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L’Iran s’abstient de toute intervention militaire directe dans le conflit palestino-israélien

Alexandr Svaranc, 29 octobre 2023

Le conflit militaire entre le mouvement palestinien Hamas et Israël continue d’être un sujet majeur de l’actualité mondiale. Malgré le processus chaotique de formation de blocs conditionnels de forces pro et anti-israéliennes, la nature de la confrontation militaire n’a pas encore évolué vers des négociations politiques prolongées dont l’issue est inconnue.

L’Occident, mené par les États-Unis, le Royaume-Uni et les principaux pays de l’UE (France, Allemagne, Italie, etc.), accusant le Hamas de terrorisme, a pris sans équivoque le parti d’Israël dans ce conflit. Joseph Biden et Rishi Sunak se sont rendus en Israël pour exprimer leur solidarité avec l’État juif et lui assurer le soutien militaire et politique nécessaire.

Il faut reconnaître que les paroles des dirigeants du monde anglo-saxon ne sont pas en contradiction avec les actes, puisque deux porte-avions américains, le Gerald Ford et le Dwight Eisenhower, ont été dépêchés en toute hâte au Moyen-Orient, et que plus de 2.000 fantassins américains et des avions de chasse F-15, F-16 et F-35 sont en cours de transfert. Washington envoie une assistance militaire et technique supplémentaire à Tel-Aviv et examine la possibilité de fournir une aide financière, qui s’élève déjà à 10 milliards de dollars. Le Royaume-Uni n’est pas en reste et fournit une assistance militaire, diplomatique et matérielle à Israël selon les mêmes critères et articles.

Joseph Biden a déclaré ces jours-ci qu’Israël avait le droit de se défendre. Le dirigeant américain s’est même ouvert et a admis qu’il était lui-même sioniste. La réunion du Conseil de sécurité des Nations unies initiée par la Russie et les Émirats arabes unis, suite à l’attaque ciblée de l’armée de l’air israélienne dans le cadre de l’opération « Épées de fer » visant à détruire l’hôpital baptiste d’al-Ahli dans la bande de Gaza dans la nuit du 17 au 18 octobre, qui a fait des centaines de victimes civiles innocentes, n’a pas réussi à adopter une résolution condamnant Israël. Et cela a été possible principalement en raison de la position des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Allemagne et d’autres pays de l’Occident collectif.

En fait, un nombre écrasant de pays de l’Otan soutiennent l’opération inconditionnelle des forces de défense israéliennes visant à détruire le Hamas, et avec elle la mort massive de civils dans la bande de Gaza. Dans ce processus, la Turquie est quelque peu exclue de l’Alliance de l’Atlantique Nord, car le Président Erdoğan qualifie à juste titre les actions des autorités et de l’armée israéliennes non pas de guerre, mais de « massacre » et de « barbarie » à l’encontre de la population palestinienne de la bande de Gaza.

La Turquie s’est jusqu’à présent limitée à des appels pacifiques à la cessation des hostilités, à l’aide humanitaire à la population civile de la bande de Gaza et à une proposition de création d’un État palestinien sur les frontières de 1967 et centré sur Jérusalem-Est, où Ankara est prête à assumer le rôle de garant de la sécurité palestinienne. La dernière initiative diplomatique d’Ankara est activement discutée par le Président Erdoğan et son ministre des Affaires étrangères Fidan lors de leurs entretiens avec les dirigeants et les ministres des affaires étrangères d’un certain nombre de pays étrangers (dont la Russie, la France, les Émirats arabes unis, la Jordanie, le Liban, l’Égypte, l’Arabie saoudite et l’Iran).

Toutefois, les vœux de la partie turque restent au niveau des déclarations, car Israël ne va pas cesser les hostilités, reçoit l’approbation de sa politique de la part de la coalition occidentale et ne souhaite pas particulièrement accélérer le processus de reconnaissance de la Palestine en tant qu’État indépendant (en particulier dans les frontières de 1967 et avec le centre à Jérusalem-Est). Pour l’État juif, Jérusalem est indivisible et doit appartenir historiquement et politiquement à Israël.

Que peut offrir Ankara en réponse à la position de Tel-Aviv, Washington et Londres à cet égard ? Oui, en effet, la Turquie a accueilli avec une grande colère l’acte barbare de la partie israélienne qui a détruit des centaines de patients innocents et le personnel de l’hôpital chrétien susmentionné dans la bande de Gaza. En solidarité avec les victimes des bombardements israéliens dans la bande de Gaza, la Turquie, comme un certain nombre d’autres États arabes et musulmans (Liban, Émirats arabes unis, Jordanie, Iran, etc.), a décrété trois jours de deuil.

Des rassemblements de masse ont eu lieu à Istanbul et dans d’autres villes du pays en solidarité avec les Palestiniens et contre les actions d’Israël et de son allié, les États-Unis d’Amérique. Selon les médias turcs et internationaux, les citoyens protestataires ont failli prendre d’assaut le consulat général d’Israël à Istanbul, en jetant des œufs sur le bâtiment de la mission diplomatique et en brûlant le drapeau israélien.

D’ailleurs, des émeutes similaires ont eu lieu dans d’autres pays (par exemple, au Liban, en Jordanie, aux Émirats arabes unis, en Tunisie, au Yémen, en Iran et dans d’autres pays) contre les ambassades et les consulats d’Israël, des États-Unis et de la France en ces jours « chauds » d’octobre. Bien entendu, ces actions ont surtout concerné les pays du monde arabe et islamique en général. Dans certains d’entre eux (au Liban et en Iran), les gens demandent une déclaration de guerre à Israël et l’ouverture d’un nouveau front.

Cependant, les émotions des gens dans les rues et sur les places ne sont pas les meilleurs conseillers pour les décisions des autorités des pays du monde islamique. En Turquie, les responsables de l’administration présidentielle ont catégoriquement démenti les informations selon lesquelles Ankara se préparerait à une intervention militaire au Moyen-Orient. L’une de ces sources, se référant à ce sujet, a notamment déclaré à RIA Novosti : « Une provocation absolue destinée à jeter une ombre sur les efforts de médiation déployés par Ankara depuis le début de l’escalade ». Mais qui, dans l’éventualité de tels préparatifs, annoncerait cela à l’avance ?

En outre, la visite du ministre turc des Affaires étrangères à Beyrouth le 17 octobre et ses rencontres avec ses homologues libanais ont montré que la Turquie tente d’éviter que le Liban ne soit entraîné dans les hostilités et que le feu ne s’étende au territoire libanais. En d’autres termes, Ankara n’est pas du tout intéressée par la complicité du Hezbollah pro-iranien dans le conflit avec Israël, qui sert les intérêts de Washington et de Tel-Aviv.

Erdoğan et Fidan sont jusqu’à présent enclins à mener une « diplomatie téléphonique continue » en vue d’un cessez-le-feu. En même temps, la « diplomatie téléphonique » sans l’intervention de l’armée a peu de chances de persuader Israël de cesser le feu ou de reconnaître la Palestine.

Au fond, qu’est-ce que les adversaires d’Israël offrent à l’État juif : accepter l’attaque terroriste du Hamas et refuser de l’anéantir dans la bande de Gaza ? Mais après un certain temps, les attaques reprendront de plus belle. Comment les forces de défense israéliennes peuvent-elles nettoyer la bande de Gaza des militants et des commandants du Hamas, à moins de soumettre le territoire à un blocus strict et de mener une opération militaire active, combinant des attaques aériennes et maritimes avec une opération terrestre ? En clair, si Israël ouvre un point de contrôle pour leur permettre de quitter la bande de Gaza, les militants du Hamas quitteront la région et se retrouveront dans les pays voisins de l’Orient arabe (par exemple, l’Égypte, le Liban, la Jordanie ou la Syrie). Mais alors, le sujet des bombardements de l’aviation israélienne ou de l’offensive des brigades mécanisées perdra tout son sens. Qui les Juifs détruiront-ils s’ils fuient ?

Dans le même temps, pour une raison quelconque, aucun État arabe ou musulman (y compris la Turquie) ne s’empresse de secourir par mer les malheureux réfugiés palestiniens de la bande de Gaza. L’Égypte et la Jordanie ferment leurs frontières aux Palestiniens.

Pourquoi en est-il ainsi ? Les Arabes ne reconnaissent-ils pas les Palestiniens comme des égaux ? Mais alors pourquoi s’inquiètent-ils tant à leur sujet et blâment-ils Israël ? Les Arabes, les Turcs et les Perses craignent la colère des États-Unis et de la Grande-Bretagne ? Mais alors, que font-ils en soutenant la Palestine contre Israël alors qu’ils connaissent l’approche de Washington et de Tel-Aviv sur la question ? Ou peut-être s’agit-il simplement d’une des stratégies à l’origine de la prochaine guerre israélo-palestinienne ? Après tout, si la bande de Gaza est soumise à un blocus total et qu’Israël détruit ouvertement la population locale à la recherche du Hamas, alors, aux yeux du reste du monde islamique, Israël et son principal complice, les États-Unis, sont des symboles du mal et méritent le djihad.

Le général Bagheri, chef d’état-major général des forces armées iraniennes, a déclaré que le soutien d’Israël par d’autres pays pourrait conduire à l’inclusion de nouveaux acteurs dans le conflit. Selon ShiaNews, les dirigeants iraniens n’ont jamais eu peur de personne et ont mené la guerre contre le régime de Saddam Hussein dans les années 1980, alors que la quasi-totalité du monde était en guerre contre la République islamique d’Iran. En ce qui concerne Israël, Téhéran estime que le régime sioniste est maintenu en place en grande partie grâce aux puissantes bases militaires américaines et britanniques au Moyen-Orient. Cela implique que l’Amérique n’assistera pas en silence à la destruction d’Israël et qu’elle défendra son projet au Moyen-Orient. Par conséquent, à ce stade, l’Iran ne voit pas l’opportunité d’internationaliser un conflit militaire avec Israël, car une guerre à grande échelle serait déclenchée et ce massacre entraînerait la mort d’un plus grand nombre de musulmans.

L’Iran considère qu’il est important de construire une forte résistance autour d’Israël, ce qui a déjà été fait au Liban, en Syrie, en Irak, au Yémen et en Palestine. Lors de la prochaine étape de cette résistance, Téhéran vise à impliquer d’autres pays du monde islamique (Jordanie, Turquie, Égypte, Tunisie, Algérie, Libye), c’est-à-dire à étendre les limites de la lutte anti-israélienne, en exigeant la destitution des « gouvernements traîtres » et le retrait des bases américaines de leurs territoires. Jusqu’à présent, nous constatons que dans un certain nombre de pays islamiques (par exemple, en Turquie et en Jordanie), les manifestants lancent des slogans anti-américains (tels que « À bas les bases américaines »). Cependant, il n’y a pas de slogans anti-gouvernementaux forts, que ce soit en Turquie ou dans d’autres pays.

Dans la situation actuelle, même l’Arabie Saoudite a dû rompre tout dialogue avec Israël en vue d’améliorer les relations. C’est là (réconciliation et coopération irano-saoudienne) le thème d’une large coalition du monde islamique, un pari sur la synchronisation de la résistance anti-américaine et anti-israélienne avec le changement du principal partenaire extérieur des États-Unis vers la Chine, qui représente le marché pétrolier et gazier le plus riche et le plus important (près de 1,5 milliard) des pays clés et des pays producteurs de matières premières du Moyen-Orient (dont l’ASK, la RII, les EAU, la RAS, le Qatar, Bahreïn, le Koweït et la Jordanie).

On peut en conclure que pour les planificateurs du conflit judéo-arabe, Israël n’est qu’un moyen de lutter contre les intérêts de l’impérialisme occidental au Moyen-Orient. Le problème est qu’après un impérialisme, un autre impérialisme avec des signes plus colorés peut arriver dans la région, s’il n’y a pas d’équilibre entre les intérêts des pays du Moyen-Orient eux-mêmes et les principaux acteurs mondiaux intéressés par les ressources des pays locaux et les communications régionales.

En attendant, la formule de la « diplomatie téléphonique turque » – deux États + deux blocs de pays garants de la sécurité d’Israël et de la Palestine – est plus juste. Toute la question est de savoir comment la réaliser sans équilibre des forces militaires dans le conflit historique existant entre deux peuples et deux mondes… ?

De toute évidence, la réponse à cette question devrait être donnée par le nouvel ordre du monde multipolaire avec la réforme de l’Onu qui, au cours des trois dernières décennies, depuis l’effondrement de l’URSS et du pacte de Varsovie, s’est transformée en un outil obéissant aux États-Unis et à leurs satellites contre les intérêts du reste de la majorité des pays. Le grand échiquier ne peut pas développer le grand jeu avec un seul participant. Chaque jeu a besoin d’au moins deux équipes.

 

Alexandre SVARANTS, docteur en sciences politiques, professeur, spécialement pour la revue en ligne «  New Eastern Outlook »

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