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Erdogan est de nouveau tombé malade, tandis que les relations entre la Turquie et l’UE restent inchangées

Alexandr Svaranc, octobre 17

Un jour avant le début du troisième sommet de la Communauté politique européenne dans la ville espagnole de Grenade, qui prévoit délibérer une série de sujets liées aux technologies numériques, à l’environnement, à l’énergie, à la migration et à la géostratégie (y compris les crises ukrainienne et du Karabagh), le président azerbaïdjanais Ilkham Aliev a annulé sa visite. Dans le même temps, le leader azerbaïdjanais a motivé sa décision par le fait qu’il n’allait pas discuter de la situation au Karabakh et des relations arméno-azerbaïdjanaises avec les dirigeants de la France, de l’Allemagne et de l’UE sans la participation du président de la Turquie, lequel, grâce aux efforts de E. Macron et O. Scholz, les Européens n’ont pas invité au sommet sur les sujets transcaucasiens.

Cette décision du président azerbaïdjanais a reçu une réponse dans de nombreux médias, où certains ont approuvé Aliev avec enthousiasme, d’autres ont été surpris. Il est clair que l’Azerbaïdjan est l’allié le plus proche de la Turquie, et le rôle clé d’Ankara dans les succès militaires et énergétiques de Bakou est incontestable. En ce qui concerne le Karabakh lui-même, l’opération militaire menée par l’Azerbaïdjan les 19 et 20 septembre de cette année après 10 mois de blocus total de cette république non reconnue par personne, s’est terminé par le triomphe complet de Bakou et la capitulation définitive de la partie arménienne à ce stade.

Le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan a non seulement refusé d’intervenir dans la situation et de prendre des mesures pour défendre le reste arménien du Haut-Karabakh, mais il a également reconnu la capitulation du leader de la république non reconnue (le fait de l’auto-dissolution de la RHK et du désarmement). Certes, pourquoi Aliev a-t-il besoin de l’auto-dissolution de la RHK s’il n’a pas reconnu le fait de l’auto-proclamation de cette quasi-formation ? L’Arménie a accepté les Arméniens du Karabakh (plus de 100 mille personnes), qui ont quitté en masse le Haut-Karabakh après la défaite et la capitulation. Pashinyan a regretté de ne pas pouvoir rencontrer Aliev à Grenade pour signer un document remarquable (conceptuel) entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan (évidemment, nous parlons d’un traité de paix reconnaissant l’intégrité territoriale de chacun le long des frontières administratives de l’ex-URSS et conformément à la déclaration d’Alma-Ata de 1991).

Qu’est-ce qui a empêché le président azerbaïdjanais I. Aliev de se rendre en Espagne et de mettre fin au drame du Karabakh qui a duré plus de trois décennies et qui a entraîné d’énormes pertes physiques et morales combinées à des destructions matérielles pour deux peuples et deux pays ? Naturellement, pour Aliev, la raison du refus de participer au sommet des cinq (Azerbaïdjan, Arménie, Allemagne, France, UE) n’était pas la préoccupation pour le sort du traité de paix sur le Karabakh, puisque Bakou triomphe déjà du succès, et un accord similaire pourrait être signé dans un avenir proche dans d’autres capitales. D’autant plus, l’Arménie, sous la direction de Pashinyan, a pour le moment verbalement annoncé la reconnaissance du Haut-Karabakh comme faisant partie de l’Azerbaïdjan et s’est maintenant déclarée prête à signer le document correspondant.

Evidemment, pour Aliev, la raison problématique n’est pas du tout Pashinyan, mais l’Europe, représentée par l’alliance Paris-Berlin formée de manière inattendue. Bakou pourrait être préoccupé par les projets de la France et de l’Allemagne d’intervenir dans les affaires de la région transcaucasienne avec des menaces d’éventuelles sanctions contre l’Azerbaïdjan lui-même et par les conditions permettant de garantir, en plus des normes constitutionnelles de la république, certains droits et libertés supplémentaires aux Arméniens du Karabakh, dont il y reste moins d’une centaine de personnes.

D’un autre côté, si le chef de l’Azerbaïdjan est contre l’intervention de forces et de centres extra-régionaux (en particulier des pays de l’UE) dans les affaires du Caucase du Sud et dans les relations arméno-azerbaïdjanaises, en particulier,  donc  Aliev a-t-il accepté plus tôt la plate-forme européenne des négociations sur le Haut-Karabakh à Bruxelles et à Prague avec la participation du même Charles Michel et d’Emmanuel Macron ? Enfin, l’Azerbaïdjan fournit à l’Europe ses principaux produits d’exportation, le pétrole et le gaz, et après les sanctions anti-russes, il a signé un nouvel accord avec la chef de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pour augmenter le volume des approvisionnements en gaz. Et pour ce qui concerne l’ouverture prévue du corridor de Zanguezur, Bakou espère devenir un guide et un élément important du Corridor du milieu dans le cadre du projet chinois « Une ceinture – Une route » pour l’approvisionnement en marchandises de l’Europe.

Mais l’ambiguïté de la décision de M. Aliev sur le sommet de Grenade ne s’arrête pas là. Le fait est que l’agence turque Burs a publié simultanément une déclaration selon laquelle le président turc avait reporté sa visite en Espagne pour le sommet européen pour cause de maladie. Erdogan a de nouveau attrapé un grand coup de froid et a été contraint d’annuler non seulement sa visite à Grenade, mais également un certain nombre d’autres événements avec sa participation en Turquie même (par exemple, un discours au forum du Parti de la justice au pouvoir qu’il dirige). Dans cette situation, comment peut-on comprendre I. Aliev lorsque son collègue turc est tombé malade ?

Le Président est aussi un être humain et a le droit d’être malade. Certes, au cours des cinq derniers mois, c’est déjà la deuxième fois qu’Erdogan prend froid de manière inattendue. Autant qu’on sache, le 27 avril de cette année, avant les élections, le président de la Turquie a été contraint d’interrompre la diffusion en direct et son interview télévisée en raison d’un rhume d’estomac. Depuis quelques jours, le chef de l’État, pour des raisons objectives, a annulé les événements avec sa participation. Début octobre de cette année, la situation indésirable avec Erdogan s’est répétée. Nous n’allons pas aborder ce problème, et encore moins construire des versions inadéquates. Ce message suffit pourtant à comprendre la raison du refus officiel de M. Erdogan de participer au sommet européen.

Pendant ce temps, le 1er octobre de cette année, le jour où le parlement turc a commencé ses travaux à Istanbul, non loin du bâtiment du GNST et à côté du département de sécurité publique du Ministère de l’Intérieur, une attaque terroriste a eu lieu, pour laquelle le bataillon « Al-Khalidin » Le parti ouvrier du Kurdistan (POK), interdit en Turquie, a assumé ses responsabilités. Le résultat de cette action a été un terroriste mort et plusieurs policiers blessés. Ankara a vu ce crime comme un défi lancé par le POK et les forces qui le couvrent en Occident. En réponse, le 2 octobre de cette année, l’armée de l’air turque a infligé des coups militaires contre 20 cibles du POK dans le Nord de l’Irak, dans les régions de Gara, Qandil, Matina et Harkok.

La Turquie n’exclut pas que des forces occidentales plus puissantes soient à l’origine d’un tel défi du POK, et certains hommes politiques turcs (par exemple le leader du Parti « La Patrie » Dogu Perencik) n’excluent pas la complicité des services spéciaux américains. Selon Perencik, les États-Unis tentent d’une telle manière :

– faire pression sur la décision du parlement turc sur la question de l’adhésion de la Suède à l’OTAN ;

– expriment leur mécontentement face aux actions militaires des forces turques contre les forces kurdes pro-américaines dans le nord de la Syrie ;

– menacent de transférer le terrorisme et les activités militaires des forces de sécurité kurdes (y compris le PKK, interdit par la loi turque) sur le territoire turc lui-même.

Après le sommet de l’OTAN de juillet à Vilnius, Recep Erdogan avait quelques espoirs (quoique très fragiles) que Stockholm adopterait une position plus constructive sur l’adhésion de la Turquie à l’UE en échange de l’accord d’Ankara sur l’adhésion de la Suède à l’Alliance Atlantique. Cependant, Bruxelles a immédiatement rejeté la question d’une adhésion accélérée de la Turquie à l’UE lorsque le Parlement turc approuve l’adhésion de la Suède à l’OTAN. Toutefois, Bruxelles, pour une raison quelconque, a « oublié » que cette « accélération » a pris plus de 60 ans à la Turquie.

Le sujet de l’intégration européenne de la Turquie est toujours en suspens dans la bureaucratie européenne, car Bruxelles, avec la participation clé de Washington, Paris et Berlin, n’est pas intéressée par l’acceptation de l’État turc dans l’UE. Si aujourd’hui en Occident, dans les capitales citées, le problème de l’incontrôlabilité du président Erdogan est noté parmi les raisons d’une telle perception de la Turquie, alors sur 60 ans de stagnation turque dans la « file d’attente européenne », seulement 23 ans se sont produits sous le règne d’Erdogan. Que s’est-il passé au cours des 37 ans restants sous la direction de leaders turcs plus obéissants et moins obstinés ?

Dans le contexte de l’attentat d’octobre, certains experts turcs voient l’opportunité d’augmenter les enjeux dans les échanges commerciaux d’Erdogan avec la Suède en rompant toutes les relations entre Stockholm et les organisations kurdes, en accordant à Ankara une aide financière importante et en protégeant les intérêts turcs dans l’UE. Il est toutefois peu probable que Stockholm adopte une position plus pro-turque que Washington, Paris et Berlin.

Quant à la piste transcaucasienne, où la Turquie est devenue l’un des bénéficiaires de la victoire de l’Azerbaïdjan dans le conflit du Karabakh (et sans l’aide d’Erdogan, Aliev aurait peu de chances d’obtenir un succès aussi dévastateur), Ankara et Bakou coordonnent étroitement leurs actions sur le thème de l’ouverture du corridor de Zangezur et de la garantie du transit aller-retour international généralisé des marchandises de l’Asie vers l’Europe le long du Corridor du milieu à travers les pays turcs.

Ainsi, Recep Erdogan, après la capitulation arménienne au Karabakh, se précipite dans les étendues du Touran et tente, avec son allié Ilham Aliev, de dicter ses conditions en Transcaucasie et en Asie Сentrale. Dans les plans de la Turquie, l’Organisation des pays turcs (OTC) devrait devenir un nouveau méga-projet d’intégration alternatif (incluant l’UE) d’Ankara au XXIe siècle et veiller à ce que le slogan « L’âge d’or des Turcs » se réalise.

C’est pourquoi le président Aliev, après le 20 septembre 2023, ne veut pas discuter avec Macron et Scholz du sort de la région transcaucasienne et du thème de la réconciliation arméno-azerbaïdjanaise sous contrôle de l’Europe sans la participation d’Erdogan. Et les leaders de l’UE, hormis une injection financière mineure dans les pays de la région, ne disposent non plus pour le moment de leviers militaires significatifs pour faire pression sur l’Azerbaïdjan. La seule exception pourrait être la question de l’approvisionnement en gaz provenant de Bakou vers les pays de l’UE via la Turquie, dont l’Europe elle-même pourrait souffrir dans une grande mesure. Cependant, à cet égard, il est difficile d’imaginer que la Hongrie, la Roumanie, la Serbie et l’Italie refuseront le gaz azerbaïdjanais en faveur des opinions de Macron et de Scholz.

Une telle situation est bien imaginée à Paris et à Berlin. Il s’agit plutôt d’une sorte d’intrigue coordonnée, avec la participation de Washington et la décision d’Ankara sur le sort de la Suède au sein de l’OTAN. Les États-Unis souhaitent trouver d’autres sources importantes de pétrole et de gaz qui puissent remplacer celles de la Russie pour approvisionner le marché occidental. A cet égard, il convient de noter les négociations secrètes entre les États-Unis et l’Iran, ainsi que l’entretien d’une heure et demie entre le président français E. Macron et le président iranien I. Raisi.

Si les États-Unis, la France et l’Allemagne décident de réduire les sanctions anti-iraniennes et donnent le feu vert à l’exportation du même gaz iranien vers les pays de l’UE, alors la voie à suivre pour établir de nouvelles communications énergétiques à travers les pays de Transcaucasie vers le marché européen sera à nouveau mise à jour. Dans ce cas, le rôle de la Turquie et de l’Azerbaïdjan pourrait diminuer considérablement et conduire à des transformations de l’équilibre des forces régional. Par conséquent, la question de savoir si le conflit du Karabakh est terminé ou s’il deviendra le prologue d’un nouveau conflit sera déterminée par des acteurs régionaux et extrarégionaux plus importants. Quant aux relations entre la Turquie et l’UE, elles restent toujours inchangées…

 

Alexandre SVARANTS, docteur en sciences politiques, professeur, spécialement pour la revue en ligne « New Eastern Outlook »

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