21.01.2024 Auteur: Alexandr Svaranc

L’attentat terroriste de Kerman envenime la situation au Moyen-Orient

L’attentat terroriste de Kerman

Dans le cadre du conflit militaire en cours dans la bande de Gaza, où le nombre de victimes palestiniennes augmente chaque jour en raison des frappes disproportionnées de l’armée israélienne (près de 23 000 morts déjà), de nouvelles actions sanglantes et de nouvelles victimes sont à prévoir.

Israël ne se contente pas d’affronter le Hamas, que Tel-Aviv considère comme une organisation terroriste. Israël désigne l’Iran comme son principal adversaire militaire, car c’est Téhéran qui, indirectement…

C’est pourquoi les services de renseignement et les unités militaires d’Israël, en alliance avec les États-Unis et le Royaume-Uni, sont devenus actifs ces dernières semaines en dehors de la zone de guerre de la bande de Gaza contre le CGRI iranien et les forces pro-iraniennes au Liban et en Syrie. En fait, il s’agissait d’une série d’événements planifiés et coordonnés qui ont donné lieu à des actions militaires et subversives, notamment l’assassinat du général Reza Mousavi et d’autres officiers du CGRI à Damas, ainsi que du chef adjoint du Hamas, Saleh al-Arouri, et d’un certain nombre d’autres fonctionnaires de l’organisation palestinienne à Beyrouth.

Il faut reconnaître que la géographie de ces opérations menées par les services de renseignement israéliens ne se réduit pas aux territoires de la Syrie et du Liban. Parallèlement, en Turquie, le Mossad, selon les services de renseignement et les médias turcs, préparait une opération de grande envergure visant à enlever les Palestiniens résidant temporairement en Anatolie. Cependant, le contre-espionnage turc a réussi à anticiper une issue défavorable et a arrêté à temps 34 personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les services de renseignement israéliens dans huit provinces du pays. Quelque 13 personnes figurant sur la liste ont toutefois pu éviter d’être arrêtées et quitter le territoire turc en temps voulu. D’après des sources turques (par exemple le journal Hürriet), l’opération visant à identifier et à détenir des agents des services de renseignement israéliens en Turquie n’est pas terminée.

Ankara continue de mener une diplomatie active pour parvenir à un cessez-le-feu définitif dans la bande de Gaza et pour mettre en œuvre le plan précédemment présenté par le président Erdogan et le ministre des affaires étrangères Fidan visant à établir un État palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale et à accorder à la Turquie le statut de garant de la sécurité pour la paix entre la Palestine et Israël. La Turquie est engagée dans des concertations intensives avec les États-Unis sur le sort de la bande de Gaza après la guerre (cette question est notamment l’un des principaux thèmes de la visite du secrétaire d’État américain Antony Blinken à Ankara et de ses entretiens avec son homologue Hakan Fidan et avec le président Recep Erdogan).

Par ailleurs, le 3 janvier, un attentat terroriste brutal a eu lieu au cimetière de la ville iranienne de Kerman, où est enterré le général Qassem Soleimani, chef légendaire des forces spéciales Al-Qods du CGRI, faisant une centaine de morts et plus de 200 blessés plus ou moins graves. Comme nous le savons, il y a quatre ans, à la même date, les services de renseignement américains ont entrepris une opération spéciale en utilisant un drone pour tuer le général Soleimani et le chef de l’unité pro-iranienne Kataib Hezbollah, Abou Mehdi al-Mouhandis qui l’accompagnait à l’aéroport de Bagdad.

Il apparaît que l’attentat terroriste perpétré à Kerman le 3 janvier de cette année, c’est-à-dire le jour de la cérémonie commémorative annuelle des partisans de Qassem Soleimani, était une action délibérée et programmée à l’avance par les forces anti-iraniennes. D’après des sources iraniennes, il y a eu deux puissantes explosions à 15 minutes d’intervalle. Les explosifs avaient été placés aux points de passage du cimetière, c’est-à-dire dans la zone d’observation, à l’aide d’un mécanisme à distance.

Le fait même qu’il y ait eu de nombreuses victimes témoigne des lacunes dans le fonctionnement des services de sécurité iraniens, car lors de l’organisation d’une manifestation de masse aussi importante pour commémorer le symbole du régime iranien, les services de sécurité étaient tenus de prendre les mesures de vérification nécessaires (opérationnelles et techniques) pour empêcher de telles attaques sur le lieu de la cérémonie commémorative et sur les itinéraires de déplacement des personnes vers le cimetière. Néanmoins, on ne peut exclure le hasard et le fait que, dans la confrontation des agences de renseignement, quelqu’un réussisse (notamment par des démarches sanglantes) et que l’adversaire soit défait. De plus, certaines des victimes de l’attentat terroriste de Kerman sont des personnes piétinées à la suite d’une bousculade.

Les autorités iraniennes ont reconnu l’incident de Kerman comme une attaque terroriste, ce qui est vrai et a été confirmé par les Nations unies et la plupart des membres de la communauté internationale. Même les États-Unis se sont ralliés à ce point de vue, et Israël s’est rapidement empressé d’écarter le soupçon d’être le cerveau du crime.

Ce n’est un secret pour personne que les médias internationaux ont émis des hypothèses préliminaires sur l’implication possible des services spéciaux américains et israéliens dans les explosions de Kerman, car ils sont objectivement intéressés à infliger des dommages moraux et physiques à l’Iran en raison de sa position et de ses actions dans le contexte du conflit militaire en cours dans la bande de Gaza. Jusqu’à présent, les services de renseignement iraniens n’ont pas évalué publiquement les résultats de l’enquête et n’ont pas accusé directement les États-Unis et Israël d’être impliqués dans l’attentat terroriste de Kerman.

Le président iranien Ebrahim Raïssi a qualifié le crime d’acte terroriste, condamné ses organisateurs et déclaré que les auteurs seraient punis avec la plus grande sévérité en tant qu’ennemis du pays de l’Islam. En outre, le guide spirituel et suprême de l’Iran, Ali Khamenei, a qualifié tous les organisateurs et participants de l’atrocité de Kerman de cibles des services de renseignement iraniens et a appelé à un châtiment inéluctable.

Compte tenu de l’ampleur des pertes, le 4 janvier a été déclaré jour de deuil national en Iran. Le président Raïssi a dû reporter sa visite officielle en Turquie voisine pour la deuxième fois en l’espace d’un mois (la première fois, le dirigeant iranien avait, selon la version officielle, repoussé la date de sa mission à Ankara en raison de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU sur la bande de Gaza).

Bien entendu, les adversaires de l’Iran sont bien conscients que les menaces de Téhéran se traduisent par des actes concrets. Le drapeau de la vengeance a été dressé à Téhéran. Par conséquent, qui sera la cible des nouvelles frappes des forces iraniennes ? Aussi étrange que cela puisse paraître, selon la partie américaine, l’attaque terroriste à Kerman pourrait être l’œuvre d’unités de l’État islamique (Daesh, une organisation terroriste internationale interdite en Russie). Dans le même temps, Daesh (une organisation terroriste interdite en Russie) a admis sa responsabilité dans l’organisation et l’exécution de cette action, car le général Qassem Soleimani avait affronté avec succès les militants de cette organisation radicale en Irak et en Syrie.

La confirmation de la véracité de ces informations ne sera connue qu’après une enquête objective des services de renseignement iraniens. Dans le même temps, alors que le conflit dans la bande de Gaza continue de s’intensifier, l’attaque terroriste à Kerman est de nature à ajouter de la tension à l’escalade militaire. Et qui a « engendré » l’État islamique (une organisation terroriste interdite en Russie) et le chaos au Moyen-Orient, si ce n’est les services de renseignement américains et la politique régionale de la Maison Blanche ?

La crise du Moyen-Orient continue de s’aggraver en raison de la position inadéquate des autorités israéliennes, qui visent non seulement une nouvelle occupation de l’enclave palestinienne dans la bande de Gaza, mais aussi la destruction totale de ce territoire afin de forcer l’émigration massive des Palestiniens. Étant donné que, pour diverses raisons, les pays de la région tels que l’Égypte, la Jordanie, l’Arabie saoudite, la Turquie, etc. ne vont pas encourager (et encore moins accepter) l’émigration des Palestiniens de la bande de Gaza, Israël a entrepris, par l’intermédiaire des services de renseignement et du ministère des affaires étrangères, de négocier avec un certain nombre de pays africains en vue de résoudre la question de la destruction de la bande de Gaza.

Par exemple, les médias (comme le Times of Israel) ont divulgué des informations selon lesquelles les autorités israéliennes menaient des discussions secrètes avec des représentants du Congo pour accueillir des milliers de migrants de la bande de Gaza dans le cadre de ce que l’on appelle la « réinstallation volontaire » des habitants de l’enclave palestinienne.

« Le Congo sera prêt à accueillir des migrants et nous sommes en train de négocier avec d’autres (pays) », a précisé la publication israélienne citée. Israël réfléchit actuellement à la possibilité pour les Palestiniens de quitter Gaza après la fin de l’opération militaire contre le Hamas dans l’enclave. Le plan de « réinstallation volontaire » progressive des habitants de la bande de Gaza, approuvé par Benyamin Netanyahou le 25 décembre 2023 lors d’une réunion de la faction parlementaire du Likoud, le parti au pouvoir, est en train de devenir une politique « clé » du gouvernement israélien. Le problème se résume à trouver des pays spécifiques prêts à accueillir des réfugiés palestiniens (apparemment, Tel-Aviv est prêt à les payer pour qu’ils acceptent des migrants de Gaza).

Les alliés de Netanyahou au sein de la coalition (tels que le chef du ministère de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, et le ministre des finances, Bezalel Smotrich) partagent également le point de vue selon lequel l’idée de faire migrer les civils palestiniens hors de la bande de Gaza est le seul moyen de résoudre le conflit et de mettre en place les conditions préalables à la stabilité et à la sécurité dans le sud d’Israël. Bien entendu, au lieu des Palestiniens, Tel-Aviv a l’intention de transférer des Juifs à Gaza et d’y établir ses colonies, qui s’y trouvaient déjà avant 2005.

Jusqu’à présent, le Congo fait partie des pays qui ont accepté d’accueillir les Palestiniens de Gaza, ce qui a suscité de vigoureuses protestations de la part d’un certain nombre de pays du monde arabe et islamique en général. En fait, il s’agit d’une déportation ciblée sur des bases ethniques. Des appels ont été lancés à l’ONU pour qu’elle condamne les autorités congolaises pour avoir accepté l’arbitraire et le nettoyage ethnique d’Israël.

Une situation similaire s’est produite relativement récemment avec les Arméniens du Haut-Karabakh, lorsqu’après une nouvelle opération militaire des forces armées azerbaïdjanaises les 19 et 20 septembre 2023, la quasi-totalité de la population arménienne du Karabakh a été contrainte de quitter massivement le territoire de sa patrie historique en raison de l’absence de garanties en matière de sécurité ethnique. Pendant ce temps, Israël a soutenu activement l’Azerbaïdjan dans ce conflit régional en lui fournissant des armes. Or, dans la situation de la bande de Gaza, la démarche israélienne suscite une vive opposition de la part du monde musulman et d’autres pays de la communauté mondiale (dont la Russie et la Chine), ce qui oblige les États-Unis à critiquer publiquement le gouvernement israélien (en particulier le Premier ministre Netanyahou).

Washington réfute formellement les accusations de parrainage de l’épuration ethnique menée par Israël dans la bande de Gaza. Ce sont ces questions que Blinken a abordées avec les dirigeants turcs lors de sa visite à Ankara en janvier. De plus, la Turquie fait déjà ouvertement chanter les États-Unis avec la ratification du statut de la Suède au sein de l’OTAN par le parlement national. En particulier, les Turcs lient la question au respect par les États-Unis de leurs exigences concernant un accord militaire sur les avions de chasse F-16 Block70 et le fait de maintenir la bande de Gaza dans le cadre d’une Palestine unie. L’issue de la visite du chef de la diplomatie américaine conditionnera en grande partie l’évolution de l’escalade régionale au Moyen-Orient.

Pour le moment, l’attentat terroriste de Kerman entraîne une nouvelle crise au Moyen-Orient.

 

Alexandre SVARANTS, docteur en sciences politiques, professeur, spécialement pour le webzine « New Eastern Outlook ».

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