08.09.2023 Auteur: Vladimir Terehov

Sur les dernières manœuvres américaines avec leurs alliés en mer de Chine Méridionale

Bien que le mot « manœuvres » (« jeu de la manœuvre ») ait essentiellement une connotation militaire (dans la langue russe, NDLR), il peut également être utilisé en relation avec le comportement d’un état individuel (ou même d’un groupe d’états) face à un problème politique. Au stade actuel du « Grand jeu mondial », l’un des problèmes les plus importants est dû à la question du contrôle de la situation en mer de Chine Méridionale, ainsi qu’au-dessus de la zone terrestre qui l’entoure, qui comprend dix pays d’Asie du Sud-Est, formant ensemble l’Association régionale (ASEAN)

Au cours des deux dernières décennies, la mer de Chine Méridionale et l’Asie du Sud-Est dans son ensemble ont été de plus en plus au centre de l’exécution des manœuvres militaires et politiques des deux principales puissances mondiales (les États-Unis et la Chine). Cependant, il serait plus précis de dire que la mer de Chine méridionale est la zone méridionale d’un espace plus large pour de telles manœuvres, qui peut être représenté comme une bande d’environ 1 à 1,5 mille kilomètres de large, s’étendant sur 5 à 6 mille kilomètres de la mer de Chine Méridionale du nord-est, c’est-à-dire de la péninsule Coréenne avec le Japon, au sud-ouest jusqu’au détroit de Malacca. L’importance stratégique de la question du contrôle de cette dernière tient au fait qu’elle relie la « bande » indiquée ci-dessus (plus précisément, sa « zone très méridionale ») à l’océan Indien, par lequel passent les voies commerciales les plus importantes vers l’Afrique et la région du Grand Moyen-Orient.

Avec une telle vision de l’espace de manœuvre mutuel des deux principales puissances mondiales, Taiwan s’avère également en être un élément intégral. La perte de contrôle de Washington sur cette île détruit un espace de confrontation plus ou moins commun avec la RPC. C’est également pour cette raison que les dirigeants américains n’ont jusqu’à présent manifesté aucune volonté d’échanger leur refus d’un soutien global à Taiwan contre la perspective d’une amélioration des relations avec le  principal adversaire géopolitique actuel.

Dans le même temps, les Philippines, c’est-à-dire l’un des principaux pays d’Asie du Sud-Est et membre de l’ASEAN, jouent de plus en plus clairement le rôle de « soutien du Sud » aux positions américaines à Taiwan et au régime qui y règne jusqu’à présent. . Malgré les déclarations qui viennent parfois des dirigeants philippins selon lesquelles ils ne permettront pas au pays de devenir une base de confrontation entre l’un des principaux acteurs mondiaux contre un autre, c’est en fait exactement ce qui se passe ces dernières années.

Et on ne peut pas dire que cette tendance dépend fortement du groupe politique concurrent qui dirige actuellement le pays. Car aucun d’entre eux ne peut se permettre de refuser de soutenir « l’Occident uni » dirigé par les États-Unis dans les conflits territoriaux avec la RPC au sujet de la propriété de certaines zones de la mer de Chine Méridionale. Un plan de soutien similaire (à la même occasion) est également proposé à un certain nombre d’autres pays d’Asie du Sud-Est, par exemple au Vietnam.

Alors que ce soutien est assez visible et diversifié. La décision de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye de l’été 2016 en était un élément extrêmement important, qui a satisfait aux protestations des mêmes Philippines concernant les prétentions de la Chine à posséder 80 à 90 % du plan d’eau de la mer de Chine Méridionale, avec des archipels insulaires y situés (ainsi que les champs de pétrole et de gaz au fond de la mer). De plus, nous le répétons, la voie commerciale maritime la plus importante passe par la mer de Chine Méridionale.

La Chine n’a pas participé à ce procès et n’en reconnaît pas les résultats. Mais il est reconnu par les États-Unis et leurs alliés et leur sert de base importante pour indiquer leur présence (y compris militaire) en mer de Chine méridionale. Ce qui, et il est important de le souligner, a lieu, sinon à l’invitation directe des pays d’Asie du Sud-Est mentionnés ci-dessus, du moins avec leur consentement.

Un tableau de répartition des préférences concernant la décision mentionnée de la Cour permanente d’arbitrage parmi plus de cinquante pays, d’une manière ou d’une autre indiquant leur position sur ce sujet, a été récemment cité par l’un des principaux « tanks intelligents » américains, à savoir Center for Strategic and International Studies (CSIS). Il a été rédigé à titre de préparation de la prochaine conférence (organisée chaque année depuis 2011) sur l’évolution de la situation en mer de Chine Méridionale, cette fois le 28 juin.

En règle générale, outre les experts du  CSIS, certaines personnalités éminentes de l’establishment américain, ainsi que des représentants de plusieurs autres pays, y participent. Cette fois, parmi les participants étrangers figuraient des experts du Vietnam, des Philippines, d’Australie, d’Inde, du Japon et quelques autres. Les principaux intervenants étaient le secrétaire d’État adjoint américain chargé des Affaires de l’Asie de l’Est et du Pacifique, D. Kritenbrink (ancien ambassadeur au Vietnam) et membre de la commission des forces armées de la Chambre des représentants, J. Kiggans (d’ailleurs, ancien pilote d’hélicoptère de la marine américaine, par le chemin). Ceux qui souhaitent prendre connaissance de leurs interventions (en général, leur contenu est assez attendu) et de l’échange de remarques avec le modérateur de la réunion peuvent le faire ici et ici.

Il convient de noter en particulier la remarque du premier concernant « l’illégalité des revendications de la Chine sur la Zone d’intérêts économiques exclusifs des Philippines », dont la largeur, selon le droit international, est égale à 200 milles marins. Dans le même temps, une référence est faite uniquement à la décision mentionnée de la CPA. Entre-temps, c’est dans ces « zones » que divers incidents ont eu lieu récemment avec la participation des navires frontaliers de la RPC et des Philippines.  Début août, un nouveau d’entre eux s’est produit dans la zone d’un certain atoll corallien situé à 105 milles de l’île philippine de Palavan.

C’est ce dernier incident qui a été utilisé par les opposants de la Chine comme illustration de son « comportement agressif » en mer de Chine Méridionale, nécessitant des « mesures de réponse ». Un tel rôle est notamment attribué aux manœuvres conjointes qui ont débuté le 23 août (c’est-à-dire déjà dans l’interprétation militaire de ce terme) de détachements de navires de guerre américains, australiens et japonais près de la côte ouest des Philippines. La base de la formation combinée sera constituée des porte-hélicoptères de débarquement America, Canberra et Izumo. La marine philippine ne participera pas à ces exercices, mais on informe qu’à la fin de ceux-ci, les commandants des détachements des pays participants « rencontreront à Manille leurs homologues philippins ».

De manière générale, ces manœuvres navales représentent un événement marquant. Il s’inscrit organiquement dans une série d’événements politiques de ces dernières années visant à consolider la situation sous l’égide de Washington dans la « zone » stratégique indiquée ci-dessus. Parmi ceux organisées cette année, citons le voyage en Australie du Premier ministre japonais F. Kishida, la réunion des ministres de la Défense des États-Unis, du Japon et de l’Australie en marge du prochain (tenu chaque année à Singapour) « Dialogue Shangri -La », le « Forum 2+2 » américano-australien tenu à Brisbane  et, enfin, le sommet tripartite qui vient de se tenir à Camp David avec la participation des dirigeants des États-Unis, du Japon et de la République de Corée.

Ce dernier événement, qui mérite un commentaire particulier, vise à consolider la pointe nord-est de cette même « zone » stratégique. Il est tout à fait capable de jouer le rôle de coup de grâce final porté à l’espoir (faible, mais toujours présent jusqu’à récemment) d’une sorte de solution de compromis à divers problèmes qui déchirent l’intégrité de l’ensemble de la région Indo-pacifique.

Sa première et immédiate victime est le sommet trilatéral entre la Chine, le Japon et la République de Corée, prévu pour la fin de cette année. La nécessité de créer quelque chose qui ressemble à un espace économique unique en Asie du Nord-Est est un sujet de discussion dans les trois pays depuis le milieu des années 2000. Plusieurs plates-formes du niveau ministériel ont été créées pour élaborer des mesures spécifiques de coopération économique.

Depuis 2008, les mêmes rencontres au sommet se tenaient presque chaque année. La dernière fois, c’était en 2019. Le fait que depuis lors, toutes les formes de la configuration trilatérale susmentionnée (RPC-Japon-RC) ont cessé de se manifester de quelque manière que ce soit reflète pleinement le processus de forte détérioration de la situation dans le RTI en général et en Asie du Nord-Est en particulier.

Le principal signe d’un changement de cette tendance négative vers une tendance positive serait une amélioration du climat politique dans les relations entre la Chine et le Japon. Et récemment, la NEO a noté l’émergence de tels signes. Camp David, répétons-le, contient le potentiel de les réinitialiser complètement. Cet avis est notamment partagé par l’auteur du commentaire sur les résultats de la réunion à la résidence des présidents américains, paru dans le Global Times chinois.

La participation du porte-hélicoptères japonais Izumo (qui devrait se transformer dans les mois à venir en « petit porte-avions » avec un groupe de chasseurs F-35B les plus récents) aux exercices navals trilatéraux évoqués ci-dessus illustre hélas cette opinion. Puisqu’il était engagé, avec des navires de guerre américains et australiens, dans des « l’exécution des manœuvres » dans la zone extrêmement sensible de la mer de Chine Méridionale pour la Chine.

Et c’est assez loin du Japon, mais très proche de la Chine.

 

Vladimir Terekhov, expert des problèmes de la région Asie-Pacifique, exclusivement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook ».

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