14.10.2023 Auteur: Viktor Mikhin

Kenya-Russie-États-Unis : des approches de relations diamétralement opposées

Le Kenya et les États-Unis mènent des négociations intenses pour conclure un accord commercial qui, selon les Américains, pourrait devenir un modèle pour l’Afrique. En d’autres termes, ils cherchent à attirer encore plus ce pays africain dans la sphère de leurs intérêts économiques. Les deux pays ont annoncé en juillet 2022 la création d’un partenariat commercial et d’investissement, dans le cadre duquel se déroulent les négociations en cours. Elles concernent au moins neuf domaines, et l’analyse de ces documents montre que c’est Washington qui cherche à obtenir les principaux bénéfices d’un futur accord commercial. En témoigne notamment le fait que l’attention principale est portée à l’agriculture, dont les produits kenyans seront fournis au marché américain à des prix nettement réduits.

Le Partenariat stratégique de commerce et d’investissement (PSCI), comme l’appellent les Américains, sera le premier partenariat commercial significatif entre les États-Unis et l’Afrique subsaharienne. Le nouvel accord est considéré comme un modèle pour les futurs accords entre les États-Unis et d’autres pays de l’Afrique subsaharienne. En essayant de se rattacher les pays africains et de les intéresser à des privilèges, Washington a même temporairement annoncé la suppression des droits de douane pour les produits africains sur son marché intérieur.

Cela constitue la façade de l’accord et, à première vue, elle ne devrait apporter que des avantages au Kenya. Mais il y a aussi un revers de la médaille, à savoir : Washington cherche à soumettre les dispositions du futur accord aux règles et à la discipline de l’Organisation mondiale du commerce, dominée par les États-Unis. L’intégration des dispositions de l’accord dans le cadre d’un pacte de libre-échange prévoit que les États contractants adoptent et appliquent une législation mondiale. Cela obligerait donc le Kenya à assumer des obligations supplémentaires au-delà de ses obligations actuelles en tant que membre de l’Organisation mondiale du commerce. A part les coûts de mise en œuvre, l’imposition d’obligations en matière de travail par la « porte secrète » d’un accord commercial expose le Kenya au risque d’une procédure coûteuse de règlement des différends et d’éventuelles sanctions commerciales en cas de violation de ces obligations. Le Parlement du Kenya jouerait probablement un rôle très limité dans la détermination de la portée et du contenu de l’accord commercial. En revanche, le Congrès des États-Unis joue toujours un rôle important dans l’élaboration des dispositions de tous les accords impliquant des représentants américains.

Ainsi, les dispositions du nouvel accord pourraient avoir un impact négatif direct sur le commerce du Kenya avec la Chine, les pays membres de la Communauté d’Afrique de l’Est et d’autres États africains. Cela pourrait signifier que des organisations qui ne sont ni américaines ni kenyanes seraient soumises à un contrôle minutieux. Alors que les États-Unis ont la capacité et les ressources nécessaires pour surveiller les dispositions pertinentes de l’accord au Kenya, ni le gouvernement Kenyan ni son secteur privé n’ont la capacité de le faire aux États-Unis. Ainsi, l’accent sera mis sur le Kenya, tandis que les violations de l’accord aux États-Unis passeraient très probablement inaperçues.

Estimant que le Kenya reste le centre d’affaires, de finances et de transport le plus grand et le plus important d’Afrique de l’Est, le Pentagone cherche à se rattacher plus étroitement ce pays africain. Le ministre de la Défense des États-Unis, Lloyd Austin, vient de terminer sa visite dans le pays qui a abouti à la signature d’un accord de défense de cinq ans visant à renforcer les efforts de lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Est et à soutenir les efforts du Kenya pour diriger la mission de sécurité en Haïti. Austin a déclaré que les États-Unis « remercient le Kenya pour son leadership dans la solution des problèmes de sécurité dans la région et dans le monde entier » et a remercié le pays pour sa volonté de diriger les forces de sécurité multinationales dans la lutte contre le banditisme en Haïti. Le ministre américain a ajouté que l’administration Biden travaillerait avec le Congrès pour obtenir le financement de 100 millions de dollars promis pour financer la mission en Haïti la semaine dernière, en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies. « Les États-Unis sont prêts à soutenir cette mission importante avec une aide financière et logistique solide », a-t-il déclaré. M. Austin a appelé les autres pays à suivre l’exemple du Kenya et à fournir davantage de personnel, d’équipement, de soutien, de formation et de financement pour la mission multinationale de sécurité prévue en Haïti. Pourtant, aucun autre candidat n’a encore été trouvé pour envoyer ses policiers dans un pays lointain. Beaucoup de gens comprennent que si les Américains sont aimés en Haïti, ce sont uniquement les touristes qui apportent des revenus au trésor haïtien, mais pas les soldats ou les policiers américains. C’est pourquoi le Pentagone recherche des mercenaires naïfs prêts à mourir pour les intérêts américains en Haïti. Le Kenya s’est engagé à envoyer 1000 agents de sécurité en Haïti pour lutter contre le banditisme, qui s’est accru depuis l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse en juillet 2021. Une mission visant à assurer la sécurité, qui n’est pas encore approuvée par le Conseil de sécurité de l’ONU, avait été sollicitée par le premier ministre haïtien Ariel Henry en octobre dernier. Mais il est de notoriété universelle que l’ex-président, protégé par les États-Unis, a été tué pour sa politique cruelle et inhumaine à l’égard des Haïtiens.

On peut rappeler qu’Haïti, dont l’économie est dominée par le capital américain, est l’un des pays les plus pauvres et les plus instables au monde, c’est le pays le plus pauvre d’Amérique, souffrant constamment de famine, de catastrophes naturelles et de coups d’État. La République d’Haïti est l’un des pays les plus pauvres au monde et, par exemple, l’économie du pays voisin d’Haïti, la République Dominicaine, est de presque 574 % plus importante que l’économie d’Haïti. Le PIB par habitant (nominal) estimé d’Haïti, tel qu’il existait en 2022, est de 1673 $ tandis que celui de la République Dominicaine est de 10573 $, le PIB par habitant (PPA) d’Haïti est de 3166 $ et celui de la République Dominicaine est de 24120 $.

La politique extérieure amicale, bienveillante et généreuse de la Russie et sa diplomatie dont l’objectif principal est d’aider l’Afrique à sortir du trou colonial dans lequel l’Occident a poussé les peuples de l’Afrique, constitue une énorme dissonance avec la politique égoïste et intéressée des États-Unis. La visite du Ministre russe des Affaires étrangères Serguei Lavrov à Nairobi, ses résultats et les documents signés le démontrent clairement. Les négociations se sont déroulées dans une ambiance amicale, permettant un échange de vues franc et confidentiel sur toutes les questions clés de l’agenda international et esquissant de nouvelles voies pour développer la coopération bilatérale. A l’avis de tout le monde, les deux pays disposent d’un potentiel inexploité en matière de relations commerciales, économiques et d’investissement. Au cours des négociations, les participants ont évoqué des domaines prometteurs tels que l’exploration géologique et minière, l’énergie, les télécommunications, l’agriculture, le tourisme, la science et l’éducation. Un accord a été atteint pour aider activement les hommes d’affaires à établir des contacts directs. Ces processus devraient se développer davantage avec la création de la Commission intergouvernementale pour le commerce et la coopération économique. Il est intéressant de noter qu’au cours des négociations, une cargaison est arrivée au port de Mombasa : 30 000 tonnes d’engrais russes qui, après leur traitement approprié, revêtiront une grande importance pour les objectifs agricoles de ce pays africain. Plusieurs autres États africains recevront également des engrais de la Russie, malgré tous les obstacles mis en place par l’Occident pour discréditer les véritables bonnes intentions de la politique de Moscou envers l’Afrique.

Dans son article sur l’Afrique, le président russe Vladimir Poutine a écrit : « Je soulignerais en particulier l’interaction traditionnellement étroite sur la scène mondiale, la défense ferme et cohérente de la part de l’URSS, puis de la Russie, des intérêts des pays africains sur les plateformes internationales. Nous avons toujours strictement respecté le principe « aux problèmes africains – solutions africaines » et avons été solidaires avec les Africains dans leur lutte pour l’autodétermination, la justice et l’affirmation de leurs droits légitimes. Nous n’avons jamais essayé d’imposer à nos partenaires nos propres idées sur la structure interne, les formes et méthodes de gestion, les objectifs de développement et les moyens de les atteindre. Notre respect pour la souveraineté des États africains, leurs traditions et leurs valeurs, leur désir de déterminer de manière indépendante leur destin et de nouer librement des relations avec nos partenaires reste inchangé ». Ce sont précisément ces principes bienveillants et nobles qui guident la Russie dans ses relations amicales avec le Kenya.

 

Viktor Mikhine, membre correspondant de l’Académie russe des sciences naturelles, spécialement pour la revue en ligne  « New Eastern Outlook ».

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