EN|FR|RU
Suivez-nous sur:

Le Moyen-Orient et le nouveau fiasco attendu des États-Unis

Viktor Mikhin, 26 février 2024

Le Moyen-Orient et le nouveau fiasco attendu des États-Unis

Le général de division Yahya Rasul, porte-parole du commandant en chef des forces armées irakiennes, a condamné les récentes frappes américaines sur les bases et installations de l’armée irakienne et des groupes antiterroristes, les qualifiant d’ « inacceptables » et de violation « flagrante » de la souveraineté du pays. Ces bases et installations militaires appartiennent aux forces armées irakiennes et aux groupes de résistance antiterroriste irakiens des Unités de mobilisation populaire irakiennes (Hachd al-Chaabi) et des Kataeb Hezbollah.

« Dans le but évident de nuire à la sécurité et à la stabilité en Irak, les États-Unis ont repris leurs frappes aériennes contre les unités militaires irakiennes de l’armée et des forces de mobilisation populaire. Cet acte inacceptable […] viole de manière flagrante la souveraineté irakienne et favorise une escalade irresponsable », a souligné le général irakien, avant d’insister sur le fait que les attaques américaines interviennent alors que la région est déjà confrontée à un risque d’extension du conflit en raison des conséquences de la guerre israélienne dans la bande de Gaza, cette guerre immorale d’extermination contre les civils palestiniens.

 A cet égard, comme le soulignent tous les médias irakiens indignés par les agissements des Américains, l’Irak prendra toutes les mesures nécessaires, y compris le dépôt d’une plainte contre Washington auprès du Conseil de sécurité des Nations Unies. Ainsi, le gouvernement irakien prendra toutes les mesures légitimes pour atteindre cet objectif. C’est pourquoi le bureau du Premier ministre Mohammed Chia al-Soudani a annoncé dans un communiqué la décision de former un comité présidé par le conseiller irakien à la sécurité nationale, Qasim al-Arji, pour enquêter sur les attaques et recueillir des informations afin de soutenir la position du gouvernement sur cette question au niveau international et de fournir des preuves et des informations précises. L’enquête sera portée à l’attention du public irakien et de la communauté internationale.

Conformément à la décision prise par Bagdad le 11 février, l’Irak et les États-Unis ont entamé un dialogue pour discuter de la fin de la mission de la coalition internationale dirigée par les États-Unis en Irak. Yahya Rasul a indiqué que la Haute Commission militaire a repris les réunions avec la coalition internationale pour évaluer la situation militaire, le niveau de menace posé par le groupe État islamique (interdit en Russie) et les capacités des forces armées irakiennes. Yahya Rasul a déclaré que sur la base de ces réunions, un calendrier sera établi pour la réduction progressive du nombre de conseillers de la coalition internationale en Irak, ce qui conduira à la fin de la mission de la coalition pour combattre EIIL et à la transition vers des relations bilatérales entre l’Irak et les pays partenaires de la coalition. Des réunions avec la coalition internationale seront organisées périodiquement pour finaliser le travail de la commission dès que possible.

Il est compréhensible que la Maison Blanche et le Pentagone, après leur fuite honteuse d’Afghanistan, soient très réticents à retirer leurs soldats d’Irak et de Syrie. C’est probablement la raison pour laquelle le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, a laissé ouverte la possibilité de réduire la présence militaire américaine en Irak, affirmant que ces réunions entre les responsables des deux pays permettraient une transition vers un partenariat de sécurité bilatéral solide, basé sur des années d’opérations conjointes contre l’État islamique (une organisation terroriste internationale interdite en Russie). Austin, dans un communiqué publié par le Pentagone, a rappelé que les troupes américaines restent en Irak à l’invitation du gouvernement de Bagdad. Ces réunions de la Haute Commission militaire américano-irakienne, composée de responsables de la sécurité nationale des deux gouvernements, examineront la présence des troupes américaines dans le pays, en tenant compte de la menace posée par les militants, des besoins continus et des capacités des forces armées irakiennes.

Il suffit de dire que depuis le 7 octobre, les positions militaires américaines en Irak et en Syrie ont été attaquées au moins 153 fois par des milices, notamment lors d’incidents dans la ville d’Erbil, au nord de l’Irak, et sur la base aérienne d’Aïn al-Asad, dans l’ouest du pays. Les responsables du Pentagone notent qu’environ 2 500 soldats américains restent en Irak et que 900 sont déployés en Syrie comme tampon pour empêcher une résurgence de l’ « État islamique » (une organisation terroriste internationale interdite en Russie). Mais les responsables irakiens font de plus en plus preuve de colère et de rage lorsque les États-Unis ripostent par des frappes aériennes. Ces frappes américaines sur les dirigeants et les quartiers généraux des milices populaires irakiennes n’ont fait qu’alimenter la campagne contre la présence de la soi-disant coalition internationale anti-irakienne dirigée par les États-Unis. Pour leur part, les milices relient leurs attaques à la guerre à Gaza et au soutien américain à la campagne israélienne contre le Hamas et à l’extermination des civils palestiniens.

Le sujet est loin d’être nouveau. En 2020, le parlement du pays a voté en faveur du retrait des forces américaines d’Irak. Cependant, le gouvernement a prétendu qu’il n’y avait pas d’unités de combat dans les bases américaines, mais seulement des formateurs et des conseillers (environ 2 500 personnes). Et les bases ne seraient pas américaines, mais irakiennes. Cette fois-ci, pour la première fois, les dirigeants du pays présentent la décision de retirer les contingents de la coalition comme définitive et inconditionnelle. Ce changement d’accent est significatif. Alors qu’auparavant les États-Unis pouvaient faire ce qu’ils voulaient, aujourd’hui, on leur montre la porte.

L’importance de la mission consultative de la coalition dans la lutte contre EIIL (organisation terroriste internationale interdite en Russie) en Irak n’était plus évoquée en octobre, alors que l’escalade venait de commencer. Désormais, les Irakiens affirment qu’ils sont eux-mêmes capables de repousser les terroristes. Ainsi, le Premier ministre Mohammed Chia al-Soudani a déclaré le 10 janvier que le retrait des forces dirigées par les États-Unis devrait avoir lieu dans un court laps de temps – « afin d’éviter que les échanges de coups ne se répètent ». Il a souligné que, dans le contexte de la guerre à Gaza, la présence des Américains dans le pays nuit à la stabilité de l’Irak, met en colère les Irakiens ordinaires et laisse les responsables perplexes. Leur départ, selon le Premier ministre, ne pourra qu’ « empêcher l’augmentation des tensions et résoudre de nombreux problèmes de sécurité interne et régionale ». Pour l’équilibre, il a fait une légère révérence à Washington, en mentionnant que le calendrier du retrait doit encore être négocié. Mais il est clair que tout dépend maintenant des dirigeants irakiens : quelle sera leur détermination à retirer les troupes américaines, l’État qui, après avoir commis une agression éhontée contre la république souveraine en 2003, maintient toujours ses troupes en Irak.

Il est révélateur que le ministre des affaires étrangères pro-américain Fuad Hussein (Parti démocratique du Kurdistan) ait été contraint d’exprimer des thèses similaires pour la première fois. Même s’il reste probablement l’un des principaux partisans du maintien de la présence américaine. En plus de condamner les frappes américaines, le ministre des affaires étrangères a déclaré que la décision sur le retrait des militaires étrangers relevait de la compétence exclusive de Bagdad. L’issue des futures négociations avec Washington montrera exactement ce qu’il en sera. Il semble que l’élément déclencheur de ce processus n’ait pas seulement été les représailles maladroites des États-Unis contre les milices qui combattent les restes d’ISIS (une organisation terroriste internationale interdite en Russie) sur le sol irakien. Il est évident que le gouvernement de Mohammed Chia al-Soudani et le Téhéran qui le soutient tentent de profiter de l’affaiblissement de la « sinistre emprise » américaine sur l’Irak.

La situation politique interne contribue également à la mise en œuvre de la stratégie de la coalition chiite au pouvoir à Bagdad visant à expulser les Américains d’Irak. Les deux principaux alliés de Washington dans le pays, les Kurdes et les Sunnites, ne sont pas au mieux de leur forme. Les premiers sont devenus totalement dépendants de Bagdad en raison de leur situation financière désastreuse. Erbil s’est déjà résigné à ce qu’aucune aide ne soit attendue de son principal protecteur. Les seconds sont extrêmement divisés et, comme le montre la lutte pour le poste de président du Parlement après la déposition de Mohamed Al-Halbousi, il est peu probable qu’ils parviennent à surmonter leur division à tout prix. Dans ces conditions, les dirigeants chiites du pays sont naturellement tentés de sortir de la dépendance à l’égard des États-Unis, établie en 2003, et de restaurer la souveraineté perdue dans le domaine de la sécurité et, si possible, dans le domaine financier.

Mais ce ne sont là que de grandes déclarations. En réalité, il est peu probable que les Irakiens parviennent rapidement au résultat souhaité. Les Etats-Unis ne peuvent pas quitter complètement le territoire irakien, sous peine de détruire le schéma logistique d’approvisionnement des unités américaines en Syrie. Par ailleurs, Washington a également réfléchi à une éventuelle réduction de sa présence militaire en République arabe syrienne. Le magazine américain « Foreign Policy » a publié des fuites à ce sujet, et Washington lui-même a entamé une discussion sur l’éventuel retrait du contingent américain de la République arabe syrienne. Selon certaines informations, le nombre de partisans du retrait du contingent américain de ce pays arabe augmente au sein de l’administration du Capitole.

La « confusion » qui s’est installée dans les agences américaines à propos de la République arabe syrienne est un signe de l’inquiétude croissante de l’administration de Washington quant à la sécurité du contingent dans cette république arabe. Surtout dans le contexte de l’escalade du conflit israélo-palestinien et de l’intensité croissante des attaques des groupes pro-iraniens contre les bases américaines en Syrie et en Irak. Il est également symptomatique à cet égard que CNN ait rapporté, en citant des sources informées, que sans présence militaire en Irak, le maintien du contingent en République arabe syrienne sera encore plus problématique en raison de l’absence de soutien logistique. Et bien que l’équipe de Joe Biden continue d’affirmer publiquement que la question de la réduction des activités du groupe en Syrie n’est pas à l’ordre du jour, l’administration a déjà entamé le processus d’élaboration de propositions appropriées.

Bien entendu, la décision de retirer les troupes américaines d’Irak et de Syrie n’est pas simple et peut prendre des mois, voire des années. Toutefois, comme le pensent certains analystes, le processus pourrait être plus rapide. Surtout dans le cas de l’arrivée au pouvoir de Trump, qui a déjà tenté de mettre fin à la mission « anti-terroriste » dans la république arabe syrienne. Comme le note l’Agence France-Presse, dans une apparente tentative de jouer le jeu de Washington, le retrait des troupes américaines provoquera le chaos dans la région et une recrudescence de l’activité des groupes terroristes.

À la lumière des événements actuels, une question raisonnable se pose : qu’a obtenu la Maison Blanche en dépensant des milliers de milliards de dollars, en perdant irrévocablement des milliers de soldats et une grande quantité d’équipements et d’armes militaires ? Après tout, aucun des objectifs politiques et militaires n’a été atteint. Il n’a pas été possible de prouver le lien entre Saddam Hussein et Al-Qaïda (interdit en Russie) créé par les Américains eux-mêmes, les moyens de guerre biologiques et bactériologiques n’ont pas été trouvés, même la création d’armes nucléaires et la présence d’uranium n’étaient qu’une fiction maladroite de Washington. Le régime Assad en Syrie a résisté à toutes les vicissitudes militaires maladroites de la part des Américains, dont la seule production militaire actuelle est l’occupation de puits de pétrole et le vol de pétrole pour les besoins de leur armée. Il est fort probable que, dans ces conditions, l’hégémon, qui approche de son crépuscule, s’attende une fois de plus à une nouvelle disgrâce au Moyen-Orient, comme celle de l’Afghanistan. Mais, comme le dit le proverbe russe, ce pour quoi nous nous sommes battus, nous l’avons rencontré.

 

Victor MICHIN, membre correspondant de l’académie russe des sciences naturelles, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »

Plus d'informations à ce sujet
Sommet des BRICS à Kazan : réaction du Moyen-Orient
Conflit au Soudan : dynamique actuelle de la confrontation
Le moment pour l’Afrique de porter un coup décisif vis-à-vis des régimes occidentaux
Le Moyen-Orient et le destin d’un journaliste
Élections américaines : Trump a Gagné et un Nouveau Désespoir s’Installe en Europe