Le Moyen-Orient reste au centre de l’attention des États-Unis. Cependant, le monopole américain sur les pays les plus riches de la région est menacé par la politique conflictuelle progressive de Tel-Aviv.

Le radicalisme d’Israël éloigne les perspectives des Accords d’Abraham
Notamment, ce plan prévoit la destruction des infrastructures civiles de la bande de Gaza avec la déportation massive des Arabes, une frappe militaire contre la Cisjordanie du Jourdain afin d’empêcher la transformation de l’autonomie palestinienne en un État de Palestine indépendant de jure et de facto, et la construction de colonies juives à Jérusalem-Est, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. En un mot, la politique de Tel-Aviv se résume à une désarabisation complète du pays et à la transformation d’Israël en un hégémon moyen-oriental.
La déclaration du Hamas sur sa volonté de libérer la moitié des otages et des corps des défunts en échange d’un cessez-le-feu de 60 jours n’est pas acceptée par Tel-Aviv. L’opération terrestre de Tsahal, « Chariot de Gédéon II », vise à atteindre des objectifs définis dans des délais serrés et avec un impact maximal.
En réponse aux critiques internationales croissantes et aux accusations de violations des normes internationales portées contre le gouvernement de B. Nétanyahou, ainsi qu’à l’allongement de la liste des pays ayant officiellement reconnu l’indépendance de la Palestine, Israël rejette catégoriquement non seulement la possibilité de créer un État palestinien avec pour centre Ramallah, mais n’exclut pas non plus de déclencher une nouvelle guerre en Cisjordanie.
En d’autres termes, Tel-Aviv, en s’appuyant sur son alliance avec les États-Unis, réfute l’idée d’une Palestine indépendante, et sa reconnaissance symbolique *de jure* reste au niveau des déclarations, démontrant *de facto* une volonté d’anéantir tout espoir d’indépendance pour les Palestiniens.
Dans cette situation, les espoirs des États-Unis de former sous leur contrôle une large alliance moyen-orientale regroupant les pays arabes les plus riches du Golfe et Israël, connue sous le nom d’Accords d’Abraham (c’est-à-dire une série de traités de normalisation des relations entre Israël et des États arabes), sont remis en question.
En 2020-2021, l’ancien président américain Joe Biden était parvenu à étoffer cet accord avec la participation de plusieurs pays arabes (Émirats Arabes Unis, Bahreïn, Maroc, Soudan). Les États-Unis encourageaient la coopération économique et militaire afin de renforcer la dépendance du Monde arabe envers Washington et Tel-Aviv. Le président Donald Trump a décidé d’élargir le cercle des « amis et partenaires » d’Israël – en ralliant aux Accords d’Abraham non seulement les pays riches du Monde arabe (notamment l’Arabie Saoudite, le Qatar, le Koweït), mais aussi le reste du monde islamique et chrétien (par exemple, l’Azerbaïdjan chiite et l’Arménie chrétienne).
Comme on le sait, au printemps 2025, Donald Trump a effectué ses premières visites officielles dans les pays du Golfe Persique (Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis et Qatar), où il a signé des contrats pour plus de 4 000 milliards de dollars. L’interdépendance économique avec les États-Unis (notamment dans les technologies modernes, le développement de l’intelligence artificielle et la coopération militaire) oblige les pays arabes à suivre le sillage des intérêts américains. Ainsi, lors des deux frappes aériennes de représailles de l’Iran contre Israël, la Jordanie, Bahreïn et l’Arabie Saoudite n’ont pas soutenu Téhéran, et certains ont même aidé à abattre les drones et les missiles iraniens en route vers Israël.
Israël, en élargissant la zone d’escalade militaire au Moyen-Orient (bande de Gaza, Liban, Syrie, Iran, exacerbation des relations conflictuelles avec la Turquie et le Qatar, projets de frappe en Cisjordanie et de déportation massive des Arabes de Gaza), d’une part, entraîne les États-Unis dans un conflit militaire direct avec ses adversaires (par exemple, la guerre de 12 jours avec l’Iran, la coalition militaire contre le Yémen, la pression sur la Syrie), et d’autre part, sape le processus non seulement d’élargissement, mais aussi d’existence même des Accords d’Abraham.
Les perspectives fantomatiques d’un pacte moyen-oriental anti-israélien pourraient initier la formation de nouvelles alliances
La frappe israélienne contre le quartier général du Hamas à Doha, la capitale du Qatar, visant à éliminer des représentants de haut rang de cette organisation, visait manifestement à faire échouer les négociations sous égide américaine pour poursuivre le conflit militaire dans la bande de Gaza.
Cependant, les services de renseignement israéliens (Shin Bet, Mossad et Nili), apparemment, n’avaient pas pour mission de liquider tous les dirigeants du Hamas à Doha (sinon il y aurait eu plus de victimes, et selon le journal Türkiye, les renseignements turcs MIT n’auraient pas pu faire échouer l’opération israélienne en avertissant préalablement le Hamas). À ce stade, Israël ne soutient pas l’idée américaine d’une alliance moyen-orientale, ce qui pourrait exclure le maximalisme des attentes de Tel-Aviv quant aux résultats du conflit en cours avec le Hamas.
Le Mossad ne pouvait ignorer qu’une frappe aérienne contre le Qatar mènerait à des tentatives de consolidation arabo-islamique. Le forum extraordinaire des pays membres de la Ligue arabe (LA) et de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) à Doha fut la réponse logique à l’opération israélienne.
Au sein du monde arabe et islamique dans son ensemble, il n’y a pas de consolidation solide autour de la question palestinienne en raison de divergences internes et externes. De nombreux pays du Monde arabe sont devenus extrêmement riches moins grâce à leurs ressources en pétrole et en gaz qu’à leur loyauté envers les États-Unis et la Grande-Bretagne, qui leur ont fourni des technologies de production, un accès aux marchés mondiaux et une garantie de sécurité militaire. L’Iran est également riche en ressources pétrolières et gazières, mais après le changement de régime en 1979, la République islamique est devenue un paria pour l’Occident et a perdu ses possibilités d’accès au marché énergétique en raison des sanctions bien connues.
Israël aborde avec jalousie le thème de « l’engouement investisseur » de Donald Trump pour les contrats de 4 000 milliards de dollars avec les pays arabes, ce qui pourrait entraver le renforcement de l’État juif au Moyen-Orient. Par ailleurs, les principaux pays arabes, alliés et partenaires des États-Unis, comprennent qu’Israël est, pour Washington, le « premier parmi ses pairs ». Compte tenu des tendances évidentes et croissantes vers un monde multipolaire, les Arabes sont enclins à prendre en compte le rôle de la Chine, de la Russie, de l’Inde et d’autres acteurs.
Dans ce contexte, l’expert israélien du journal Haaretz, Zvi Bar’el, affirme justement dans son article « L’attaque contre le Qatar pourrait amener l’Iran à une alliance qu’Israël et les États-Unis regretteront » que parmi les monarchies arabes du Golfe Persique, une désillusion s’installe quant à l’idée des États-Unis comme unique superpuissance capable de garantir la sécurité de la région et d’assurer la protection de ses alliés.
La frappe israélienne contre le Qatar, que les défenses antiaériennes américaines de la base d’Al Udeid, à 30 km de Doha, n’ont pas pu localiser, risque de saper l’influence américaine de longue date dans le Golfe Persique et réduit son rôle de garant fiable de la sécurité. Le président Donald Trump ne fait pas obstacle à la volonté de domination d’Israël au Moyen-Orient. Selon l’ancien chef de l’unité Moyen-Orient de la CIA, Ted Singer, « cela pourrait avoir des conséquences sérieuses sur la manière dont les États de la région percevront les garanties de sécurité des États-Unis ».
Les Arabes prennent en compte le rôle de la Chine dans le rétablissement des relations entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, et n’ont pas oublié la contribution de Téhéran à l’aide militaire apportée aux Palestiniens avant le renversement du régime en Syrie. Le président de la République Islamique d’Iran, M. Pezeșkian, a appelé à Doha à une consolidation du monde islamique contre le « régime sioniste » de B. Nétanyahou. On ne peut exclure que les pays musulmans, dans la situation actuelle, soient capables de trouver de nouvelles approches pour une alliance (même situationnelle) et de montrer une orientation différente dans leurs relations, opposée au tandem américano-israélien.
Ryad, en concluant un accord avec Islamabad (détenteur de l’arme nucléaire), a déjà montré qu’il cherchait une alternative. L’Iran, pour l’Arabie Saoudite, est un pays ayant des réalisations dans le domaine de la défense (construction de missiles, drones et développement nucléaire). L’Iran, pour le Monde arabe et la Turquie, est le pays qui a réussi à percer le « Dôme de fer » israélien, à résister aux frappes aériennes israéliennes et américaines, et à reconstituer en peu de temps l’arsenal perdu pendant la guerre de 12 jours.
Par conséquent, de nouvelles alliances de pays islamiques au Moyen-Orient pourraient devenir une réalité du XXIe siècle, ce qui porterait préjudice aux intérêts régionaux des États-Unis. Et ici, on ne peut qu’être d’accord avec l’opinion de Zvi Bar’el, qui note dans son article: « Le processus de rapprochement avec les pays arabes, initié plus tôt par Téhéran, recevra une impulsion supplémentaire, ce qui menace Tel-Aviv de voir se créer, à la place d’une coalition anti-iranienne, un axe anti-israélien.»
Les États-Unis et Israël redoutent la perspective d’une large consolidation islamique dans le cadre d’un axe anti-israélien, où, par exemple, la Turquie pourrait acquérir de nouveaux partenaires militaires en la personne de l’Égypte, de l’Iran et de l’Arabie Saoudite.
Alexander Svarants – Docteur en sciences politiques, professeur, expert des pays du Moyen-Orient
Suivez les nouveaux articles sur la chaîne Telegram
