03.08.2023 Auteur: Alexandr Svaranc

La Russie et l’Iran façonnent une nouvelle réalité au Moyen-Orient

 La Russie et l'Iran façonnent une nouvelle réalité au Moyen-Orient

Le Moyen-Orient reste l’une des principales régions stratégiques du monde, qui, en raison de son importance géographique et de ses contradictions internes, attire l’attention des principaux acteurs mondiaux. Les mots « Moyen-Orient » et « riche en pétrole et en gaz » sont souvent perçus comme synonymes (bien que, bien sûr, tous les pays de la région ne disposent pas d’une quantité suffisante de ces types de matières premières stratégiques).

La majeure partie du pétrole se trouve dans des pays du Moyen-Orient tels que l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Irak et le Koweït (environ 66,5% de ses réserves mondiales), où les réserves prouvées de pétrole de chacun d’eux dépassent 100 milliards de barils. En d’autres termes, les réserves prouvées de pétrole brut dans les pays, dont la crédibilité est élevée, sont estimées comme étant commercialement récupérables (c’est-à-dire les réservoirs analysés à partir de données géologiques et techniques).

Ainsi, les pays du Moyen-Orient détiennent environ 41 % des réserves mondiales de gaz naturel, dont 17 % en Iran, 13 % au Qatar et 11 % dans les autres pays de la région (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Irak, Koweït, Égypte, Oman, etc.).

Le marché mondial de l’énergie est fortement dépendant de cette région, où plus de la moitié des contrats mondiaux d’achat et de vente de pétrole et de gaz sont conclus. En ce sens, l’Iran, malgré les sanctions contre lui, continue d’être un partenaire mondial important et a un fort potentiel d’exportation de ressources pétrolières et gazières vers les marchés étrangers.

Le Moyen-Orient, de par sa géographie, agit comme une région reliant l’Asie centrale (du Sud-Est) et l’Europe avec l’Afrique, entre le Nord et le Sud et vice versa. C’est là que passent les principales communications commerciales terrestres, maritimes et aériennes. En ce sens, les pays du golfe Persique (y compris l’Iran) présentent un grand intérêt pour l’économie et le commerce mondiaux.

Dans cette région, historiquement, certains empires ont changé en d’autres, souvent dans le passé il y a eu des conflits entre eux, dont l’écho avec l’entrelacement des contradictions géopolitiques, géoéconomiques et civilisationnelles (ethnoreligieuses) a atteint notre temps (par exemple, le conflit persan-arabe, persan-turc, arabo-turc, arabo-israélien, etc.). Les contradictions internes qui détournent le Moyen-Orient d’un développement pacifique progressif s’accompagnent périodiquement d’un ensemble de contradictions externes, à savoir le conflit d’intérêts des pays de la région et la politique du Moyen-Orient des principaux acteurs mondiaux. L’Iran, avec l’Arabie saoudite et la Turquie, reste un État régional clé dont le développement de l’ensemble du Moyen-Orient dépend en grande partie.

Il est important de noter que les relations russo-iraniennes ont résisté à l’épreuve du temps, où des intérêts géopolitiques objectifs aux XVIIIe et XIXe siècles ont conduit nos pays et nos peuples à s’affronter dans le Caucase et en Asie centrale. Cependant, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, la Russie et l’Iran (jusqu’au 22 mars 1935, la Perse) sont devenus des partenaires fiables. Bien sûr, il y a eu des périodes de coopération plus étroite dans notre histoire et vice versa.

Ainsi, pendant la Seconde Guerre mondiale, après l’entrée des unités de l’Armée rouge dans le nord de l’Iran, ici passait en 1941-1945, l’une des principales routes de transit d’importantes cargaisons militaires et humanitaires en provenance des pays alliés, selon les données de Prêt-bail. Pendant la guerre froide, malheureusement, le régime Pahlavi du Shah s’est lancé dans un partenariat stratégique avec les États-Unis et la Grande-Bretagne, qui a freiné le développement progressif des relations irano-soviétiques. De 1955 à 1979, l’Iran faisait partie du bloc régional pro-OTAN Organisation du Traité central (CENTO) ou le Pacte de Bagdad, et ce n’est qu’après la révolution islamique de février 1979 que Téhéran a changé le vecteur de sa politique étrangère de l’Occident en faveur d’un développement national indépendant.

Les espoirs des politiciens soviétiques qu’avec le changement du régime du Shah, l’Iran pourrait s’orienter en faveur d’un partenariat stratégique avec l’URSS ne se sont malheureusement pas réalisés. Le régime théocratique de la République islamique d’Iran (RII), États-Unis représenté par Ayatollah Khomeini, a alors (5 novembre 1979) reconnu les États-Unis comme le « grand Satan » et a accusé Washington d’impérialisme et d’exportation de la corruption, et l’URSS de «petit Satan» en raison de son idéologie athée du communisme. Khomeiny a exhorté les Iraniens à ne soutenir aucun des deux camps dans la guerre froide. Dans la même gradation, le chef suprême de la République islamique d’Iran (RII) a qualifié Israël de « petit Satan » en raison de ses liens avec les États-Unis et du conflit israélo-palestinien en cours.

Cependant, l’Iran n’a pas mené d’activités subversives actives contre la Russie et des relations de bon voisinage ont été maintenues entre nos pays. Téhéran, conformément aux dispositions du traité de Turkmantchaï de 1829, n’a pas violé ses accords historiques avec la Russie, indépendamment du changement de régime dans notre pays en 1917 et 1991, n’a pas franchi la frontière le long de la rivière Arax.

Pendant ce temps, les relations soviéto-iraniennes ont été soumises à certaines épreuves pendant les années de la guerre Iran-Irak (de 1980 à 1988). Cette guerre a été désavantageuse pour l’Union soviétique. La politique de Moscou est passée d’une « neutralité stricte » à un soutien militaire massif à l’Irak dans la phase finale de la guerre. L’Irak était alors notre allié, tandis que l’Iran sous le règne du Shah Reza Pahlavi et avec l’arrivée au pouvoir d’Ayatollah Khomeiny rejetait l’amitié avec l’URSS. Moscou craignait une possible transition de Saddam Hussein aux côtés des États-Unis et la perte d’un partenaire important dans la région. C’est l’aide militaire soviétique à Bagdad en 1986 qui a permis aux irakiens de se lancer dans une contre-offensive et de mettre fin à la guerre en 1988.

L’Union soviétique, malgré la coopération irano-américaine, a fourni dans les années 1960 et 1970 une aide économique considérable à l’Iran. C’est l’URSS qui a construit une grande usine métallurgique à Ispahan, une usine de tracteurs à Tabriz, une entreprise de construction de voitures à Arak, un gazoduc trans-iranien et une centrale hydroélectrique à Araks à la frontière avec l’Azerbaïdjan soviétique.

Ce n’est qu’au tournant des XXe et XXIe siècles que dans les relations russo-iraniennes ont commencé de nouvelles périodes de partenariat.  Nous savons bien qu’en 1975 la République fédérale d’Allemagne (RFA) (l’entreprise allemande Kraftwerk Union, une filiale de Siemens AG) a commencé la construction de la première centrale nucléaire de l’histoire de l’Iran à Bushehr.  Cependant, en 1980, le gouvernement ouest-allemand a rejoint les sanctions anti-iraniennes des États-Unis et a mis fin à la construction de la centrale nucléaire de Bushehr.  En août 1992, la Russie et l’Iran ont signé un accord de coopération dans le domaine de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire et la poursuite de la construction de la centrale nucléaire de Bushehr… En 2010, la centrale nucléaire a été mise en service et connectée au système énergétique iranien en septembre 2011. Ainsi, grâce à la Russie, la première centrale nucléaire iranienne a été construite.

En novembre 2014, grâce à la fiabilité de la partie russe, Téhéran a signé avec Moscou un nouvel accord pour la construction clé en main de deux nouveaux réacteurs nucléaires.  Le projet Bushehr-2 est estimé à environ 10 milliards de dollars, et la construction du deuxième réacteur dans la centrale nucléaire devrait être achevée en 2024 et le troisième réacteur en 2026.

L’Iran, contrairement à la Turquie et à l’Arabie saoudite, n’a pas soutenu (ni publiquement ni à huis clos) le mouvement séparatiste et le conflit militaire en Tchétchénie dans les années 1990. Téhéran possédait des informations selon lesquelles le Royaume-Uni, les États-Unis et la Turquie en exploitant la question religieuse étaient les initiateurs du déclenchement de ce conflit anti-russe, qui avait pour épicentre la Tchétchénie, et qu’il servait aussi les intérêts de L’OTAN.  Leur objectif était d’accéder aux ressources énergétiques du bassin caspien en Azerbaïdjan, en contournant la Russie. Compte tenu du vide idéologique créé après l’effondrement de l’URSS, la branche sunnite de l’Islam contrôlée principalement par la Turquie et l’Arabie saoudite (y compris le courant radical du wahhabisme du RAS) a tenté d’occuper une niche dans les régions du Caucase et d’autres régions post-soviétiques où la population est majoritairement musulmane. Téhéran, naturellement considérait cette stratégie régionale de l’OTAN dans le Caucase du Sud et du Nord comme un défi au chiisme, ainsi qu’aux intérêts géopolitiques et économiques de la Russie et de l’Iran.

La situation en Syrie, où Moscou et Téhéran ont soutenu le régime de Bachar Al-Assad, à savoir, en prenant des positions communes sur l’élimination de la menace de l’État islamique (organisation terroriste internationale interdite en Russie), en empêchant la scission territoriale de la République arabe syrienne (RAS), ainsi qu’en luttant contre les actions agressives commises par les États-Unis, a joué un rôle déterminant dans l’ouverture d’une nouvelle étape du partenariat constructif russo-iranien.  Les efforts de la Russie et de l’Iran en vue d’un règlement global de la situation en Syrie ont permis de mettre en place une plate-forme de négociations de paix à Astana avec la participation de la Turquie et des représentants de l’opposition syrienne.

Pour ce qui est de la résolution du conflit arméno-azerbaïdjanais et du renforcement de la paix dans le Caucase du Sud, l’Iran a soutenu l’initiative turco-azerbaïdjanaise de créer une large plate-forme régionale de coopération selon le principe 3+3 (Turquie, Russie, Iran + Azerbaïdjan, Arménie, Géorgie). Toujours sur cette voie diplomatique, Téhéran préconise sans équivoque le maintien de l’intégrité territoriale et de la souveraineté des trois républiques transcaucasiennes, mais exclut toute pression sur Erevan sur la question du déblocage du « corridor de Zangezur » dans la région de Meghri en empiétant sur les intérêts de l’Arménie et de l’Iran. Téhéran s’oppose fermement à la formation d’un « pont panturquiste » à travers l’Arménie pour relier la Turquie au reste du monde turc et à l’avancée de l’OTAN en Transcaucasie et en Asie centrale, qui nuiraient également aux intérêts de la Russie dans cette région.

En même temps, la Russie et l’Iran envisagent de lancer une nouvelle route stratégique commerciale Nord-Sud qui passera par le territoire de l’Azerbaïdjan. Plus concrètement, cette route de transit recevra un nouvel élan après l’achèvement de la construction du pont reliant la ville iranienne Rasht à celle de l’Azerbaïdjan Astara. Et bien que tous les accords aient été signés et que Moscou et Bakou soient prêts à financer l’achèvement de ce projet, la partie iranienne qui avait publiquement donné son accord, retarde pour diverses raisons l’achèvement de sa construction.  Cette approche de Téhéran est certainement due à une nouvelle aggravation des relations entre l’Iran et l’Azerbaïdjan, compte tenu du renforcement des liens interétatiques (y compris militaro-techniques) entre Bakou et Tel-Aviv.

Après l’aggravation de la crise russo-ukrainienne et le début de l’opération militaire spéciale, Téhéran a soutenu les accusations de la Russie contre l’Otan et les États-Unis. En outre, les sanctions anti-russes sévères de l’Occident ont favorisé un rapprochement de plus en plus étroit entre la Russie et l’Iran. La riche expérience de l’Iran à résister aux sanctions occidentales sévères intéresse beaucoup Moscou et cette dernière compte bien l’étudier et l’appliquer. L’Iran représente pour la Russie un partenaire fiable, lui permettant d’avoir accès dans la zone du golfe Persique, principalement des pays d’Asie et du Moyen-Orient. Actuellement le partenariat russo-iranien se joue principalement sur les domaines relatifs aux voies de communication servant de transit, à l’énergie, à l’agriculture, à l’échange de technologies de pointe, à la coopération militaire et militaro-technique.

En juillet 2023, l’Iran a changé son statut d’observateur pour devenir membre à part entière de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), où la Russie, la Chine et l’Inde sont les principaux partenaires. Dans le cadre de sa coopération multilatérale, l’Iran montre également un grand intérêt pour d’autres organisations internationales telles que le groupe des BRICS (notamment, en juin 2022, Téhéran a fait une demande d’adhésion aux BRICS).

En juillet 2022, la compagnie pétrolière nationale iranienne (CPNI) a signé un mémorandum de coopération énergétique d’une valeur d’environ 40 milliards de dollars avec le groupe gazier russe Gazprom. Cet accord prévoit le développement des gisements gaziers iraniens de Kish et de North Pars, la modernisation du champ gazier de South Pars avec l’augmentation de la pression, le développement de six champs pétrolifères, l’échange de gaz et de produits pétroliers, l’achèvement de construction de complexes de GNL, la construction de gazoducs d’exportation ainsi que d’autres activités de coopération scientifique et technique.

C’est dans ce même contexte que le ministère iranien du Pétrole Javad Owji, a proposé à la Russie de participer, avec le Turkménistan et le Qatar, à la création d’un hub gazier dans la zone industrielle d’Asaluyeh, dans la province de Bushehr au sud de l’Iran sur les rives du golfe Persique. Étant donné que l’Iran possède les deuxièmes plus grandes réserves de gaz au monde après la Russie et, par conséquent, est notre concurrent sur le marché des exportations de gaz, cette proposition de Téhéran témoigne de la volonté d’unir les principaux rivaux pour un objectif plus grand.  Imaginant un hub gazier iranien contrôlant plus de 60% des réserves mondiales de gaz, ce qui constituera un défi évident pour l’Occident et le marché mondial.

Un autre domaine important de la coopération russo-iranienne est la sphère militaro-industrielle et l’échange de technologies de pointe pour la fabrication d’armes de haute précision. La Russie, l’Iran et la Chine ont commencé à mener des exercices militaires (et en particulier navals) conjoints en Iran et dans le golfe Persique, ce qui ne peut qu’impacter à la situation globale de la sécurité régionale dans cette région stratégiquement importante (y compris défier la cinquième flotte de la marine américaine basée à Bahreïn). L’Occident par sa propagande médiatique dénonce la coopération militaire et technique entre la Russie et l’Iran en proférant des accusations infondées (en particulier sur la livraison présumée drones iraniens « Shahed » et leur utilisation dans la zone où a lieu l’opération militaire spéciale).

La dynamique de croissance des chiffre d’affaires commercial russo-iranien en 2022 s’est élevée à environ 5 milliards de dollars et a dépassé de 15% les chiffres de 2021, ce qui est en grande partie dû à la crise actuelle entre la Fédération de Russie et l’UE ensemble avec les États-Unis. Ainsi, l’évolution des relations commerciales entre la Russie et l’Iran laisse supposer également une croissance stable pour l’année en cours.

À ce propos, l’augmentation de 68% du chiffre d’affaires des cargaisons des ports maritimes d’Astrakhan, est en grande partie due à l’expansion du commerce russo-iranien.  En outre, à la suite d’une récente réunion entre les dirigeants de régions (notamment, le gouverneur de la région d’Astrakhan, Igor Babushkin et le gouverneur de la province de Mazandaran, Seyid Mahmoud Hosseinipur), il a été décidé d’ouvrir une route maritime directe reliant le port d’Astrakhan d’Olya dans le delta de la Volga au port iranien d’Amirabad au sud de la mer Caspienne. En plus, la région d’Astrakhan et la province de Mazandaran représentent des points incontournables du corridor nord-sud, par lequel les marchandises en provenance d’Inde, de Chine et des pays arabes du golfe Persique sont acheminées via l’Iran. Raison pour laquelle, la Fédération de Russie prévoit d’augmenter les effectifs de la flotte marchande (en particulier les vraquiers et les pétroliers).

Enfin, la Russie et l’Iran sont au stade de la préparation d’un nouveau grand traité de coopération interétatique, dont la signature créera dans un avenir proche les conditions d’une coopération multisectorielle élargie entre nos pays. Ainsi, l’intensification du partenariat russo-iranien répond aux intérêts de Moscou et de Téhéran, assure l’équilibre des forces au moyen-Orient et dans les régions adjacentes (y compris dans le Caucase du Sud et en Asie centrale). Combiné à la diplomatie constructive de l’Iran avec la Chine, l’Inde et les États du Golfe, le partenariat russo-iranien complète les nouveaux contours du Moyen-Orient, où les pays de l’Otan et Israël seront contraints de respecter les intérêts de leurs rivaux.

 

Alexandre SVARANTS, docteur en sciences politiques, professeur, spécialement pour la revue en ligne « New Eastern Outlook »

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