15.12.2023 Auteur: Alexandr Svaranc

La trêve dans la bande de Gaza a de nouveau laissé place à la guerre

La trêve humanitaire dans la bande de Gaza a duré près d’une semaine, du 24 novembre au 1er décembre, au cours de laquelle des otages ont été échangés et le Hamas a semblé accepter l’offre d’Israël et a libéré de nouveaux otages au rythme de 10 prisonniers supplémentaires en échange d’une journée de paix. Cependant, le 1er décembre, les parties ont repris les hostilités, tout en s’accusant réciproquement d’avoir violé les accords.

Le chef du Mossad, David Barnea, sur ordre du premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, a mis fin aux négociations au Qatar et a rappelé ses collègues en raison de la rupture des accords de la part de l’ennemi. Il est difficile de savoir si cela a réellement été le cas, étant donné les déclarations contradictoires des parties en conflit. Il n’en reste pas moins que le conflit militaire a repris.

Le Hamas a lancé une nouvelle attaque massive à la roquette sur Tel-Aviv, exposant les fragilités des défenses antimissiles israéliennes. L’armée israélienne a répondu par des frappes aériennes et des combats au sol tout aussi sévères. En parallèle, la partie israélienne néglige tous les appels, même ceux de ses principaux alliés (par exemple, les États-Unis), à ne pas étendre les hostilités au sud de la bande de Gaza. Israël bombarde toutes les parties de la bande de Gaza (incluant les parties méridionales de l’enclave et la ville frontalière égyptienne de Rafah). Le nombre de victimes physiques palestiniennes augmente rapidement et, au 4 décembre de cette année, il approchait presque les 16 000 (15899).

Ainsi, la partie israélienne a utilisé la « pause opérationnelle » dans le conflit avec le Hamas pour échanger autant d’otages que possible et pour consolider sa position de combat. De leur côté, les services de renseignement israéliens ont mis en place, dès les premiers jours de la guerre, des équipes de renseignement chargées de collecter des informations sur les lieux où se trouvaient les prisonniers. Les activités de ces formations se sont maintenues pendant les jours de la trêve humanitaire. C’est ce qu’a indiqué la représentante des forces de défense israéliennes, Anna Ukolova.

L’état-major de Tsahal a déclaré que les objectifs d’Israël, à savoir la destruction du Hamas, seraient atteints par tous les temps, et le Mossad a annoncé des opérations spéciales en Palestine et dans le monde (principalement dans les pays islamiques) afin d’éliminer tous les dirigeants du Hamas. En règle générale, les services de renseignement israéliens ne se livrent pas à la légère, et leurs avertissements atteignent tôt ou tard leur cible.

Cependant, comme nous pouvons le constater, Israël ne se contente pas d’une opération de renseignement pour éliminer les dirigeants politiques et militaires. La reprise d’une guerre à grande échelle poursuit manifestement d’autres objectifs, principalement liés à la prévention de la création d’un État palestinien indépendant sur les frontières de 1967, à la destruction et à l’intimidation maximales de la population de la bande de Gaza et à l’occupation de l’enclave palestinienne.

A ce propos, le Wall Street Journal américain, citant des milieux administratifs israéliens, rapporte que le Mossad se prépare à éliminer des dirigeants du mouvement palestinien Hamas dans le monde entier après la fin de la guerre à Gaza, des plans sont élaborés pour identifier et éliminer des dirigeants du Hamas qui vivent actuellement au Liban, au Qatar et en Turquie.

En réponse, la chaîne de télévision turque Habertürk, citant des sources de renseignement, a rapporté que l’agence de renseignement turque MIT avait fermement averti Israël de « graves conséquences » si les dirigeants du Hamas étaient poursuivis à l’intérieur de la Turquie. Les services de renseignement turcs ont d’ailleurs réussi à déjouer une opération de ce type du Mossad récemment.

En particulier, empêcher la capture du pirate informatique palestinien Omar A., qui a réussi en 2015-2016 à déchiffrer les codes secrets du système de défense antimissile israélien et à désactiver le système « Dôme de fer », qui a permis au Hamas de lancer une attaque massive de missiles sur Israël au début de cette guerre. En 2020, Omar A. s’est provisoirement installé en Turquie, puis a été arrêté par des agents du Mossad en Malaisie à la fin du mois de septembre 2023. Des informations opportunes ont permis au MIT de la Turquie, grâce à un partenariat avec les services de renseignement malaisiens, d’empêcher ce détournement et d’arrêter 11 officiers du Mossad à Kuala Lumpur. Un agent du Mossad a ensuite été placé en détention à Istanbul. Omar A. lui-même reste surveillé par les services de renseignement turcs et poursuit ses activités professionnelles.

Cet exemple peut indirectement témoigner d’une certaine complicité des services de renseignement turcs dans la préparation de l’opération militaire du Hamas contre Israël, car le pirate Omar n’a guère agi en solitaire et son sort a été pris en charge par l’ensemble des services de renseignement turcs. Naturellement, les connaissances techniques d’un tel pirate peuvent être utilisées par les agences de renseignement dans leurs jeux opérationnels ultérieurs.

Le président turc Recep Erdogan s’est une nouvelle fois livré à des critiques et à des accusations à l’encontre du premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, le qualifiant de « boucher de Gaza » et lui prédisant le même sort que celui de Slobodan Milosevic et un procès à La Haye. Le dirigeant turc considère que Gaza est une terre palestinienne et que la protéger revient à défendre La Mecque, Médine et Istanbul. Parallèlement, Erdogan est favorable à un cessez-le-feu et à la création d’un État palestinien avec un mandat de garant pour la Turquie. Les demandes du dirigeant turc pour que l’AIEA et d’autres acteurs mondiaux vérifient la possession d’armes nucléaires par Israël et leur prohibition vont à peu près dans le même sens.

Il n’y a rien de nouveau dans les déclarations du président turc jusqu’à présent en termes de résolution effective du conflit israélo-palestinien, étant donné le rejet par Tel-Aviv de la version turque de la Palestine sur les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme centre et le rôle de garant d’Ankara.

Plus précisément, début décembre, Reuters rapporte qu’Israël a notifié à l’Égypte, à la Jordanie, à l’Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis et à la Turquie son intention de mettre en place une « zone tampon » à la frontière avec la bande de Gaza après la fin de la guerre. Le conseiller en politique étrangère du Premier ministre israélien, Ophir Falk, évoquant l’idée d’une « zone tampon », a déclaré que ce « plan est plus détaillé » et qu’il « repose sur un processus en trois étapes » après la défaite du Hamas dans la bande de Gaza. Plus précisément, il s’agit de : 1) la destruction du Hamas, 2) la démilitarisation de la bande de Gaza et 3) la déradicalisation de l’enclave palestinienne. La « zone tampon » devrait faire partie de la troisième phase.

Le politologue Tural Kerimov estime à juste titre que le dernier conflit israélo-palestinien oblige toutes les parties intéressées à se concentrer non pas sur les conséquences de ce conflit, mais sur ses causes. Toutefois, les parties ne parviennent pas à trouver un accord sur ce que devrait être le nouvel État palestinien. Effectivement, jusqu’à présent, nous disposons de deux positions tranchées :

1) turque, c’est-à-dire l’indépendance de la Palestine dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale et le mandat de la Turquie pour en être le garant ;

2) israélienne, à savoir la destruction du Hamas, la démilitarisation et la déradicalisation de la bande de Gaza et la formation d’une « zone tampon ».

Comme on peut le constater, il s’agit de deux plans et démarches qui s’excluent mutuellement. La plupart des acteurs extérieurs se sont jusqu’à présent contentés d’observer les réactions d’Israël et de l’Orient arabe (et même plus largement islamique). Les principaux États de l’Orient arabe n’ont pas commenté la proposition d’Israël.

Par exemple, les Émirats arabes unis ont indiqué qu’ils seraient satisfaits s’il y avait un cessez-le-feu dans la zone de conflit et si les parties s’accordaient sur des compromis mutuellement acceptables. Notamment : « Les Émirats arabes unis soutiendront tout accord futur d’après-guerre convenu par toutes les parties concernées ». C’est tout et rien de concret à la fois. En d’autres termes, Abu Dhabi essaie de se débarrasser du poids de la responsabilité politique sur la question palestinienne. Où est la garantie que s’il n’y a pas eu de compromis entre Palestiniens et Israéliens depuis 1947, ils surgiront soudainement en décembre 2023 ?

Israël cherche à faire avancer son plan par la prépondérance sur le terrain, autrement dit par la force, en infligeant une défaite militaire dévastatrice au Hamas et en réduisant autant que possible le nombre de Palestiniens dans la bande de Gaza. Ce faisant, ils proposent régulièrement à la Turquie d’accueillir des réfugiés palestiniens hostiles devant être expulsés.

La Turquie, quant à elle, insiste sur sa propre solution de la question palestinienne dans l’espoir de renforcer son prestige international et son influence dans le monde islamique, c’est-à-dire par des moyens politiques (et non par la force). Après tout, la Turquie n’est pas assez indépendante pour décider seule d’une coalition militaire contre Israël (c’est-à-dire contre les États-Unis).

Telles se présentent les réalités de la crise au Moyen-Orient.

 

Alexandre SVARANTS, docteur en sciences politiques, professeur, spécialement pour la revue en ligne « New Eastern Outlook »

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