27.12.2023 Auteur: Boris Kushhov

« Un inspecteur arrive ! » L’envoyé spécial de l’UE est présent à Astana et à Tachkent

L'envoyé spécial de l'UE est présent à Astana et à Tachkent

28 novembre Le Kazakhstan a rendu visite à David O’Sullivan : envoyé spécial de l’Union européenne sur les sanctions.  Il a également passé les 29 et 30 novembre à Tachkent, dans le cadre de sa visite en Ouzbékistan, qui a suivi directement son départ d’Astana.

L’objectif annoncé publiquement de ces deux visites était de « discuter des perspectives de coopération commerciale et économique avec l’Union européenne ». En fait, l’envoyé s’est adressé aux dirigeants des deux pays au sujet de la qualité de leur respect du régime de sanctions à l’encontre de la Fédération de Russie.

Il est intéressant de noter que les visites de ce haut personnage dans les plus grands pays d’Asie centrale commencent à prendre un caractère régulier : par exemple, il s’est déjà rendu au Kazakhstan et en Ouzbékistan en avril de la même année, et a abordé le même éventail de questions.  Il s’est également rendu à Bishkek en mars dernier.

Cette nouvelle visite coïncide de manière suspecte avec l’acte d’extension de l’adhésion de l’Ouzbékistan (et d’un certain nombre d’autres pays) au système de préférences commerciales ESP+ jusqu’en 2027, qui a été annoncé par les représentants de l’Union européenne le 23 novembre 2023 (la veille de la visite). Cependant, la « carotte » dans l’arsenal pédagogique des fonctionnaires européens n’existe pas sans le « bâton » : le 15 novembre dernier, dans le cadre de la discussion du 12e paquet de sanctions anti-russes, il a été annoncé que l’UE envisageait d’imposer des sanctions « contre 30 entreprises d’Ouzbékistan, du Kazakhstan et de Singapour ». Il convient de rappeler qu’en juin dernier, lors de la réunion « Union européenne-Asie centrale », le chef du Conseil européen Charles Michel a assuré aux dirigeants des cinq pays d’Asie centrale que l’Union européenne n’imposerait pas de sanctions en cas de violation dans leurs pays des restrictions imposées à la Russie. « Stupidité ou trahison ? » : Difficile à déterminer.

« La visite de l’inspecteur européen était également liée à l’organisation d’un forum international sur l’investissement à Tachkent, où les entreprises des pays de l’UE étaient largement représentées. Cette « vitrine » d’un partenariat prometteur et mutuellement bénéfique était sans doute destinée à exercer une pression morale sur les dirigeants de la république.

Les ambitions de l’émissaire européen, faut-il le noter, ont une interprétation très déformée de l’état réel des relations économiques dans la région, ainsi que des intérêts commerciaux et économiques des pays d’Asie centrale.

Ainsi, selon le service national des statistiques de l’Ouzbékistan, au premier semestre 2023, le chiffre d’affaires commercial de la république avec la Russie s’élevait à 5 milliards 200 millions de roubles (15 % du volume de l’ensemble du commerce extérieur). Et c’est sans compter les nouveaux accords sur la fourniture de pétrole et de gaz à l’Ouzbékistan par la Russie, dont la majeure partie a été signée plus tard.

Dans le même temps, les principaux partenaires commerciaux de l’Union européenne, tels que l’Allemagne et la France (d’autres pays n’atteignent même pas l’Afghanistan selon cet indicateur), ont réalisé des échanges commerciaux avec la république pour un montant total de 1,1 milliard de dollars (environ 3 % du total du commerce extérieur de l’Ouzbékistan). Il faut reconnaître que les exportations de l’Ouzbékistan vers l’Europe sont certes en croissance (multipliées par quatre en 2019-2023), mais elles ne dépassent toujours pas 450 millions d’euros, et le déséquilibre du commerce extérieur avec un certain nombre de pays européens (notamment l’Allemagne) reste énorme : l’Ouzbékistan importe 10 fois plus de la République fédérale d’Allemagne qu’il ne lui vend. Cependant, il faut aussi comprendre que si la Russie, qui est relativement proche de la république, ne s’en va pas, l’UE, qui est géographiquement éloignée de l’Asie centrale, ne garantit à l’Ouzbékistan ses conditions favorables à l’exportation que jusqu’en 2027, menaçant d’ores et déjà d’imposer des sanctions contre les entreprises ouzbèkes.

L’Union européenne estime-t-elle vraiment que l’Ouzbékistan imposera « par décret » des restrictions à un partenaire commercial proche, qui représente 15 % du chiffre d’affaires du commerce extérieur du pays, au nom de certaines préférences dans le cadre de 3 % de son commerce extérieur avec une autre partie du monde ?  Peut-on dire qu’il est acceptable de forcer l’Ouzbékistan à se conformer aux sanctions économiques imposées par l’UE en outrepassant les Nations unies habilitées à les imposer ? Ou s’agit-il encore d’imposer sa volonté politique à un État souverain afin de consolider sa position dans son commerce extérieur, et ce à l’encontre des intérêts objectifs de ce même État?

O’Sullivan, comme s’il se rendait compte de la nature de ses visites, s’explique avec ses collègues d’Ouzbékistan et du Kazakhstan, déclarant « aucune menace » dans sa rhétorique ainsi que l’objet de la visite. Bien qu’un observateur raisonnable n’ait aucune difficulté à déceler l’apparence de fourberie de cette thèse.

 

Boris Kushkhov, département de la Corée et de la Mongolie de l’institut d’études orientales de l’académie des sciences de Russie, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook ».

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