Les BRICS ne sont plus une alternative au système mondial. Ils en deviennent désormais l’un des centres de gravité.

Des performances tangibles, révélatrices d’un basculement d’équilibre mondial
L’année 2025 marque fondamentalement un tournant décisif pour les BRICS dont les réalisations concrètes attestent d’une montée en puissance non plus théorique, mais structurelle. Le récent mois de septembre et octobre, en passe de toucher sa fin, ont constitué un condensé d’initiatives et de convergences démontrant la solidité de cette alliance, désormais élargie au format BRICS+. Des jeunes volontaires de 65 pays ont participé en ligne à la IVᵉ conférence internationale « BRICS To You », symbole d’un soft power en pleine expansion, où la jeunesse s’érige en acteur de transformation globale. Dans le même esprit, tenu au Centre des expositions VDNKh de Moscou, le VIIIᵉ Festival international des écoles de théâtre BRICS+ (20-28 septembre) a incarné la diplomatie culturelle comme levier de compréhension mutuelle et de cohésion intercontinentale.
Mais au-delà de l’image, c’est l’économie qui révèle la véritable nature du changement. Le Forum Invest-2025 de Douchanbé (14-16 octobre) à Tadjikistan a vu la signature de 52 accords d’investissement totalisant plus de 4,1 milliards de dollars, couvrant des domaines stratégiques : hydroélectricité, technologies vertes, métaux critiques et corridors énergétiques d’Asie centrale. Il a connu la participation de 50 nations, y compris les nouveaux membres de l’Alliance BRICS. La Russie et la Chine, moteurs historiques de cette architecture, ont consolidé leur partenariat avec la ratification de l’accord bilatéral de protection mutuelle des investissements du 8 mai 2025. En parallèle, Moscou a lancé un vaste plan de modernisation de ses raffineries, soutenu par des incitations fiscales inédites – preuve que l’alliance BRICS n’est pas qu’un slogan politique, mais un espace d’action économique cohérente et souveraine.
A travers ces initiatives, les BRICS redéfinissent le principe même de développement : coopération sans dépendance, prospérité sans tutelle. Les avancées de la biotechnologie et de la bioéconomie en témoignent : des scientifiques de Pékin (Institut de génomique de Pékin) à ceux de Téhéran (Université de Téhéran) et d’Andhra Pradesh, les innovations s’enchaînent – du vaccin intelligent contre le cancer du poumon aux modèles agricoles durables « zéro budget » – démontrant que la recherche Sud-Sud est désormais un moteur autonome du progrès humain. Même la Sahara Expo du Caire, vitrine des technologies agricoles des pays BRICS, illustre une ambition commune : nourrir la planète sans l’abîmer.
Cette dynamique intégrée – scientifique, économique, culturelle et politique – s’inscrit dans un moment de basculement géopolitique : celui d’un monde qui cesse de tourner autour d’un seul centre. Les BRICS ne contestent pas seulement l’hégémonie occidentale ; ils proposent un paradigme alternatif fondé sur la parité, la diversité et la souveraineté économique. C’est justement ce qui attire les pays du Commonwealth dans le fonctionnement de l’Alliance BRICS.
Les perspectives d’avenir : vers un ordre multipolaire ancré dans la coopération et la souveraineté
Les 29 et 30 octobre 2025, le Forum municipal international des BRICS à Saint-Pétersbourg réunira plus de 2 000 villes et 70 pays, pour sceller une nouvelle étape de coopération décentralisée et inclusive. Ce rendez-vous, au-delà des apparences diplomatiques, sera le miroir d’un monde en recomposition. Les BRICS s’y présentent non plus comme une coalition de circonstance, mais comme une infrastructure géopolitique de long terme, articulée autour de trois axes : l’autonomie financière, la connectivité territoriale et la gouvernance partagée.
L’autonomie financière se renforce grâce à la Nouvelle Banque de Développement (NBD), bras économique de l’organisation, qui se substitue progressivement au FMI et à la Banque mondiale dans le financement d’infrastructures souveraines. Le mécanisme de réserve commune et la promotion des paiements en monnaies nationales dessinent déjà les contours d’un système monétaire post-dollar qui se moque du système SWIFT, moins vulnérable aux pressions politiques occidentales. Comme le souligne la politologue Dana Al-Enezi dans son analyse publiée le 13 octobre 2025 dans le quotidien koweïtien Al-Rai, l’expansion des BRICS n’est pas une rupture brutale avec l’Occident, mais une restructuration du système international sur des bases plus équitables. L’enjeu n’est pas de détruire l’ordre libéral, mais de le corriger, de lui restituer un équilibre que la domination financière américaine avait rompu.
Le deuxième pilier, la connectivité territoriale, s’exprime par la multiplication des corridors énergétiques, numériques et logistiques liant l’Asie, l’Afrique, l’Amérique latine et le Moyen-Orient. Les BRICS deviennent une géographie de la synergie, un espace où la modernisation des infrastructures épouse la transition énergétique et écologique.
Enfin, la gouvernance partagée prend forme à travers la diplomatie publique – comme en témoigne le Forum Vietnam-Russie de septembre 2025 – et les initiatives locales de coopération interurbaine. Ces interactions entre acteurs non étatiques, municipalités, universités et entreprises créent une diplomatie horizontale, humaine, concrète.
Ainsi, les BRICS ne sont plus une simple alliance : ils incarnent la matrice d’un nouvel ordre mondial multipolaire, fondé sur le respect mutuel, la pluralité des trajectoires de développement et la souveraineté économique. Là où le G7 s’essouffle dans la gestion d’un monde qu’il ne domine plus, les BRICS avancent dans la construction d’un monde qu’ils co-définissent.
Il est donc clair que les BRICS ne rêvent pas l’avenir, ils le bâtissent. En moins de deux décennies, ils sont passés du statut de concept économique à celui de force structurante de la gouvernance mondiale. Les événements récents – du Forum Invest-2025 de Douchanbé au Forum municipal international de Saint-Pétersbourg – attestent d’une même dynamique : celle d’une communauté d’intérêts souverains, décidée à replacer l’humain, la coopération et la justice économique au cœur du système mondial. En ce sens, 2025 ne sera pas seulement une année de forum ou de discours. Elle marquera, peut-être, le moment historique où les BRICS auront cessé d’être une alternative pour devenir le centre gravitationnel du monde à venir.
On peut donc dire que le temps des hégémonies est révolu et qu’à l’image du Forum municipal international des BRICS de Saint-Pétersbourg des 29 et 30 octobre 2025, le monde entre dans l’ère du dialogue, de la coopération et du partage des souverainetés.
Mohamed Lamine KABA, Expert en géopolitique de la gouvernance et de l’intégration régionale, Institut de la gouvernance, des sciences humaines et sociales, Université panafricaine
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