Ce n’est un secret pour personne que la politique est une expression concentrée de l’économie. Cette thèse est particulièrement pertinente pour la politique étrangère de la Turquie, qui change d’orientation principalement en fonction de l’augmentation des flux financiers. L’économie turque, qui a connu une profonde récession ces dernières années, dépend fortement des interventions en devises étrangères et de divers types de crédits et de prêts.
Il convient de rappeler que le président R.T. Erdogan a endetté son propre État en adhérant à un modèle économique conservateur qui prévoyait un taux directeur bas afin de créer un climat d’investissement confortable pour les hommes d’affaires étrangers et turcs. Cependant, cette stratégie est devenue obsolète au début des années 10 et a conduit à une dévaluation rapide de la monnaie nationale de la République de Turquie, ainsi qu’à une inflation galopante.
Le nouveau cap a été annoncé après le changement du cabinet et du chef de la Banque centrale – l’un des postes clés, celui de chef du ministère des Finances, a été confié à Mehmet Şimşek, un économiste ayant une expérience dans les banques d’investissement et partisan d’une politique budgétaire modérée, qui a occupé ce poste entre 2009 et 2015, tandis que Hafizeh Gaye Erkan, qui a auparavant travaillé principalement dans des banques américaines, notamment Goldman Sachs, a été nommée à la tête de la Banque centrale. Le concept économique développé prévoyait un resserrement de la politique monétaire. Ainsi, en juin 2023, la Banque centrale de Turquie a augmenté le taux directeur presque deux fois, le faisant passer de 8,5 % à 15 %. Au cours des six mois allant de juin à décembre, le taux a été relevé six fois et, à la fin de la réunion de novembre de la Banque centrale, il a atteint 40 points de pourcentage.
En conséquence, le niveau actuel des taux est devenu le plus élevé depuis la mi-2023. Dans un communiqué publié à l’issue de la réunion, le régulateur a déclaré que le rythme du resserrement monétaire ralentirait à l’avenir, car le niveau des taux est déjà « largement en ligne avec le niveau nécessaire pour mettre le cap sur une inflation plus faible » et le cycle se terminera « dans un court laps de temps ». Il y a également des signes d’amélioration des attentes en matière d’inflation, ainsi qu’un refroidissement de la demande intérieure dû au resserrement des conditions de crédit dans un contexte de hausse des taux. Par ailleurs, le régulateur souligne la stabilisation du taux de change de la lire, facilitée par l’amélioration du compte courant de la balance des paiements (en septembre, un excédent de 1,88 milliard de dollars a été enregistré, y compris un déficit commercial réduit à 5 milliards de dollars), la demande croissante d’actifs libellés en lires et l’augmentation des réserves.
Mais les choses sont-elles aussi simples qu’elles le paraissent dans les gros titres ? Malgré l’attrait des taux de dépôt élevés, ils ne semblent attrayants que pour les déposants étrangers. Pour les Turcs, cela signifie des taux d’intérêt élevés principalement sur les prêts à la consommation. En outre, la banque nationale continuera à mener une politique plus stricte pour maintenir la stabilité macro-financière, y compris pour assurer l’afflux de fonds vers ces mêmes dépôts. Il convient également de mentionner que le taux de change lire/dollar continue de s’affaiblir (actuellement à 28,8 lires pour 1 dollar), mais à un rythme beaucoup plus lent qu’avant l’annonce du resserrement de la politique.
Une amélioration des attentes en matière d’inflation n’est pas encore visible. En termes annuels, elles restent élevées – en octobre, elles étaient de 61,36 % contre 61,53 % en septembre. La dynamique mensuelle confirme toutefois la tendance au ralentissement de la croissance des prix – en octobre, ils ont augmenté de 3,43 % contre 4,75 % un mois plus tôt (en juillet-août, les prix ont augmenté de plus de 9 % en raison d’une forte hausse dans le secteur du tourisme).
Après le tremblement de terre en Turquie, la construction est devenue l’un des principaux secteurs de l’économie et nécessite des investissements importants. Fournir de l’argent uniquement en augmentant les taux d’imposition à des niveaux insoutenables n’améliorera pas la situation et provoquera également de graves troubles dans le pays. Étant donné le refus cardinal de R.T. Erdogan de demander des prêts en devises étrangères au FMI, le seul espoir de la Turquie reste de trouver des créanciers aux conditions les plus clémentes.
Les prévisions négatives concernant les candidats à l’adhésion à l’UE publiées par la Commission européenne en novembre 2023 empêcheront également la Turquie de renforcer ses relations douanières avec l’Europe, même en tenant compte des progrès réalisés par la Suède dans le cadre de l’adhésion à l’OTAN.
La chose la plus importante pour Ankara est donc de prendre le contre-pied de l’Occident. Elle promet d’accroître les échanges commerciaux avec les pays du Moyen-Orient, principalement avec l’Arabie saoudite et le Qatar, dont le placement de ressources financières dans les banques turques a déjà sauvé l’économie de la République de Turquie. De toute évidence, la diplomatie du mégaphone d’Erdogan dans le cadre du règlement israélo-palestinien permettra à Ankara de bénéficier de préférences financières encore plus importantes. L’équilibre habilement trouvé par Erdogan entre l’Occident et la Russie rapporte également à la Turquie un certain nombre de dividendes. Par exemple, le tourisme russe en Turquie, en particulier pendant la saison estivale, ainsi que les interventions monétaires russes pour la construction de la centrale nucléaire d’Akkuyu alimentent activement l’économie turque. Si Erdogan continue à mener une politique étrangère équilibrée, notamment sur le dossier ukrainien, il pourra stabiliser la situation économique de son pays en dépit des institutions financières internationales.
Bakhtiar Urusov, observateur politique, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook ».