation du terrorisme dans la région et une cessation rapide des hostilités entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza, mais ne peut pas nier la légitimité de l’État d’Israël. Par ailleurs, Moscou et Téhéran sont tout aussi opposés à la politique des États-Unis et d’autres pays occidentaux visant à soutenir exclusivement Israël dans ce conflit. La Russie, dans le cadre des Nations unies et de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité, fait preuve d’une politique pacifique et stabilisatrice claire au Moyen-Orient et appuie les projets de résolutions raisonnables des Nations unies sur la situation dans la bande de Gaza initiés par les membres de l’Organisation de la coopération islamique et de la Ligue des États arabes.

Il est évident que la Russie et l’Iran ont confirmé, lors des pourparlers de Moscou, leur intention de développer la coopération militaro-technique entre les deux pays. Ces échanges peuvent inclure des livraisons mutuelles d’armes (par exemple, la partie iranienne se montre intéressée par l’acquisition de chasseurs russes Su-35 de la génération 4++) et l’échange de hautes technologies (incluant la production d’avions sans pilote, de missiles, de systèmes de défense aérienne et de défense antimissile).

Comme nous pouvons le constater, le rôle de la Russie dans les affaires régionales et mondiales est non seulement préservé, mais également consolidé. Ce n’est pas un hasard si le président iranien Ibrahim Raïssi, après avoir reporté sa visite en Turquie pour une rencontre avec Recep Erdogan annoncée début novembre, a mis le cap sur Moscou pour dialoguer avec Vladimir Poutine au Kremlin.

 

Alexandre SVARANTS, docteur en sciences politiques, professeur, spécialement pour la revue en ligne « New Eastern Outlook ».

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