« Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage », dit le vieux proverbe. Avec leur stratégie de sabotage de l’économie chinoise, les États-Unis ont poussé plus loin la ruse : accuser la Chine d’avoir la rage ne suffit pas, il faut encore lui transmettre la maladie.
Parallèlement à cet ostracisme de certains secteurs de l’économie chinoise, les médias occidentaux répètent à l’envi que l’économie chinoise est mal en point, et même, au bord de l’effondrement. D’après ces oiseaux de mauvais augure, l’âge d’or de la croissance économique chinoise est une époque révolue.
La fabrication de prophéties auto-réalisatrices
Washington et ses affidés présentent les indicateurs économiques de la Chine comme une succession de catastrophes qui seraient le résultat des politiques économiques malavisées du gouvernement chinois.
Selon ce narratif, la croissance de la Chine serait en berne à cause d’une mauvaise allocation des ressources par les autorités chinoises. Ces erreurs de jugement auraient abouti à un effet domino généralisé : l’endettement des provinces devient insoutenable, le secteur de l’immobilier s’effondre, les entreprises engrangent moins de profits, le chômage des jeunes explose, les prix à la consommation sont en baisse, les salaires et la confiance aussi. La volatilité des places boursières chinoises est invoquée, elle aussi, pour apporter de l’eau au moulin du narratif occidental. – Et si l’on ajoute à cela le vieillissement de la population, alors il y a décidément lieu de croire que l’économie chinoise est en phase terminale.
Bien sûr, derrière ce portrait cataclysmique se cache l’objectif de saper la confiance : de la demande domestique, des investisseurs et des partenaires de Pékin. Car il ne faut pas oublier que ce portrait prétend ignorer l’avalanche de restrictions commerciales imposées à la Chine par Washington et ses pays satellites, lesquels s’acharnent à réduire, et dans certains cas à bannir, les échanges commerciaux avec Pékin. Ces manœuvres révèlent que le véritable objectif du bloc occidental est de limiter la compétitivité économique et commerciale de la Chine – et par ricochet, le développement de ses partenaires du Sud.
À une époque où la transition énergétique est le nouveau cheval de bataille du bloc occidental, qui y voit un moyen de perpétuer son hégémonie en imposant de nouvelles règles d’échange, il n’est pas étonnant que l’avancée spectaculaire de la Chine dans ce domaine subisse les foudres de Washington. L’imposition de droits de douane particulièrement élevés sur les voitures électriques chinoises – 100% par les États-Unis et jusqu’à 45% par l’UE – ne laisse aucun doute sur les intentions de Washington : porter atteinte à la position dominante des entreprises automobiles chinoises, en les accusant de pratiquer une concurrence déloyale à coups de subventions et de surcapacité de production. Lucide quant au prétexte fallacieux sur lequel repose ce protectionnisme masqué, la Chine a décidé de porter l’affaire devant l’OMC, dont les règles de libre concurrence sont manifestement bafouées.
L’accusation portée contre la Chine de recourir au travail forcé des populations ouïghoures de la province du Xinjiang répond au même objectif : exclure des secteurs entiers de l’industrie chinoise des échanges commerciaux avec les États-Unis. Il suffit de consulter la liste des produits chinois intégrés au UFLPA pour se rendre compte de la dimension géopolitique et géo-économique de ces lois adoptées par Washington. En ciblant des produits stratégiques, tels que le coton, le PVC aluminium, les produits à base de silice, la tomate ou les fruits de mer, l’objectif manifeste est d’écarter un concurrent dont la position dominante déclasse Washington et ses alliés.
Cette loi américaine sur le travail forcé – protectionnisme déguisé en défense des droits de l’homme – permet aussi à Washington de cultiver l’image d’une Chine dictatoriale, irrespectueuse de la dignité humaine et maltraitant sa population musulmane. Il va sans dire que les grands moyens investis par Pékin au service du développement économique du Xinjiang, qui s’est révélé être le meilleur antidote contre les mouvements terroristes et séparatistes téléguidés de l’extérieur, privent Washington d’un instrument de chantage redoutable contre Pékin. Il va sans dire aussi que, dans le contexte des carnages quotidiens qui ensanglantent Gaza et le Liban – carnages exécutés par Israël, mais sponsorisés et promus par Washington et ses alliés européens –, ces accusations contre la Chine n’ont pas une once de crédibilité.
Le diagnostic occidental de l’état de santé de la Chine ignore aussi, à dessein, les réorientations économiques qui ont été engagées par Pékin. A l’instar des grandes politiques économiques chinoises des trente dernières années, ces réorientations sont des processus de transformation longs, profonds, constamment réajustés en fonction des conjonctures intérieures et extérieures. C’est ainsi qu’il faut comprendre le concept de double circulation, la priorité donnée à l’économie numérique ou la marche chinoise vers la souveraineté technologique – sans oublier, bien sûr, l’architecture géopolitique mondiale de la BRI. La « Décision » du 3e plenum du XXe comité central du parti communiste a énoncé dans le détail les axes prioritaires sur lesquels doivent reposer les politiques économiques du pays.
Sécurité nationale vs souveraineté
Les restrictions économiques imposées à la Chine seraient principalement motivées par des préoccupations de « sécurité nationale ». Ces préoccupations seraient suffisamment alarmantes pour justifier, aux yeux des États-Unis et de l’UE, une exclusion de certains produits, voire secteurs chinois du commerce avec Washington et Bruxelles.
Les États-Unis n’ont cessé, par exemple, de mettre en avant le danger lié aux technologies à double usage, telles que la 5G ou les semi-conducteurs de haute technologie, qui peuvent être utilisées à des fins à la fois civiles et militaires. C’est ainsi que, sous la pression des États-Unis, plusieurs pays de l’UE ont dû renoncer à la 5G chinoise. De même, sur injonction américaine, les producteurs de semi-conducteurs de haute technologie ont été contraints de bannir l’exportation de leurs produits vers la Chine.
Ces préoccupations américaines liées à la « sécurité nationale » touchent aussi le domaine des ports maritimes, sur les quatre continents. La construction et/ou la gestion par Pékin de ports commerciaux stratégiques, tels que le port de Hambantota au Sri Lanka, celui de Bata en Guinée équatoriale, ou celui de Chancay au Pérou, est perçue par Washington comme une menace potentielle, ces ports pouvant servir, à terme, à des fins militaires.
Tout récemment, Washington a frappé de sanctions six nouvelles entreprises chinoises, en les accusant d’aider l’Iran à « acquérir des armes de destruction massive », mais aussi de contribuer à la modernisation de l’armée chinoise. – N’étant pas à une offense près, les États-Unis continuent, dans le même temps, de compromettre la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Chine, puisqu’ils viennent de conclure un nouveau contrat d’armement de deux milliards de dollars avec Taiwan — en violant, pour la énième fois, l’esprit des trois communiqués conjoints signés avec Pékin.
Ces mesures coercitives unilatérales révèlent que l’ascension économique de la Chine, dont le corollaire est l’ascension militaire, est perçue par les États-Unis comme une menace à leur hégémonie. L’adoption de barrières économiques et commerciales à l’encontre de Pékin vise à entraver la souveraineté technologique de la Chine, et à maintenir Pékin dans une dépendance vis-à-vis du bloc occidental, sous domination américaine. Il ne fait aucun doute que ces mesures coercitives visent aussi à garantir à Washington un droit de regard sur les relations Chine-UE, et à empêcher une trop grande indépendance de l’UE vis-à-vis de Washington.
Devant cette réalité, il faut affronter la seule question qui vaille : quelle légitimité peut revêtir la notion de « sécurité nationale », avancée par les États-Unis et leurs alliés, si elle nie à leurs concurrents géopolitiques le droit de protéger leurs frontières et leurs ressources, celui de choisir leur propre voie de développement, et d’améliorer la vie de leurs populations ? Cette question va au-delà de la Chine : elle se pose aussi pour la Russie, l’Iran, la Corée du Nord, le Venezuela, le Zimbabwe et tant d’autres États dont la « sécurité nationale » est piétinée sans merci par une poignée de grandes puissances.
En définitive, il faut appeler un chat un chat : la guerre commerciale contre la Chine est une guerre contre la souveraineté chinoise.
Lama El Horr, PhD, analyste géopolitique, est rédactrice en chef fondatrice de China Beyond the Wall, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »