L’UE a besoin d’une vision plus claire sur la manière de tirer parti de ses valeurs et de ses atouts dans un monde en mutation rapide pour échapper à son ‘lente agonie’.
Le défi de la compétitivité de l’Europe
Le manque de compétitivité européenne, ou son retard par rapport aux États-Unis, à la Chine et à d’autres économies dynamiques d’Asie, a fait sonner l’alarme. La semaine dernière, au siège européen à Bruxelles, un rapport complet, préparé pendant un an, a été présenté. Il y a un an, l’ancien Premier ministre italien et ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a été soigneusement sélectionné par la présidence de la Commission européenne pour mener cette étude cruciale sur la compétitivité européenne.
Selon M. Draghi, l’industrie et la compétitivité économique européenne ne vont pas mourir de sitôt ; cependant, elles sont dans un état d’agonie lente, alors que les Européens s’appauvrissent, l’innovation stagne et, par conséquent, la compétitivité décline. La pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine ont mis en lumière les vulnérabilités persistantes de l’économie et de la sécurité européennes.
La dépendance à l’énergie bon marché, le manque de fournitures médicales de base liées au COVID, telles que les masques et les vaccins, l’émigration d’un tiers des individus hautement qualifiés dans les secteurs de haute technologie, la délocalisation des industries de base comme l’acier et la chimie, et la baisse des niveaux dans les classements éducatifs internationaux ont tous souligné la nécessité d’une étude approfondie visant à propulser l’UE vers l’avant et à corriger la trajectoire.
Principaux constats et recommandations
Le rapport s’intitule : « L’avenir de la compétitivité européenne, Partie I : Une stratégie de compétitivité pour l’Europe », et Partie B : « Analyse approfondie et recommandations ». Ces documents identifient les causes sous-jacentes de ce manque de compétitivité : l’innovation, la sécurité et la résilience. La recherche et l’innovation sont donc centrales pour redresser la situation. Le rapport prévoit des investissements à hauteur de 800 milliards d’euros pour restaurer la compétitivité européenne.
Cependant, la question demeure : d’où viendra le financement de ces investissements recommandés ? C’est la question cruciale et peut-être le talon d’Achille des bonnes intentions du rapport. L’UE a une histoire de présentation de plans grandioses, tels que le Global Gateway, mais le financement manque souvent, ce qui conduit à peu ou pas de résultats concrets. Pour compenser ce manque de fonds, M. Draghi suggère que les fonds de cohésion soient réorientés vers la numérisation, les transports, l’éducation et la connectivité, plutôt que vers les domaines traditionnels.
Développement du travail et des compétences
Le développement des compétences et du travail jouera un rôle central dans son rapport, mais ce sont traditionnellement des domaines qui relèvent des États membres et même des niveaux infranationaux. L’UE interviendra-t-elle avec des programmes de formation ? M. Draghi recommande une grande impulsion de l’UE dans ce domaine. Le marché du travail devrait encore se contracter, avec une réduction estimée à 2 millions de travailleurs d’ici 2040. La solution à ce problème pressant réside dans l’amélioration de l’éducation et de la formation pour accroître la productivité des travailleurs, selon le rapporteur.
L’UE a-t-elle besoin d’une autre crise pour agir ? « Non, nous sommes toujours en mode crise », a répondu Draghi à cette question. Dans certains secteurs, comme celui des panneaux solaires, certaines industries sont trop en retard, ce qui suggère que des mesures protectrices par des tarifs pourraient arriver trop tard. Selon Draghi, les Européens sont vulnérables face à la concurrence des États-Unis et de la Chine. L’UE pèche par inaction ou par excès de sanctions, qui se retournent souvent contre elle, comme dans le récent cas des véhicules électriques chinois.
Mon analyse
D’une part, le rapport préconise une approche à multiples facettes pour relancer la croissance et la compétitivité de l’UE, en se concentrant sur l’innovation, la décarbonisation et la sécurité. Les recommandations mettent en avant la nécessité d’une réponse stratégique et coordonnée face aux défis nationaux et internationaux, tout en priorisant les valeurs européennes et le développement durable.
D’autre part, le document ne fournit pas de solution complète aux défis auxquels l’UE est confrontée, mais il sert de point de départ pour initier les conversations nécessaires et engager des changements stratégiques. Il doit combler ces lacunes pour offrir un plan plus complet et actionnable permettant à l’UE de devenir un véritable compétiteur mondial.
De plus, l’UE, comme toutes les grandes bureaucraties, a tendance à fonctionner de manière incrémentale ou gradualiste, ce qui est insuffisant face aux défis de compétitivité actuels, qui nécessitent une approche disruptive pour rattraper le retard et combler les écarts. Cela nécessite un leadership visionnaire capable de convaincre l’opinion publique, les bureaucrates, les alliés politiques et l’opposition d’adopter des changements disruptifs. Pour compliquer les choses, les leaders visionnaires émergent rarement de systèmes bureaucratiques lourds, et dans la sphère politique, les leaders traditionnels de l’UE – tels que ceux d’Allemagne et de France – connaissent des niveaux historiquement bas d’efficacité et de popularité.
Enfin, le chemin de l’UE vers la compétitivité nécessite non seulement des stratégies économiques, mais aussi des stratégies politiques et une compréhension plus approfondie de ses forces uniques. Avant tout, il exige une approche plus proactive des dynamiques géopolitiques, comme le renforcement de l’autonomie stratégique, ainsi qu’un engagement en faveur de la cohésion interne pour éviter la montée de l’extrémisme dans les arènes sociales et politiques de l’UE. De plus, l’UE a besoin d’une vision plus claire sur la manière de tirer parti de ses valeurs et atouts dans un monde en mutation rapide pour échapper à son « lente agonie ».
Ricardo Martins ‒Docteur en sociologie, spécialisé dans les politiques de l’UE et les relations internationales. Chercheur invité à l’Université d’Utrecht, aux Pays-Bas, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »