22.12.2023 Auteur: Vladimir Terehov

Le dirigeant chinois Xi Jinping en visite au Viêt Nam

Le dirigeant chinois Xi Jinping en visite au Viêt Nam

Les 12 et 13 décembre, le dirigeant chinois Xi Jinping a effectué un déplacement au Viêt Nam. C’est le troisième depuis sa nomination aux postes de direction du parti et de l’État de la RPC (qui ont eu lieu au tournant de 2012-2013) et le premier au cours des six dernières années. En d’autres termes, le dirigeant de la deuxième puissance mondiale ne rend pas trop souvent visite (pour faire court) à son voisin du sud, qui est séparé de la Chine par une frontière commune de plus de 1000 km de long. Tandis que des représentants du gouvernement vietnamien (essentiellement des fonctionnaires du parti) se rendent assez régulièrement à Pékin.

La différence de fréquence des « signes d’attention » l’un envers l’autre est due à la différence radicale entre les « catégories de poids » des deux participants désignés à l’étape actuelle du « Grand échiquier mondial » et aux tâches que chacun d’entre eux doit résoudre.

Le Viêt Nam, dont l’histoire des relations avec son grand voisin du Nord est complexe et qui a perdu (à la suite de la fameuse fin de la guerre froide) sa principale source de soutien extérieur, cherche et construit des relations avec de nouveaux partenaires depuis plus de deux décennies. Parmi ceux-ci, les principaux sont les anciens « ennemis absolus » en la personne des États-Unis (et maintenant du Japon).

L’Inde, quant à elle, occupe une place similaire dans l’horizon politique. Sa présence de plus en plus visible dans la sous-région de l’Asie du Sud-Est et, en particulier, dans la problématique de Taïwan, a été discutée à plusieurs reprises dans le cadre de notre revue NPO. Le Taipei Times, un journal taïwanais de premier plan, a publié le 14 décembre un article de l’ancien ambassadeur indien dans plusieurs pays, G. Singh, sur l’aggravation de la situation dans la région indopacifique en général et dans l’Asie du Sud-Est (ASE) en particulier, attirant l’attention sur le fait que la configuration du dialogue quadrilatéral sur la sécurité (Quad) a été activée ici. Il convient de rappeler qu’outre les États-Unis, le Japon et l’Australie, ce groupe comprend également l’Inde, qui s’intéresse depuis longtemps au développement de relations avec un certain nombre de pays de l’ASE dans le cadre de sa propre stratégie de politique étrangère (déclarée dans les années 1990) « Look East Policy » (politique tournée vers l’Est). Y compris avec le Viêt Nam.

Or, faisant l’objet d’une attention accrue de la part des grands acteurs susmentionnés, le Viêt Nam ne peut se permettre d’utiliser ce fait à des fins ouvertement hostiles à la Chine. Laquelle, répétons-le, est aujourd’hui la deuxième puissance mondiale, le voisin immédiat du premier et, accessoirement, son principal partenaire commercial (le déséquilibre des échanges bilatéraux étant toutefois nettement en sa faveur).

C’est pourquoi, comme tous les autres pays de l’Asie du Sud-Est, le Viêt Nam se trouve en équilibre dans le champ des forces que tous les principaux acteurs mondiaux sont en train de façonner ici. Par ailleurs, chacun des pays de cette sous-région diverge dans une certaine mesure, et d’un côté ou de l’autre, d’une ligne neutre (conventionnelle) de ce « champ ». La nature de la « déviation » du Viêt Nam peut, là encore, être considérée comme pro-américaine (pro-japonaise, …).

Pas, bien sûr, dans la même mesure que, par exemple, les Philippines, mais elle s’est manifestée lors de la visite du président américain Joseph Biden au Viêt Nam au début du mois de septembre. Washington, principal adversaire géopolitique de Pékin, ne peut tout simplement pas se permettre de ne pas tirer parti des opinions exprimées dans un certain nombre de pays d’Asie du Sud-Est.

Le voyage du président vietnamien Vo Van Thuong au Japon, deux semaines avant la visite discutée de Xi Jinping, a constitué une évolution notable de la situation naissante. Il s’y est entretenu avec le premier ministre Fumio Kishida sur divers aspects des relations bilatérales, y compris la défense.

Les « moments » susmentionnés dans les politiques d’un certain nombre de pays de la zone ASE font l’objet d’une évaluation assez prévisible en Chine, étant donné que cette sous-région dans son ensemble est un « bas-ventre mou » pour la Chine. Et ce ne sont pas seulement des évaluations, mais aussi des actions pratiques qui ont été entreprises en vue des principaux adversaires géopolitiques et des pays individuels de la sous-région qui s’en sont particulièrement « écartés ».

En particulier, dans les zones contestées de la mer de Chine méridionale, divers incidents avec des navires frontaliers chinois et philippins deviennent de plus en plus fréquents. La gravité des relations actuelles entre ces pays est illustrée par les récents propos de l’ambassadeur philippin aux États-Unis  concernant la possibilité d’une guerre liée non pas tant à la question de Taïwan qu’à la situation dans la mer du Sud.

D’autre part, les pays qui « dévient » sensiblement dans sa direction reçoivent une attention particulièrement positive de la part de Pékin. La Birmanie, particulièrement, est l’un de ces pays. Dans ce pays, le projet de corridor économique Chine-Birmanie (CMEC) construit depuis une décennie un vaste réseau d’infrastructures de transport et de logistique et d’oléoducs et de gazoducs reliant la province chinoise du Yunnan (sud-ouest) aux ports du golfe du Bengale. Naturellement, Pékin n’a aucun intérêt à déstabiliser la situation politique en Birmanie, qui a été déclenchée à la fin du mois d’octobre, apparemment non sans implication « extérieure ». La Chine a donc assumé le rôle de médiateur pour établir des discussions entre le gouvernement de Birmanie et les rebelles.

Le Viêt Nam, nous le répétons, est l’un des pays de l’ASE qui, tout en ayant de sérieux problèmes avec la Chine (principalement en raison de revendications territoriales qui se chevauchent dans la zone continentale et bordant l’océan pacifique), ne se permet pas pour autant de se placer dans une position très défensive vis-à-vis de la Chine. Cela crée une toile de fond permettant à Pékin de développer des relations constructives avec le Viêt Nam, dans le cadre desquelles (au moins) les problèmes précités sont également discutés.

Les particularités susmentionnées de la situation émergente dans l’ASE en général et dans les relations sino-vietnamiennes en particulier se sont reflétées dans le déroulement et les résultats de la visite de deux jours de Xi Jinping à Hanoi. Il s’y est entretenu avec le secrétaire général du comité central du PCV, Nguyen Phu Trong, le président Vo Van Thuong, le premier ministre Pham Minh Chinh et le chef du parlement national Vuong Dinh Huey. Les principaux résultats de la visite du dirigeant chinois au Viêt Nam figurent dans la déclaration conjointe.

Dans les commentaires de l’ensemble de l’événement, l’attention est attirée sur l’immensité du texte du document final, « étalé sur 16 pages », ainsi que sur la signature de plusieurs dizaines d’accords touchant à divers domaines d’interaction. En ce qui concerne le contenu de la déclaration commune, les questions les plus aiguës relatives aux relations bilatérales et à la politique étrangère sont décrites en des termes plutôt généralistes.

Le Mainichi Shinbun du Japon relève une note dans le préambule du document concernant l’adhésion du Viêt Nam au principal concept de politique étrangère de la RPC, à savoir « Construire une communauté de destin commun », ainsi que le désir d’éviter la confrontation sur les différends territoriaux dans la mer de Chine méridionale. Notamment en renforçant la coopération entre les départements militaires des deux pays.

Le commentaire de Reuters susmentionné attire l’attention sur l’absence, dans le texte du document principal, de toute mention de l’un des points les plus pressants et les plus aigus des relations entre les principales puissances mondiales, qui consiste en la question de l’accès fiable aux sources de métaux de terres rares. Sans ces métaux, les secteurs les plus avancés de la production industrielle moderne ne peuvent pas fonctionner. Jusqu’à récemment, la Chine détenait un quasi-monopole dans leur production et leur approvisionnement sur les marchés mondiaux, ce qui est considéré par ses opposants comme une arme potentielle de poids dans la lutte politique qui se déroule sur la scène mondiale.

Par ailleurs, il existe également des gisements de terres rares (REE) au Viêt Nam, qui n’ont toutefois pas encore été exploités à l’échelle industrielle. Ainsi, la question de la nature de l’organisation de l’extraction et de la vente de REE vietnamiennes sur les marchés mondiaux acquiert une connotation nettement politique.

Le commentaire du Global Times chinois est évidemment positif. Xi Jinping aurait affirmé que sa visite représentait l’étape finale des « efforts diplomatiques de la Chine tout au long de l’année ». L’attention est également attirée sur le niveau nettement plus élevé des aspects d’accompagnement (plan protocolaire) du séjour du dirigeant chinois au Viêt Nam par rapport à la visite mentionnée du président américain à Hanoï.

Cependant, le véritable résultat de l’événement dont il est question ici ne sera pas jugé par les mots (prononcés ou écrits), mais par les actes réels qui suivront à la fois dans le système des relations sino-vietnamiennes et dans l’espace environnant les deux pays.

 

Vladimir Terekhov, expert des problèmes de la région Asie-Pacifique, exclusivement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook ».

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