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Erdogan manipule la « pression des États-Unis »…

Alexandr Svaranc, septembre 09

A la veille de son centenaire, la République de Turquie vit une période difficile dû à une crise économique aiguë et à des relations instables avec les États-Unis. L’inflation actuelle bat de nouveaux anti-records et atteint déjà 60 %, tandis que la livre turque est tombée à 27,2 pour un dollar américain.

Le ministre des Finances et du Trésor, Mehmet Simsek, a beau s’efforcer de respecter les normes économiques internationales et de s’attacher au dollar américain, la stabilité stratégique n’est pas encore atteinte. La Banque Centrale de Turquie a doublé les taux (de 8 à 15,5%), mais ces mesures d’urgence après l’inauguration du président Erdogan ne donnent pas les résultats attendus. Les changements systémiques dans l’économie turque nécessiteront du temps et des investissements (prêts) considérables.

Les critiques du bloc d’opposition estiment que la crise actuelle est causée par la politique économique populiste d’Erdogan. D’autres experts soulignent les conséquences dévastatrices du séisme de février, qui a coûté la vie à plus de 55 mille personnes, comme étant le détonateur de l’actuel effondrement de la monnaie nationale. Y s’ajoutent les experts qui, ces derniers mois, rappellent régulièrement aux autorités la menace d’un séisme de 7 points dans la principale métropole d’Istanbul avec 16 millions d’habitants. Enfin, il existe également une forte opinion quant à l’ingérence occidentale dans les troubles économiques de la Turquie (principalement des États-Unis).

On ne peut être d’accord avec cette dernière opinion qu’en partie, car ce n’est pas l’Occident (y compris les États-Unis) qui est responsable de la crise économique en Turquie, mais les Turcs eux-mêmes. Une autre question est que les États-Unis et la plupart des pays occidentaux qui leur sont fidèles ne sont pas particulièrement pressés d’accorder une aide économique (principalement financière) efficace à la Turquie, membre de l’OTAN, pour sortir de la situation de crise actuelle.

Certains estiment que la Turquie a désormais besoin de volumes importants de prêts et d’investissements rentables. Les chiffres sont différents, de 50 à 100 milliards de dollars américain. Et peut-être encore plus, compte tenu de la zone sinistrée après le séisme, y s’ajoute la nécessité de grands chantiers, sans parler des prédictions d’une tragédie encore plus grande dans la même ville d’Istanbul.

Cependant, les approches du FMI, de la BERD et d’autres institutions financières internationales et des pays européens développés pour apporter un soutien financier à la Turquie dépendent largement des États-Unis. Mais ce sont les États-Unis qui ne sont pas particulièrement pressés de tendre la main aux Turcs, tout en posant un certain nombre de conditions qui violent la souveraineté et contredisent les intérêts de la Turquie.

Washington exprime notamment son mécontentement à l’égard de la politique intérieure et extérieure du président Erdogan. Dans le domaine de la politique intérieure de la Turquie, les États-Unis s’opposent aux violations périodiques des droits et libertés des citoyens, à l’affaiblissement des institutions démocratiques et au durcissement de l’islamisme. En ce qui concerne la politique étrangère d’Ankara, Washington critique le partenariat turco-russe et turco-chinois, la politique agressive d’Erdogan envers la Grèce, le Chypre et les Kurdes pro-américains en Syrie, l’achat d’armes russes, le « transit parallèle » de marchandises occidentales en contournant les sanctions via la Turquie jusqu’à la Fédération de Russie et, enfin, la position du leader turc sur l’expansion de l’OTAN en Europe (en particulier sur la même Suède).

L’Amérique n’est pas habituée à ce que quelqu’un (surtout parmi les membres permanents du club de l’OTAN) la refuse ou conteste son opinion. Bien sûr, tout change avec le temps, et le leader acceptera un jour la position du défaitiste. Pourtant, toute chose a son temps. Pour l’instant, la Turquie ne peut pas dicter ses conditions aux États-Unis.

L’un des nouveaux sujets qui est devenu un moyen d’une nouvelle pression sur la Turquie après le 17 juillet de cette année, c’est-à-dire à partir du jour où la Russie a suspendu sa participation à « l’accord sur les céréales » toujours à cause de l’Occident, dirigé par les États-Unis, ignorant l’intérêt russe dans le secteur agraire, est la reprise du transit dans le bassin de la mer Noire des produits agricoles ukrainiens via le Bosphore et les Dardanelles. Washington recommande à Erdogan d’obtenir par tous les moyens la reprise de « l’accord sur les céréales » et le retour de la Russie aux accords d’Istanbul en 2022. Dans le même temps, les Américains, bien sûr, évoquent les relations privilégiées  et « l’amitié personnelle » d’Erdogan avec Poutine.

Washington dit à ses partenaires turcs « d’aller négocier avec les Russes », mais rappelle également, comme alternative, l’idée de son amiral en retraite Stavridis de former une escorte militaire de la marine de guerre et des forces aériennes de l’OTAN dirigée par les États-Unis pour accompagner les navires marchands des ports ukrainiens du bassin de la mer Noire avec la participation des mêmes Turcs. Autrement dit, les Américains, conscients des capacités commerciales d’Erdogan, lui conseillent d’entamer des négociations avec Moscou – soit ils reviennent à l’accord, soit tu escorteras avec nous des navires marchands d’Ukraine à travers le Bosphore.

Ce n’est pas un hasard le cargo Joseph Schulte a récemment passé pour la première fois du port d’Odessa au Bosphore après la rupture  de « l’accord sur les céréales » du 17 juillet, que les Turcs ont laissé passer. Et bien qu’Ankara ait noté plus tard que le cargo n’était pas chargé de céréales ukrainiennes, ce fait témoigne de la vérification d’une voie alternative et du lancement d’un « couloir humanitaire » dans la mer Noire.

Les États-Unis comprennent que le président russe refuse dans des cas extrêmement rares son « ami turc » et dépend d’Ankara sur un certain nombre de sujets (communications, exportations de gaz, affaires régionales au Moyen-Orient, dans le Caucase du Sud et en Asie Centrale). A son tour, Erdogan estime probablement que la Russie est « faible » et n’osera pas s’opposer à lui sur des sujets sérieux. Il n’est pas exclu qu’Erdogan, étant un homme politique très à l’écoute, joue lui-même le jeu des « victimes de la pression des États-Unis » (disent-ils, nous avons un besoin urgent d’une aide financière de l’Occident et le paiement des « céréales ukrainiennes » ne fera pas de mal), donc il n’est pas bon de refuser la demande d’aide d’Ankara.

Cependant, les États-Unis et la Turquie sont bien conscients de la raison pour laquelle la Russie a été contrainte d’interrompre sa participation à « l’accord sur les céréales ». Le respect des intérêts de Moscou par l’Occident est la voie à suivre pour une reprise rapide de l’initiative d’Istanbul sur la mer Noire. De plus, la Russie n’est pas la Turquie, cela ne sert à rien de faire pression sur elle.

Certains experts russes (par exemple Gevorg Mirzoyan) estiment que ce n’est pas la Russie qui dépend de la Turquie, mais vice versa. Tout simplement, si les Russes refusent de fournir aux Turcs du gaz, du pain et d’achever la construction d’une centrale nucléaire (sans parler du tandem russo-iranien dans la même Syrie et au Karabakh), alors Erdogan devra oublier beaucoup de choses et pour longtemps (y compris le chemin de Turan). Ainsi, l’aggravation de la tension dans la mer Noire, évoquée en Turquie, devrait inquiéter en premier lieu Ankara.

 

Alexandre SVARANTS, docteur en sciences politiques, professeur, spécialement pour l’édition en ligne « New Eastern Outlook »

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