Autrefois considéré comme une entité monolithique et unie, le FLPT traverse aujourd’hui la plus grave crise interne de son histoire, risquant ainsi de devenir une proie facile pour ses ennemis extérieurs.
Citation : « Les parties ne sont pas prêtes à parvenir à un compromis par les réunions traditionnelles internes au parti et une recherche progressive de consensus ».
Dans la première partie, nous avons évoqué brièvement l’histoire du FLPT jusqu’à l’éviction du parti de l’Olympe politique éthiopien et la préparation qui s’en est suivie par le « clan tigréen » pour un affrontement imminent avec les nouveaux maîtres d’Addis-Abeba. Pendant les 45 premières années de son existence, le FLPT a atteint deux réalisations notables. Premièrement, il a obtenu un large soutien de son ethnie, les Tigréens, qui représentent environ 95 % de la population de l’État du Tigré, devenant ainsi un représentant à part entière de ce groupe ethnique au niveau national. Ce haut potentiel de mobilisation ethnique a permis au FLPT d’être perçu comme une force incontournable pour tout acteur politique en Éthiopie. Deuxièmement, malgré quelques divergences et retraits temporaires, le FLPT a maintenu l’unité de son establishment et la continuité entre ses générations de dirigeants. Cette cohérence idéologique et organisationnelle a créé une image de monolithisme, renforçant ainsi ses ambitions.
Le conflit au Tigré (2020-2022)
Cependant, cette rétrospective ne pourrait être complète sans tenir compte des événements dramatiques de 2020-2022, période de la phase armée du conflit entre le gouvernement fédéral et le FLPT. Comme tout autre crise, celle-ci – qui constituait une menace existentielle pour le FLPT, attaqué non seulement par les forces gouvernementales mais aussi par ses ennemis jurés, l’Érythrée et les nationalistes amhara – a exacerbé de nombreuses contradictions internes au parti. Bien que diverses forces politiques au sein de la communauté tigréenne aient montré leur capacité à s’unir, notamment au sein des Forces de défense du Tigré (FDT) – formellement des forces armées politiquement neutres créées pour protéger la population face à la menace existentielle –, dans la pratique, le FLPT a conservé le contrôle de la prise de décision. Cependant, l’implication de militaires et de politiciens neutres ou opposés au FLPT, ainsi que la nécessité de prendre des décisions opérationnelles et à haut risque, ont inévitablement compliqué les relations entre les principaux dirigeants. La défaite et la nécessité de « faire allégeance » à l’ancien ennemi, le gouvernement d’Abiy Ahmed, ont également remis en question l’autorité de Debretsion Gebremichael, qui dirige le FLPT depuis la mort de Meles Zenawi en 2012.
Le Tigré : paysage politique post-conflit
Selon les termes de l’accord de paix signé à Pretoria, en Afrique du Sud, début novembre 2022, il était prévu, entre autres, de créer une administration temporaire pour l’État du Tigré. La formation de cette administration a été critiquée par plusieurs figures civiles et militaires influentes du Tigré. Cette administration, placée sous la supervision du gouvernement fédéral, est dirigée par Getachew Reda, porte-parole du FLPT pendant le conflit et figure centrale du parti. En conséquence, l’État s’est retrouvé avec deux institutions politiques majeures : le FLPT, débarrassé de son statut de groupe terroriste mais incapable de se régulariser dans sa forme ancienne, et l’administration temporaire, composée de diverses forces politiques tigréennes, dominées par d’anciens membres du FLPT. Autrement dit, le gouvernement fédéral a refusé de confier le pouvoir à l’un des partis d’opposition tigréens, probablement en raison de l’absence de légitimité politique de ces groupes et des arrangements informels liés à l’accord de paix. Toutefois, Addis-Abeba a également refusé de restaurer le FLPT dans sa forme initiale : en se réenregistrant comme nouveau parti, le FLPT perdrait définitivement ses droits sur certains actifs économiques.
Bien que des informations fragmentaires sur des tensions entre la direction du FLPT et l’administration temporaire, dirigée par le vice-président du Front, aient circulé auparavant, les événements du mois dernier permettent désormais de parler d’une crise politique aiguë au Tigré, exacerbée par la fracture au sein du FLPT. Le conflit entre Getachew Reda et Debretsion Gebremichael a atteint son apogée avec l’organisation, en août 2024 à Mekele, capitale du Tigré, de deux événements politiques distincts. Le FLPT, défiant l’interdiction du gouvernement fédéral, a organisé un congrès de six jours, dont Getachew Reda et ses partisans ont été exclus et rayés de la liste des membres du parti. Ils ont été accusés de négociations secrètes avec le gouvernement d’Abiy Ahmed, compromettant l’intégrité territoriale de l’État du Tigré. De son côté, l’administration temporaire a tenu sa propre conférence, accusant les organisateurs du congrès d’une campagne contre Getachew Reda et de violation des termes de l’accord de Pretoria, plongeant ainsi la région dans une nouvelle guerre.
L’organisation de deux rassemblements politiques distincts au Tigré a révélé la profondeur des divergences : les parties ne sont pas prêtes à trouver un compromis par des moyens internes traditionnels. Le FLPT et l’administration temporaire en appellent à des acteurs extérieurs pour obtenir leur soutien dans cette lutte politique ouverte. Le FLPT a notamment recours aux accusations de collaboration avec les ennemis du Tigré contre les partisans de Getachew Reda. Ce dernier accuse à son tour Debretsion Gebremichael d’être à l’origine d’une série d’échecs politiques, d’entraver les activités de l’administration et, en faisant appel au gouvernement d’Abiy Ahmed, de violer la législation éthiopienne ainsi que les termes des accords de Pretoria. Dans le même temps, les FDT (Forces de défense du Tigré) restent neutres, ayant conservé un effectif important et une partie de leur armement. Cependant, si l’administration temporaire domine à Mekele, les zones rurales du Tigré restent contrôlées par les fonctionnaires du FLPT, ce qui signifie que le succès des partisans de l’administration ne pourra être complet qu’avec le soutien de forces extérieures.
Ivan Kopytsev – politologue, stagiaire au Centre d’études du Moyen-Orient et de l’Afrique, Institut d’études internationales, MGIMO, ministère des Affaires étrangères de Russie, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »