Le 26 janvier, le peuple indien a célébré le principal jour férié, le Republic Day, qui commémore l’adoption de la Constitution et la transition du pays d’une colonie britannique à un État démocratique souverain.
Il s’agit d’un jour férié très important pour le peuple indien – un jour où les écoles, les instituts, les organisations gouvernementales et la plupart des entreprises sont fermés. À New Delhi et dans les capitales des États, des processions festives et de grands défilés militaires sont organisés avec la participation de toutes les branches des forces armées. Sur l’avenue principale de la capitale indienne, où s’est déroulé le défilé principal, environ 77 000 spectateurs se sont rassemblés cette année.
Chaque année, l’Inde invite des hôtes étrangers de haut rang au défilé, et le fait que l’invitation soit lancée est une reconnaissance de l’importance pour les dirigeants indiens de développer des relations de partenariat avec le pays représenté par l’invité. En 2015, une invitation à cette célébration avait été adressée au président américain de l’époque, B.Obama, qui n’a pas manqué d’en profiter. L’année dernière, le président égyptien Abdel Fattah Al-Sisi était l’invité du Jour de la République.
Cette année, le président américain J. Biden était attendu en Inde. En septembre 2023, lors de la participation du président américain au sommet du G20, la partie indienne l’a invité à être l’hôte de ce grand jour férié. L’invitation a été acceptée. Cependant, le 12 décembre, on a appris que le chef de la Maison Blanche avait soudainement annulé la visite. Et ce, alors que les relations entre les États-Unis et l’Inde ont enregistré des progrès sans précédent au cours des dernières années. Nous avons dû remplacer d’urgence Biden par Macron. Le président français n’a pas refusé.
Quelle pourrait être la raison de la réticence de l’actuel président américain à participer aux jours fériés indiens ?
Dans le contexte d’une situation internationale extrêmement dégradée liée aux tentatives en cours pour forger une alliance mondiale anti-russe, Washington accroît la pression sur les pays qui refusent de s’associer aux sanctions contre la Russie dans le cadre de la crise ukrainienne. Alors que les pays occidentaux attendent de New Delhi une politique étrangère totalement soumise, l’Inde prend ouvertement position contre l’Occident, et plus particulièrement contre les États-Unis. Le Premier ministre Narendra Modi se permet le luxe de donner la priorité aux intérêts nationaux indiens, ce qui est inacceptable dans ces circonstances.
L’Inde s’abstient de toute déclaration virulente concernant le conflit en Ukraine et évite de condamner les actions de la Russie. Pour renforcer sa propre capacité de défense, elle achète des systèmes S-400 à la Russie. Elle assure sa sécurité énergétique en continuant à acheter des tonnes de charbon et des millions de barils de pétrole brut à la Russie. Et tout cela en dépit du fait que les responsables américains expriment régulièrement leur inquiétude face au comportement de New Delhi. Le fait que l’économie indienne traverse une phase d’industrialisation active et qu’elle a besoin de ressources en combustibles pour accélérer son développement n’est absolument pas pris en compte.
Les Américains diffusent des messages positifs au public par tous les moyens possibles. Ils assurent de leur volonté d’accroître la coopération avec les Indiens dans les domaines les plus divers : contre-terrorisme, lutte contre le crime organisé, blanchiment d’argent et fraude financière. Ils promettent d’établir la coopération la plus étroite et la plus diversifiée de diverses agences du bloc économique, de résoudre les problèmes du commerce bilatéral, d’accélérer la procédure d’échange d’informations, etc. Lors de la visite de Modi aux États-Unis, ils ont même organisé une réception inhabituellement grandiose.
Et dans la réalité.
La CIA divulgue aux Canadiens des informations jusqu’ici non confirmées sur l’implication présumée des services de renseignement indiens dans l’assassinat du séparatiste sikh H.S. Nijjar. Ensuite, le FBI aurait empêché une tentative d’assassinat d’un autre dirigeant sikh, G.S. Pannun, sur le territoire même des États-Unis. Les autorités américaines encouragent les hommes politiques et les membres du Congrès d’origine indienne à critiquer les dirigeants indiens.
Le ministère américain de la justice lance sa propre enquête sur la tentative d’assassinat, affirmant que de hauts responsables des services de renseignement indiens sont impliqués dans l’incident et menaçant de demander à Interpol d’émettre des « notices rouges » à leur encontre si le gouvernement Modi ne reconnaît pas la réalité de la tentative d’assassinat et ne garantit pas l’absence d’incidents similaires à l’avenir.
Cependant, aucune base de preuves suffisante pour ouvrir une enquête n’a été fournie, que ce soit dans le cas de Nijjar ou de Pannun. En outre, il convient de rappeler que les autorités indiennes ont demandé à plusieurs reprises aux États-Unis d’arrêter et d’interroger Pannun, qui est soupçonné d’avoir organisé des attentats contre des missions diplomatiques indiennes aux États-Unis. Les menaces d’attentat à la bombe lancées par Pannun sur les vols d’Air India ont également été ignorées par les États-Unis. Washington a refusé à plusieurs reprises de fournir des données sur les séparatistes sikhs vivant aux États-Unis, ainsi que d’extrader les organisateurs de l’attentat terroriste de 2008 à Mumbai, T.H. Rana et D. Hadley.
Il convient également de noter qu’un autre sommet du QUAD devait se tenir après les célébrations du Jour de la République. Mais la réunion du Quartet ne peut avoir lieu sans le dirigeant américain.
On a le sentiment que les États-Unis ont un certain plan dans leurs relations avec l’Inde, selon lequel New Delhi devrait devenir un chef d’orchestre obéissant des ambitions américaines dans la région asiatique, principalement dans le cadre de la confrontation avec la Russie et la Chine.
New Delhi devrait peut-être accorder plus d’attention aux partenaires qui n’exercent aucune pression et n’essaient pas de lui dire avec qui elle doit être amie et avec qui elle ne doit pas l’être. Il sera alors possible de sentir la différence entre le système d’ordre mondial américano-centré que l’Occident tente d’imposer et le système multipolaire prôné par les États les plus progressistes.
Fernando GAILLARDO, observateur politique, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook »