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Les déclarations politiques de la Turquie sans suite dans la pratique

Alexandr Svaranc, décembre 11

Le conflit israélo-palestinien a de nouveau propulsé le Moyen-Orient au premier plan de la presse et de la politique mondiales. Au deuxième mois de la guerre en cours, il est clair (tout comme dans les périodes précédentes de conflit prolongé sur le sort de la Palestine) que le monde est partagé dans ses évaluations et ses réactions.

Les États-Unis et la majorité des pays européens continuent d’adopter une position pro-israélienne sans ambiguïté, tant sur le plan déclaratif que dans la réalité. Le monde islamique paraît officiellement soutenir la Palestine au niveau des déclarations, des menaces verbales et des inquiétudes. Toutefois, nous ne voyons aucune action décisive de la part de l’Orient arabe ou des pays du monde islamique dans son ensemble pour adopter une approche cohérente, unifiée et résolue à propos d’Israël. Et la diplomatie turque est exemplaire à ce sujet.

Le président Recep Erdogan a d’abord essayé, après les événements du 7 octobre, lorsque l’attaque terroriste massive du Hamas contre Israël était évidente, de faire une pause et de s’exprimer en tant que médiateur impartial. À l’époque, Ankara a appelé à un cessez-le-feu et à la paix et a proposé de convoquer une conférence internationale représentative dans le but d’établir un État palestinien centré sur Jérusalem-Est avec des garanties de sécurité de la part de la Turquie. Cependant, les initiatives de la Turquie n’ont pas été particulièrement bien accueillies par les États-Unis, et encore moins par Israël. Tel Aviv a alors répondu à Erdogan, par l’intermédiaire de son ambassadrice à Ankara, Irit Lilian, que l’heure n’était pas aux négociations mais à la riposte militaire contre le terrorisme.

Vingt jours après le début de ce conflit et le bombardement de l’hôpital baptiste Al-Ahli par les forces de défense israéliennes, le 27 octobre, la Turquie a changé d’approche à l’égard d’Israël et l’a accusé de commettre des « massacres », des « crimes de guerre » et un « génocide » contre les Palestiniens de la bande de Gaza. Le lendemain, 28 octobre, Erdogan a personnellement convoqué un « grand rassemblement palestinien », qui a réuni plus de 1,5 million de personnes. La Turquie a renoncé à qualifier le Hamas d’organisation terroriste et l’a reconnu comme une entité politique légitime menant une lutte juste pour se libérer de l’apartheid israélien. De plus, Erdogan a commencé à accuser publiquement les États-Unis et l’Occident dans son ensemble pour l’aide et le soutien à Israël.

Les nombreuses réunions entre Erdogan et son ministre des affaires étrangères Fidan avec des partenaires islamiques et d’autres partenaires étrangers ( incluant la « réception froide » du secrétaire d’État américain Antony Blinken à Ankara) n’ont cependant pas permis de concrétiser les initiatives politiques turques sur la question palestinienne.

La participation d’Erdogan au dixième sommet de l’OET du 3 novembre, où la Turquie semblait être le leader et l’autorité incontournables pour tous les membres et candidats membres de l’Organisation des États turciques (OET), n’a pas facilité l’adoption d’une résolution anti-israélienne commune. Le dirigeant turc a continué à faire de grandes déclarations et à accuser Israël de crimes graves, tandis que les dirigeants des pays turciques alliés n’ont fait qu’écouter silencieusement leur « grand frère » et se sont limités à l’intention de fournir une aide humanitaire à leurs coreligionnaires de la bande de Gaza.

Le sommet extraordinaire de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) qui s’est tenu à Riyad le 11 novembre a également empêché expressément la Turquie de prendre des mesures concertées et conjointement efficaces contre Israël. Des pays arabes clés (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Égypte, Jordanie, Bahreïn) ont en fait bloqué les initiatives de ce même Iran concernant la coalition militaire, l’embargo économique et la fermeture de l’espace aérien au-dessus d’Israël. La Turquie à Riyad ne s’est pas manifestée de manière particulièrement « combative ».

Toutefois, la rhétorique anti-israélienne à la demande d’Erdogan « ne se refroidit pas » dans la vie politique turque. Ankara a annoncé qu’elle demandait à la CPI de poursuivre le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour « crimes de guerre » et « génocide » dans la bande de Gaza. En revanche, la manière dont la Turquie, pays tiers, a déposé une telle demande par l’intermédiaire de son ministère de la justice est discutable sur le plan de la procédure. La question se pose également de savoir quelles preuves le bureau du procureur général d’Istanbul a jointes à la poursuite turque contre Netanyahou. C’est apparemment la raison pour laquelle Erdogan a chargé le chef de l’agence de renseignement du MIT, Ibrahim Kalın, de rassembler des preuves des crimes commis par l’armée israélienne dans la bande de Gaza.

Nous avons déjà noté dans nos publications précédentes que les experts associent à juste titre une telle activité du président turc à son désir d’obtenir le rôle de leader du monde islamique et le statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Ce dernier permettra à Recep Erdogan d’entrer dans l’histoire turque comme un grand leader à l’égal de Kemal Atatürk ou des sultans victorieux de l’époque ottomane (Mehmed Fatih, Selim I, Soleiman), car elle permettra à la Turquie de prendre sa place de grande puissance musulmane et de retrouver son statut impérial.

Le politologue Tural Kerimov estime que la rhétorique anti-israélienne a permis à Erdogan d’augmenter sa cote dans la région de 15 %. Autrement dit, selon T. Kerimov, il s’avère qu’Erdogan ne se préoccupe pas du véritable problème des musulmans palestiniens, mais seulement de sa popularité personnelle ?

Le ministre turc des affaires étrangères, Hakan Fidan, estime que la position de principe d’Ankara contre les actions de Tel-Aviv dans la bande de Gaza sera maintenue et que les Turcs sont même capables de rompre définitivement leurs relations diplomatiques avec Israël. Cependant, selon le plus haut diplomate turc, qui s’est exprimé dans une interview accordée à l’édition arabe d’Al Jazeera, « pour obtenir l’effet souhaité, une décision similaire devrait être prise par plusieurs pays ». La Turquie espère que les États islamiques se soutiendront mutuellement sur cette question et travailleront ensemble pour former un front uni. Sinon, il n’y aura tout simplement pas d’effet significatif. Étant donné que les États islamiques n’ont pas encore fait preuve de la même détermination que la Turquie à propos d’Israël, Ankara ne se concentre pas sur la rupture des relations avec Tel-Aviv pour le moment.

S’il n’y a pas de rupture des relations diplomatiques, bonne ou mauvaise, la Turquie entretient des liens commerciaux et économiques avec Israël (par exemple, le transit du pétrole de l’Azerbaïdjan, pays ami, vers Israël via le territoire turc).

À son tour, le président turc a promis de poursuivre sa diplomatie pour assurer l’isolement international d’Israël en lien avec ses crimes dans la bande de Gaza. Certes, comment Recep Erdogan peut-il garantir l’isolement international d’Israël si même son « petit frère » Ilham Aliyev n’écoute pas Ankara et poursuit son partenariat militaire et économique avec le gouvernement de ce même Benjamin Netanyahou ? Et qu’en est-il de l’Arabie saoudite, de l’Égypte, de la Jordanie, des Émirats arabes unis, etc.

Reuters a déclaré qu’un accord entre le Hamas et Israël, négocié par le Qatar, prévoyant l’échange de 50 prisonniers israéliens sur une liste de 200 contre un cessez-le-feu de trois jours était en cours de discussion, ce qui devrait permettre d’augmenter les livraisons d’aide humanitaire aux civils de Gaza et d’évacuer les blessés graves. La Turquie était disposée à soutenir cet accord politique par le biais d’une médiation diplomatique. Cependant, la « courte paix pour 50 prisonniers » n’a pas encore eu lieu, car Israël a exigé de ne pas séparer les prisonniers des membres de leur famille, soit 50 personnes + les membres de leurs familles qui ont été capturés.

C’est pourquoi le politologue russe Alexeï Michine note que « les déclarations et les démarches émotionnelles d’Erdogan sont compréhensibles, leur signification est évidente : il utilise le conflit au Moyen-Orient pour renforcer l’influence de la Turquie dans le monde musulman. Mais ces déclarations sont empreintes d’émotion et il est peu probable qu’elles aient une suite concrète ».

L’une des raisons expliquant l’absence de mise en œuvre pratique des initiatives turques est la position sans équivoque des États-Unis en faveur d’Israël. À son tour, l’actuel premier ministre du gouvernement israélien, Netanyahu, qualifie les accusations d’Erdogan de démagogiques et sans fondement ; de ce fait, bien entendu, Tel Aviv ne les écoutera pas et agira à sa guise.

Peut-être Erdogan, qui a publiquement rejeté toute forme de communication avec Netanyahou, compte-t-il sur la démission rapide de ce dernier et sur l’arrivée d’un nouveau dirigeant au pouvoir en Israël. Le cours des choses évolue et change, bien sûr. Mais un remplacement rapide de Benjamin Netanyahou par Yair Lapid, le chef de l’opposition, ou par quelqu’un d’autre (par exemple, un représentant du bloc au pouvoir, le Likoud, qui a perdu la moitié de sa popularité, ou Avigdor Lieberman, le chef du parti Notre Maison Israël, qui est entré dans le gouvernement d’urgence le 16 octobre) est un mystère qui n’est révélé qu’à la communauté politique israélienne (et peut-être aussi aux Américains) et à Dieu seul. Mais dans tous les cas, les politiciens de l’État hébreux conservent une bonne mémoire et connaissent mieux que quiconque leurs intérêts, leurs alliés et leurs adversaires.

 

Alexandre SVARANTS, docteur en sciences politiques, professeur, spécialement pour la revue en ligne « New Eastern Outlook ».

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