Il ne reste que quelques semaines avant le sommet des BRICS à Kazan. Peut-on s’attendre à un élargissement de l’alliance ? Quels sont les critères pour les pays partenaires ? Comment l’« Occident collectif » réagit-il au renforcement de la position des BRICS sur la scène mondiale ? C’est à ces questions qu’a répondu Sergueï Alexeïevitch Riabkov, Vice-ministre des Affaires étrangères de la Russie et sherpa russe des BRICS, dans une interview exclusive accordée à la revue « New Eastern Outlook ».
– Monsieur le Vice-ministre, en août dernier, les BRICS ont doublé leur taille, un fait sans précédent dans l’histoire mondiale. Comment se déroule l’intégration des nouveaux membres ?
– La décision prise lors du sommet de Johannesburg en 2023 d’élargir les BRICS peut sans exagération être qualifiée d’historique. Depuis le 1er janvier 2024, l’Égypte, l’Iran, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et l’Éthiopie ont rejoint les BRICS.
Chacun de ces nouveaux membres possède une riche histoire et une grande culture, ainsi qu’un potentiel économique significatif. Ils jouent un rôle clé non seulement dans leur région, mais aussi sur la scène internationale. Tous partagent les valeurs fondamentales des BRICS, notamment l’esprit de solidarité, d’égalité, de respect mutuel, d’ouverture, d’inclusivité et de consensus. Leur adhésion renforce sans aucun doute le profil des BRICS dans les affaires mondiales et accroît leur capacité à contribuer à la construction d’un système de relations internationales plus démocratique et juste, répondant aux intérêts de la majorité mondiale.
L’une de nos priorités, au cours de notre présidence actuelle des BRICS, est de garantir la consolidation du partenariat au sein de l’alliance élargie et d’assurer l’intégration harmonieuse des nouveaux membres dans toute l’architecture du partenariat stratégique des BRICS. Nous avons fait de grands progrès dans cette voie. Dès les premiers mois de leur adhésion, les nouveaux membres se sont activement impliqués dans le travail de l’alliance, montrant une volonté constructive de renforcer la coopération pratique et proposant des initiatives très intéressantes.
– Lors de la première réunion des sherpas et sous-sherpas des BRICS sous présidence russe, vous avez déclaré que « l’élargissement des BRICS contribuera à la construction d’un nouvel ordre mondial plus juste ». Comment caractériseriez-vous la réaction de l’« Occident collectif » face à ce processus ?
– Le monde se dirige de manière progressive et irréversible vers la multipolarité. Un ordre mondial basé sur l’hégémonie d’une minorité occidentale est en train de céder la place à un système reposant sur de multiples pôles et plateformes civilisationnelles. Les structures multilatérales, où les interactions reposent sur les principes d’égalité, d’ouverture et de respect mutuel, sont au premier plan, et les décisions sont prises après des discussions approfondies basées sur le consensus.
Les BRICS jouent précisément ce rôle. L’alliance est un important institut de coopération multilatérale qui ne cherche pas à affaiblir qui que ce soit ni à prendre la place de quiconque, mais vise plutôt à créer des conditions favorables à une croissance progressive, à renforcer le potentiel socio-économique, innovant et humain de ses membres, et à soutenir les pays en développement et les marchés émergents dans la résolution de leurs problèmes urgents, tout en renforçant leur représentation dans le système de gouvernance mondiale.
Naturellement, l’activité des BRICS, qui incarne une approche plus équitable dans la prise de décisions mondiales, est perçue par l’« Occident collectif » comme un défi à l’ordre mondial centré sur un seul pôle. Cela suscite de l’antipathie et du rejet de leur part. Mais notre priorité absolue reste de développer des relations solides avec les pays de la majorité mondiale, qui manifestent un intérêt croissant pour renforcer leur coopération avec les BRICS.
– À ce jour, plus de 30 pays ont exprimé leur désir de rejoindre les BRICS. Lors du sommet de Johannesburg, il a été demandé de définir une catégorie de « pays partenaires » et d’établir une liste indicative. Les critères principaux pour ces pays ont-ils déjà été définis ?
– À la suite de la réunion des dirigeants des BRICS en Afrique du Sud l’an dernier, les ministres des Affaires étrangères ont reçu pour mission de formuler les modalités de la nouvelle catégorie des « pays partenaires » et d’établir une liste de candidats potentiels. Ce travail est en phase finale. Nous espérons obtenir des résultats concrets lors du sommet des BRICS qui se tiendra à Kazan en octobre de cette année.
Sans aucun doute, les candidats à ce statut doivent être des alliés partageant les valeurs des BRICS, notamment la promotion d’un monde multipolaire démocratique, le renforcement de la sécurité et de la stabilité mondiales, le respect des principes de la Charte des Nations unies et du droit international, le rejet des mesures coercitives unilatérales, ainsi que la réforme de l’architecture multilatérale de la gouvernance mondiale, afin que la voix du Sud et de l’Est globaux se fasse entendre plus fortement.
– Aujourd’hui, la catégorie des pays partenaires est au centre de l’attention. Cela signifie-t-il que l’élargissement des BRICS ne se produira pas dans un avenir proche ? Jusqu’à quel point l’alliance peut-elle s’élargir ?
– Après l’élargissement sans précédent des BRICS cette année, il serait prématuré de parler d’une nouvelle vague d’adhésions. Nous devons préserver le niveau de coopération pratique déjà atteint au sein des BRICS et garantir la qualité des mécanismes existants. Toutefois, nous ne pouvons pas ignorer l’intérêt croissant des pays du Sud et de l’Est globaux pour des relations plus étroites avec les BRICS. À ce jour, plus de trente États ont exprimé leur désir de renforcer leurs contacts avec l’alliance. Les portes des BRICS restent ouvertes à tous ceux qui sont intéressés par un dialogue de confiance et d’égalité et qui partagent les valeurs des BRICS.
En tant que pays président cette année, nous nous efforçons de trouver un équilibre entre l’élargissement et l’efficacité. Outre les travaux sur la catégorie des « pays partenaires », nous invitons des alliés à participer à divers formats des BRICS, là où cela est possible et nécessaire. Naturellement, nous agissons en étroite collaboration avec nos partenaires de l’alliance.
Depuis le début de l’année, nous avons organisé de nombreuses réunions avec des pays alliés. Par exemple, je mentionnerais la réunion des ministres des Affaires étrangères à Nijni Novgorod (les 10 et 11 juin), le forum interpartis à Vladivostok (les 18 et 19 juin), le forum parlementaire à Saint-Pétersbourg (les 11 et 12 juillet), et le forum municipal international à Moscou (les 27 et 28 août). Lors des Jeux des BRICS qui se sont déroulés à Kazan du 12 au 23 juin, des athlètes de 82 pays ont participé.
Une session élargie avec des partenaires d’Asie, d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Amérique latine et de l’espace eurasien est prévue lors du XVIe sommet des BRICS à Kazan, du 22 au 24 octobre.
– La part des BRICS dans le PIB mondial en parité de pouvoir d’achat (PPA) a augmenté de 0,6 point de pourcentage en 2023, atteignant un record de 35,7 %. Pendant ce temps, les économies du G7 ont perdu 0,4 point de pourcentage, tombant à 29 %. Comment pensez-vous que ces chiffres évolueront cette année ?
– La contribution des BRICS à l’économie mondiale est, comme vous l’avez noté, significative. Avec l’élargissement de l’alliance cette année, sa part dans le PIB mondial est devenue encore plus importante.
Dans sa configuration élargie, les BRICS couvrent plus de 30 % de la superficie terrestre mondiale et représentent 45 % de la population mondiale (soit 3,6 milliards de personnes). Selon les statistiques du FMI, à la fin de 2024, la part des BRICS dans le PIB mondial en PPA dépassera 36 %, avec un taux de croissance de 4,6 %, soit près de 1,4 point de pourcentage au-dessus de la moyenne mondiale (3,2 %) et nettement plus que le taux des pays du G7 (1,7 %). Les pays des BRICS représentent plus de 40 % de la production mondiale de pétrole et environ un quart des exportations mondiales de marchandises.
Le potentiel en ressources, en innovation technologique et en capital humain des pays des BRICS constitue une base solide pour renforcer leur position dans l’économie mondiale et accroître leur rôle dans la gouvernance mondiale. Cela reflète une tendance générale au déplacement de l’activité économique vers de nouveaux centres d’influence, qui apparaissent en Asie, en Afrique, en Amérique latine et dans d’autres régions du monde.
– Parler d’une monnaie unique des BRICS semble prématuré aujourd’hui. L’attention des pays membres doit se concentrer sur la création de conditions pour une utilisation plus large des monnaies nationales dans les échanges bilatéraux. En outre, les BRICS travaillent sur la création de mécanismes alternatifs de transmission des informations financières. Quels sont les pas concrets réalisés dans cette direction ?
– La dédollarisation devient une tendance mondiale. Non seulement les pays des BRICS, mais aussi de nombreux autres États cherchent à réduire leur dépendance vis-à-vis du dollar américain, en raison de la méfiance croissante envers la fiabilité du système financier occidental, souvent utilisé par Washington et ses alliés européens comme un outil de chantage et d’imposition de volonté politique.
La création d’une infrastructure de paiement et de règlement indépendante et résistante aux pressions des sanctions est un élément clé pour renforcer l’autonomie et la souveraineté financière des pays des BRICS. Lors du sommet des BRICS à Johannesburg, il a été demandé aux ministres des Finances et aux gouverneurs des banques centrales des pays des BRICS d’examiner les questions liées à l’utilisation des monnaies nationales, des instruments de paiement et des plateformes dans les opérations commerciales mutuelles. Les départements compétents travaillent activement sur l’intégration des marchés financiers des BRICS et la mise en œuvre de nouveaux mécanismes de règlement.
En particulier, un projet de plateforme multilatérale pour les paiements transfrontaliers a été présenté aux partenaires. Cette plateforme offrirait un accès égal à tous les membres de l’alliance aux instruments financiers existants, tout en garantissant un haut niveau de protection des informations financières échangées et en minimisant les coûts, y compris par l’utilisation d’outils innovants.
– Le sommet des BRICS en octobre suscitera l’attention mondiale. Quelles sont les nations invitées à y participer ? Peut-on s’attendre à des décisions majeures ?
– Nous avons invité à participer plus d’une trentaine de dirigeants de pays – des dirigeants des BRICS, ainsi que des partenaires de la CEI, d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine, et des chefs de secrétariats d’organisations d’intégration régionales et internationales (y compris, bien sûr, l’Union économique eurasiatique et l’Organisation de coopération de Shanghai). Je ne vais pas citer de pays spécifiques. Parler des détails d’un événement de l’envergure d’un sommet, dans notre pratique, relève de la prérogative de l’administration présidentielle de la Fédération de Russie pour des raisons évidentes.
Chaque sommet des BRICS représente une étape importante dans le développement de l’alliance et dans l’interaction avec le Sud et l’Est globaux, en renforçant leur voix dans la gouvernance mondiale. Cela constitue en soi une contribution significative à l’instauration d’un ordre mondial multipolaire. Nous ne recherchons pas le sensationnalisme, mais des résultats concrets. Nous travaillons minutieusement pour renforcer et approfondir notre partenariat stratégique dans tous les domaines – en politique, sécurité, économie, finances, et au niveau humanitaire – ainsi que pour trouver des solutions aux problèmes actuels de l’agenda international.
– Monsieur le Vice-ministre, merci pour ce dialogue franc et ouvert, et nous vous souhaitons un travail fructueux pour le bien de notre pays. Nous attendons avec impatience le sommet des BRICS à Kazan.
Entretien réalisé par Youlia Novitskaïa, journaliste et correspondante de la « New Eastern Outlook ».