16.10.2023 Auteur: Alexandr Svaranc

La Turquie cherche-t-elle à devenir un médiateur du conflit israélo-arabe ?

La Turquie cherche-t-elle à devenir un médiateur du conflit israélo-arabe ?

De toute évidence, le conflit israélo-arabe qui persiste au Moyen-Orient est né de l’histoire même de la formation de l’État d’Israël et de la Palestine, plus précisément de la géographie désavantageuse proposée par l’ONU à Israël.

Au cours des 75 dernières années d’existence d’Israël, les autorités de l’État hébreux ont misé sur la force pour élargir les frontières nationales. Dans cette stratégie, Tel Aviv a reçu un soutien actif de la diaspora juive mondiale et des principaux pays occidentaux (principalement des dirigeants du monde Anglo-Saxon : des États-Unis et du Royaume-Uni). C’est en conquérant et en maintenant les territoires arabes, y compris en réglant les problèmes économiques (par exemple la question des eaux du Jourdain) et les problèmes de sécurité (la conquête du plateau du Golan) qu’Israël a commencé à dicter sa volonté à la Palestine et au reste de l’Orient Arabe.

Malgré toutes les relations d’alliance stratégique avec les États-Unis et les autres pays membres de l’OTAN, Israël n’est toujours pas devenu membre de l’Alliance de l’Atlantique Nord, mais reste un allié non aligné de l’Occident. Pourquoi est-il arrivé qu’Israël reste encore en dehors de l’OTAN ? Dans le même temps, le potentiel militaire de l’État hébreux provient largement de l’aide de l’OTAN et des technologies occidentales. Sans parler du fait que l’Armée de défense d’Israël dépasse de plusieurs fois l’état de préparation au combat des armées des pays d’Europe de l’Est, qui ont adhéré à l’Alliance après la dissolution de l’URSS et de l’Organisation du Pacte de Varsovie.

D’une part, la politique militaire d’Israël de ne pas participer aux blocs militaires permet à Tel Aviv de poursuivre sa politique de conquête au Moyen-Orient et maintenir la politique d’un allié de premier plan de l’OTAN dans cette région d’importance stratégique, où les communications commerciales mondiales se croisent et où les contradictions des principales puissances mondiales persistent.

D’autre part, l’OTAN, en acceptant Israël dans ses rangs, serait obligée, conformément au paragraphe 5 du Statut de l’Alliance, de réagir aux conflits récurrents dans la région avec la participation de son membre. Ce dernier élément risque d’entraîner un affrontement militaire avec d’autres centres mondiaux de puissance susceptibles de soutenir la partie arabe. Par conséquent, l’adhésion d’Israël à l’OTAN est la voie vers la Troisième guerre mondiale avec des conséquences inconnues pour l’Occident lui-même.

A ce jour, Israël comprend les territoires arabes occupés suivants : la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est), la Bande de Gaza et le plateau du Golan. En vertu de la loi du 14 décembre 1981 sur le plateau du Golan, Israël a annexé ces territoires occupés à son District Nord. Tel Aviv refuse de reconnaître ces territoires Palestiniens comme occupés et les considère comme litigieux. Bien qu’Israël se soit retiré unilatéralement de la Bande de Gaza en 2005, il poursuit son blocus et son nettoyage ethnique. Le chef de l’Autorité nationale palestinienne, Mahmoud Abbas, dans un discours prononcé le 24 septembre 2021 devant l’Assemblée Générale des Nations Unies, a qualifié cette politique israélienne d’apartheid.

Le conflit israélo-arabe prolongé s’est accompagné d’une diplomatie active d’Israël et de ses alliés occidentaux pour semer la zizanie dans l’unité de l’Orient Arabe et du monde musulman dans son ensemble. Dans ce processus, Tel Aviv a réussi à faire des progrès considérables en ce qui concerne l’Égypte, la Jordanie, les Émirats Arabes Unis, la Turquie et maintenant l’Azerbaïdjan. Cependant, ses relations avec l’État arabe le plus riche et le plus puissant, le Royaume d’Arabie saoudite demeurent problématiques.

La situation n’a pas changé en faveur d’Israël depuis l’entrée active de la Chine au Moyen-Orient, qui a lancé la réconciliation irano-saoudienne. Israël, comme un État efficace sur le plan économique, est un partenaire prometteur pour la modernisation technologique des principaux pays du Moyen-Orient (y compris la Turquie et les pays arabes du Golfe).

Comme on le sait, les États-Unis sont particulièrement intéressés par le passage à travers le territoire d’Israël vers l’Europe d’une route commerciale internationale ambitieuse depuis l’Inde. Dans la mise en œuvre de ce projet, Washington voit des éléments permettant d’endiguer la Chine et de perturber la dérive irano-saoudienne vers une alliance avec Pékin. Cependant, le « transit indien » à travers les pays arabes du golfe Persique vers Israël repose sur les relations entre Riyad et Tel Aviv. Jusqu’à récemment, les États-Unis n’excluaient pas la possibilité de parvenir à un accord régional important sur la sécurité entre l’Arabie saoudite et Israël. Cependant, les événements du 7 octobre 2023 ont radicalement changé la situation d’une réconciliation probable en faveur de l’hostilité en raison de la frappe militaire lancée par le HAMAS sur le Sud d’Israël.

La Turquie, qui est l’un des premiers pays du monde islamique à avoir reconnu l’État hébreux, a néanmoins connu des périodes différentes dans les relations avec Tel Aviv. Naturellement, l’adhésion de la Turquie à l’OTAN, associée à une forte dépendance économique et militaire vis-à-vis des États-Unis, a laissé une empreinte sur les relations turco-israéliennes. Dans le même temps, Israël et la Turquie ont obtenu des résultats considérables dans les domaines de la coopération économique (en particulier dans les secteurs de l’énergie, de la technologie et du commerce), militaire et scientifique.

La situation a quelque peu changé avec l’arrivée au pouvoir du régime pro-islamique de Recep Erdogan, qui revendique le leadership dans le monde sunnite et la Renaissance des traditions impériales. Dans cette veine, Recep Erdogan a commencé à mener une politique plus prononcée pour assister la Palestine et condamner la politique d’occupation d’Israël, ce qui a contribué à la montée de la rhétorique anti-israélienne en Turquie. Le point culminant de la détérioration des relations turco-israéliennes a été atteint en 2008, lorsque la marine israélienne avait tiré sur la mission de maintien de la paix du navire turc Mavi Marmara qui tentait de briser le blocus de la Bande de Gaza. L’opération israélienne « Plomb Durci » a coûté la vie à neuf citoyens turcs. Le résultat de ce refroidissement a été le rappel d’un diplomate turc de Tel Aviv et l’expulsion de l’ambassadeur israélien d’Ankara. A son tour, dans les années 2010, en réponse aux actions de la Turquie Israël a commencé à se rapprocher de la Grèce et de Chypre.

Ce faisant, Israël a également renforcé son partenariat militaro-technique avec l’Azerbaïdjan, principal allié de la Turquie dans l’espace post-soviétique. En particulier, Tel Aviv a apporté une contribution considérable à la modernisation des forces armées de la République d’Azerbaïdjan et a contribué au succès militaire de Bakou pendant la deuxième guerre du Karabakh en automne 2020 et en 2023.

Israël explique sa coopération avec cette république caspienne du Caucase du sud avec l’opportunité économique (exportations de pétrole et de gaz de Bakou) et de sécurité (voisinage géographique de l’Azerbaïdjan avec l’Iran). Dans une large mesure, les relations entre Israël et l’Azerbaïdjan ont été le catalyseur du rétablissement du partenariat entre Tel Aviv et Ankara. En conséquence, le 9 décembre 2022 a eu lieu la première, depuis 2008, visite du président israélien Isaac Herzog à Ankara et sa rencontre avec le président Recep Erdogan. C’est ainsi que les relations israélo-turques ont été relancées.

Dans la situation du conflit militaire féroce d’Israël avec le HAMAS, la Turquie s’est retrouvée dans une situation équivoque. D’une part, le président Erdogan est un ardent défenseur de la cessation des hostilités et propose à cet égard sa médiation dans la réconciliation des parties. D’autre part, Erdogan affirme qu’il sait comment parvenir à une paix durable au Moyen-Orient et que ce chemin passe par la reconnaissance de la Palestine avec Jérusalem-Est pour capitale, conformément aux décisions de l’ONU et à la géographie de 1967.

Le chef du MAE de la Turquie, Hakan Fidan, a commencé à négocier avec les États-Unis et les parties en conflit pour un cessez-le-feu. Selon le porte-parole du Département d’État des États-Unis Matthew Miller, le Secrétaire d’État Antony Blinken a approuvé l’initiative diplomatique d’Ankara. Cela signifie que Erdogan a la possibilité d’agir comme un médiateur clé dans ce conflit, compte tenu du fait que la Turquie, comme le note le journal Hurriyet, conserve la possibilité de dialoguer avec les deux parties. Presque, comme dans la situation avec la crise russo-ukrainienne (avec toutefois jusqu’à présent zéro succès de la diplomatie turque).

Cependant, les efforts de paix de la Turquie dans le cas israélien risqueraient d’être gravement entravés si, comme le prétend Hurriyet, les FDI réprimaient le Hamas « avec une force excessive et sans précédent ». En d’autres termes, si les Forces de défense israéliennes lancaient une opération au sol dans la Bande de Gaza, ce qui entraînerait un nettoyage ethnique total, la confrontation entre les forces arabo-israéliennes pourrait s’intensifier considérablement et durer indéfiniment. Dans ce cas, il est peu probable que les turcs soient en mesure d’empêcher le Liban (Hezbollah) d’internationaliser le conflit. Sans parler des acteurs majeurs de la région comme l’Iran et l’Arabie saoudite.

C’est pourquoi Recep Erdogan condamne la décision des États-Unis d’envoyer le porte-avions Gerald Ford vers les côtes israéliennes et la position de l’Occident collectif sur le soutien inconditionnel d’Israël et le refus même de l’aide humanitaire aux Palestiniens. Parmi les raisons qui ont catalysé ce conflit, le dirigeant turc cite le non-respect par Israël de nombreuses décisions et résolutions de l’ONU sur la question palestinienne. C’est pourquoi la rhétorique anti-israélienne (y compris la communauté d’experts et le public) s’est intensifiée en Turquie.

Ainsi, l’ex-ambassadeur Onur Oymen note dans une interview accordée au journal turc Cumhurriet que la plupart des résolutions de l’ONU sur le conflit israélo-palestinien sont entravées ou ne sont pas appliquées. À son avis, les États-Unis ferment simplement les yeux sur les actions d’Israël, mais réagissent de manière nerveuse aux actions de la Palestine.

Les turcs, bien sûr, ont raison quand ils parlent de la politique de deux poids, deux mesures des États-Unis et de l’Europe dans la situation du conflit israélo-arabe. Toutefois Erdogan n’a pas particulièrement réagi à une politique similaire de blocus total et d’agressions répétées de son allié, l’Azerbaïdjan, contre les arméniens du Haut-Karabakh et de l’Arménie. Or, dans la situation de la Syrie, Erdogan se félicite de l’opération militaire contre les Kurdes et annonce avec enthousiasme l’élimination de plus de 160 rebelles du PKK en une semaine. Comme on peut le voir, les deux poids deux mesures s’appliquent non seulement aux États-Unis et à l’UE avec le Royaume-Uni, mais aussi à la Turquie elle-même. Tel est ce monde où la priorité est accordée au droit de la force et non à la force du droit.

En attendant, Erdogan, en termes de politique réelle, offre aux parties en conflit en Israël sa médiation pour l’échange de prisonniers (otages) et une aide humanitaire probable aux Palestiniens dans la bande de Gaza. Il est évident que d’autres percées de la mission de médiation turque ne se profilent pas à l’horizon.

La Turquie affirme que la paix juste au Moyen-Orient ne peut être assurée sans la reconnaissance de l’indépendance de la Palestine dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale. Ce message n’est pas particulièrement bien perçu en Israël. C’est pourquoi l’ambassadeur d’Israël en Turquie, Irit Lillian, a déclaré qu’il était « trop tôt pour parler de la possibilité d’une médiation entre Israël et la Palestine ».

Il en découle qu’Israël n’a pas encore l’intention de mettre fin aux hostilités, car il vise la destruction totale et l’expulsion du Hamas de la Bande de Gaza. Ce n’est qu’après le succès de l’opération militaire israélienne et du cessez-le-feu, comme le croit I. Lilian, qu’il sera possible de parler de paix et des personnes à inclure dans la mission du médiateur. En d’autres termes, Israël s’intéresse à la reddition de la Palestine et non à la « paix juste » à laquelle M. Erdogan fait référence.

En conséquence, à ce stade, la candidature de la Turquie en tant que l’un des principaux médiateurs n’est pas bien vue par Israël, car la position d’Ankara pourrait être trop « juste ». Peut-être que la visite du Secrétaire d’État américain Antony Blinken en Israël les 11 et 12 octobre prochain clarifiera-t-elle la position de Tel Aviv.

Erdogan a également fait une nouvelle révélation et a qualifié la guerre d’Israël contre la Palestine de « massacre ». En particulier, le dirigeant turc a déclaré : « Les attaques disproportionnées et sans scrupules contre Gaza pourraient placer Israël dans une position inattendue et indésirable aux yeux de l’opinion publique mondiale. Un conflit mené avec toutes sortes de méthodes honteuses n’est pas une guerre mais un massacre ». À son tour, le vice-ministre turc de l’Éducation a adressé un avertissement à M. Netanyahu : « Un jour, ils te tireront dessus aussi. Tu vas mourir ».

Pendant ce temps, le nombre de morts suites aux frappes aériennes israéliennes sur la bande de Gaza, s’est élevé à 1055 personnes au matin du 11 octobre. Israël risquerait de faire face à une longue guerre sur cinq fronts si le Liban, la Syrie, l’Irak, le Yémen et l’Iran entraient en conflit. Et cela pourrait devenir une réalité dans le cas de la décision de Téhéran. Les Gardiens de la Révolution islamique ont déjà déclaré qu’ils étaient prêts à lancer une opération conjointe avec le Hezbollah contre Israël. C’est probablement la raison pour laquelle, selon le centre « Le Beck » du Moyen-Orient, Israël évite toujours de lancer des accusations directes contre l’Iran, afin de se soustraire à un scénario indésirable d’une guerre multilatérale. En conséquence, le rôle de médiateur dans la pacification de la situation au Moyen-Orient pourrait être particulièrement approprié pour l’Iran, qui a des leviers d’influence sur la nature de la guerre, au lieu de la Turquie. En attendant, le monde observe le déroulement du conflit au Moyen-Orient.

 

Alexandre SVARANTS, docteur en sciences politiques, professeur, spécialement pour la revue en ligne « New Eastern Outlook »

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