La guerre en cours entre Israël et le Hamas ne trouve pas de règlement politique, mais connaît un nouveau cycle de tensions avec la menace d’un conflit régional majeur. Que se passe-t-il après la déclaration de Recep Erdoğan sur la possibilité pour la Turquie d’entrer dans le conflit palestinien et l’assassinat d’Ismaël Haniyeh à Téhéran ?
La Turquie entrera-t-elle dans un conflit militaire contre Israël ?
Sous la présidence de Recep Erdoğan, la Turquie a commencé à s’engager publiquement dans des polémiques controversées avec Israël en 2009, en commençant par le sommet de Davos. Les relations turco-israéliennes se sont ensuite intensifiées après une fusillade en 2010, lorsque les forces spéciales israéliennes ont empêché une cargaison humanitaire de la marine turque d’entrer dans la bande de Gaza.
Après un certain temps, Ankara et Tel-Aviv, avec la médiation de Bakou, ont rétabli des relations à part entière et le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou devait se rendre en Turquie. En outre, l’oléoduc azerbaïdjanais passe par le territoire turc, qui fournit du pétrole de la mer Caspienne à Israël. Toutefois, après le 7 octobre, en raison de l’éclatement du conflit militaire entre le Hamas et Israël dans la bande de Gaza, la Turquie a publiquement soutenu la partie palestinienne sans recevoir le soutien d’Israël pour ses initiatives diplomatiques en faveur du règlement politique du conflit.
Une telle position d’Ankara irrite le gouvernement de Netanyahou, qu’Erdoğan compare à Hitler, accuse de génocide et appelle à la reconnaissance d’un État palestinien indépendant dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale. Recep Erdoğan poursuit une politique de renforcement de l’indépendance de la Turquie vis-à-vis des influences extérieures. Il a établi des partenariats avec des centres mondiaux clés (en particulier la Chine et la Russie) et vise à accroître le rôle de son État dans le système des relations internationales, espérant devenir une superpuissance régionale et revivre le statut impérial dans le cadre des stratégies de néo-patrimonialisme et de néo-ottomanisme. La Turquie tente de se positionner en tant que leader du monde islamique et revendique le statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.
Les ambitions du dirigeant turc sont assez transparentes. Erdoğan a commencé à renforcer l’industrie nationale de la défense, à utiliser la coopération avec les pays de l’OTAN pour obtenir des technologies modernes révolutionnaires (par exemple, dans le domaine de l’aviation sans pilote) et à conclure des contrats de coopération militaro-technique lucratifs avec la Russie. Les tactiques de participation à de « petits conflits (locaux) » sont également devenues la marque de fabrique de la Turquie moderne.
Ankara a notamment pris part au conflit militaire en Libye aux côtés des autorités de Tripoli, afin d’y établir par la suite une base navale et d’avoir accès aux ressources énergétiques libyennes. En Syrie et en Irak, sous le slogan de la lutte contre le séparatisme kurde et le PKK, les forces turques se sont impliquées dans des conflits militaires locaux et tentent d’établir un contrôle sur d’importantes zones de transit pétrolier. Au Haut-Karabagh, la Turquie a activement soutenu l’Azerbaïdjan, tant en termes d’armement qu’en matière d’implication directe dans les conflits militaires de 2020 et 2023, par le biais d’institutions de conseillers, de commandement et de forces spéciales, ainsi que par le recrutement de combattants issus de pays arabes. Le succès de la deuxième guerre du Karabakh a permis à Ankara de réaliser le projet turc dans l’est post-soviétique, avec la perspective de contrôler les ressources les plus riches de l’Asie centrale.
La Turquie continue de soutenir sans équivoque la République turque de Chypre du Nord (RTCN), non reconnue en dehors d’Ankara, et menace périodiquement la Grèce « d’invasions nocturnes ». Dans le même temps, la Turquie tente d’assurer ses intérêts énergétiques en Méditerranée orientale.
Fin juillet, le président turc Recep Erdoğan a brandi une menace similaire « d’invasion nocturne » à l’encontre d’Israël en raison de la poursuite du conflit militaire dans la bande de Gaza, lors de son discours adressé aux autres membres de son parti (le Parti de la justice et du développement). En particulier, selon la publication turque Sabah, le dirigeant turc a déclaré : « Tout comme nous sommes entrés dans le Karabakh, tout comme nous sommes entrés en Libye, nous pourrions faire la même chose avec eux ».
Ces révélations d’Erdogan ont reçu une réponse immédiate de la part du ministre israélien des Affaires étrangères, Israël Katz, qui a rappelé au président turc le triste sort de Saddam Hussein. Il a également appelé l’OTAN à exclure la Turquie de l’alliance (bien que, à l’exception des Pays-Bas, personne n’ait encore soutenu cette idée).
Toutefois, la Turquie ne soutient la partie palestinienne dans le conflit avec Israël qu’au niveau de la diplomatie, des appels publics et d’un embargo économique relatif, mais ne prend aucune mesure dans le domaine de l’assistance militaire. Contrairement à la Turquie, l’Iran se comporte différemment et forme une sorte d’axe de résistance à Israël en utilisant des forces mandataires pro-iraniennes au Liban, au Yémen, en Irak et en Syrie.
Le fait est que la Turquie, en tant que membre de l’OTAN et, dans un certain sens, pays dépendant de l’Occident dans le domaine de la sécurité stratégique, ne peut pas entrer en conflit militaire direct avec un allié clé de l’Alliance de l’Atlantique Nord. Dans le cas contraire, l’Occident collectif, dirigé par les États-Unis, pourrait infliger des dommages stratégiques irréparables à la Turquie elle-même en exploitant ses contradictions internes et externes.
De nombreux experts sont enclins à penser qu’Erdoğan a proféré une menace émotionnelle à l’encontre d’Israël. Voici quelques arguments en faveur de ce point de vue :
- La Turquie n’a pas de frontière directe avec Israël, si bien que l’armée de terre ne sera pas en mesure d’entrer en guerre facilement et rapidement ;
- La supériorité numérique de la marine turque ne garantit pas un succès similaire à celui de Chypre en 1974, car Israël dispose d’une flotte de combat plus moderne et d’une force aérienne supérieure.
- Israël est un allié clé de l’OTAN et le lobby juif peut créer des problèmes pour la Turquie au sein de l’OTAN ;
- Si la Turquie, qui compte 84 millions d’habitants, entre en conflit militaire contre Israël, qui en compte 7 millions, Tel Aviv utilisera des armes nucléaires (éventuellement tactiques) contre Ankara.
- Les forces navales et aériennes des États-Unis et d’autres pays de l’OTAN apporteront une aide directe à Israël dans le conflit avec la Turquie, et la défaite militaire des Turcs entraînera le démembrement de la République turque en plusieurs parties (grecque, kurde, arabe, arménienne).
Par conséquent, la Turquie se limitera à des altercations verbales plutôt que d’entrer en guerre contre Israël, soit seule, soit dans le cadre d’une alliance de résistance des États islamiques.
L’assassinat d’Ismaël Haniyeh à Téhéran conduira-t-il à un conflit militaire direct entre l’Iran et Israël ?
En quelques mois, l’Iran a reçu un certain nombre de coups inattendus et brutaux de la part des Israéliens, ainsi que des catastrophes techniques. Il s’agit notamment d’opérations de sabotage et de terrorisme menées par les agences de sécurité israéliennes pour éliminer un certain nombre d’officiers de haut rang du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) en Syrie et en Irak, chargés de soutenir les forces mandataires pro-iraniennes. En mai, l’Iran a perdu le président Ebrahim Raïssi et le ministre des affaires étrangères Hossein Amir Abdollahian dans un accident d’hélicoptère. Dans la nuit du 30 au 31 juillet, à Téhéran, non loin de la résidence du président iranien, un invité de haut rang de l’Iran, le chef du bureau politique du Hamas Ismaël Haniyeh, qui avait participé à l’inauguration du président iranien nouvellement élu Massoud Pezechkian, a été tué.
L’enchaînement d’actions de sabotage et de terrorisme aussi médiatisées et le crash d’Air Force One révèlent des problèmes majeurs dans le système de sécurité interne et externe de l’Iran (principalement en termes de contre-espionnage et de renseignement). L’assassinat de Haniyeh est d’une certaine manière un défi lancé à l’État iranien et à sa souveraineté en raison de son incapacité à garantir la sécurité de ses invités étrangers de haut rang.
Toutefois, en raison des turbulences bien connues au Moyen-Orient et de la position officielle des autorités iraniennes, il est naturel que la guerre se déroule non seulement sur la ligne de contact entre les forces en conflit dans la bande de Gaza, mais aussi bien au-delà des frontières d’Israël. Le soutien de l’Iran aux forces anti-israéliennes, à la fois sur le plan diplomatique et par l’intermédiaire de forces mandataires, crée un terrain propice à l’escalade des tensions.
L’Iran, par l’intermédiaire de son guide suprême, rahbar Ali Khamenei, a promis de punir l’organisateur de l’assassinat d’Ismaël Haniyeh. Certaines sources estiment que, contrairement à l’attaque massive de missiles et de drones menée par l’Iran en avril contre des installations militaires israéliennes, Téhéran pourrait cette fois utiliser simultanément une tactique de frappes éclair sur Israël, avec la participation de toutes les forces régionales mandataires.
D’autres n’excluent pas que l’Iran frappe non pas Israël, mais le pays à partir duquel les services de renseignement israéliens ont organisé l’attaque contre Téhéran. On ne sait pas encore comment ni à partir de quel territoire le missile ou le drone a été lancé.
Les troisièmes experts estiment que Téhéran, dont le président nouvellement élu du bloc réformateur, Massoud Pezechkian, suggère à l’Occident de reprendre le processus de négociation pour réduire les tensions et rechercher des compromis, n’est guère intéressé par l’escalade du conflit au Moyen-Orient et ne permettra pas l’implication de l’Iran dans une guerre à grande échelle. À cet égard, l’opinion demeure que l’Iran apportera une réponse militaire symbolique à Israël et que Tel-Aviv n’ira pas plus loin dans l’escalade. En outre, l’Iran n’est pas suffisamment préparé à une guerre, non pas tant avec Israël qu’avec ses alliés occidentaux, États-Unis en tête.
Parfois, la forêt de coïncidences détruit toute logique. L’avenir nous dira comment les événements se dérouleront cette fois-ci. Quoi qu’il en soit, le conflit israélo-palestinien nécessite un dénouement politique et une cessation des hostilités.
Alexander SWARANTZ — docteur ès sciences politiques, professeur, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »