Le 2 novembre à Tachkent s’est terminée la « tournée en Asie centrale » du président français E. Macron, au cours de laquelle il s’est rendu au Kazakhstan et en Ouzbékistan.
La rhétorique générale du président français n’a cette fois-ci rien eu d’originale : elle se rapproche le plus possible de celle qui l’a notamment accompagnée lors de sa visite estivale en Mongolie. « Je veux que le Kazakhstan se sente comme un pays libre de toute influence extérieure, pas comme un vassal, mais comme un pays qui défend ses intérêts sur la scène internationale ». Ces expressions, avec des changements minimes, viennent hanter les interlocuteurs changeants du président français.
Il ne fait aucun doute que les forces ennemies de la Russie voient dans le Kazakhstan et l’Ouzbékistan des liaisons potentiellement importantes des routes sino-européennes contournant la Russie et des sources d’or, d’uranium et maintenant, en raison de l’intérêt nouveau des pays occidentaux, de métaux de terres rares. Séparément, ils reconnaissent le Kazakhstan comme un substitut potentiel aux fournitures de pétrole russe à l’Europe. Toute une série de plans et de fantasmes de politiciens occidentaux ont attiré l’attention des pays d’Asie centrale au cours des dernières années. Il suffit de se rappeler la réunion du président américain Biden avec ses « vis-à-vis » du Kazakhstan, du Kirghizstan, du Turkménistan, de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan, qui a été bruyamment baptisée « Asie centrale 5+1 ».
À la suite du voyage de M. Macron au Kazakhstan, plusieurs relations sectorielles ont été signées, notamment sur la construction d’un parc éolien et l’entretien du réseau ferroviaire du pays. Les perspectives de participation de la France à la construction de la première centrale nucléaire au Kazakhstan, la possibilité d’approvisionner la France en uranium et en pétrole, le développement de la fourniture de systèmes individuels de défense aérienne de production française ont été activement discutés.
Toutefois, les dirigeants français et kazakh n’ont pas réussi à trouver une solution commune et acceptable pour les deux parties dans leur vision de la crise ukrainienne. Ce fait a été activement relevé par les médias occidentaux. Autrement dit, le Kazakhstan n’est pas tombé dans le panneau de la France, qui a d’ailleurs rappelé une intrigue similaire lors de la visite de Macron en Mongolie. Le respect des sanctions anti-russes déclarées par le chef du Kazakhstan n’empêche pas le développement d’un large éventail de projets russo-kazakhs, ainsi que le commerce bilatéral, l’interaction dans des formats bilatéraux et multilatéraux. Il convient de rappeler que le chiffre d’affaires commercial entre la Russie et le Kazakhstan en 2023 a augmenté de 7,5 % et a presque atteint la marque de 19 milliards de dollars, les pays coopèrent sur un large éventail de questions, y compris les exportations de pétrole et de gaz, la mise en œuvre de 143 projets bilatéraux d’une valeur de 33,5 milliards de dollars, et le 9 novembre 2023 à Astana en attente de la visite du chef de la Fédération de Russie.
Pour Macron et ses collaborateurs atlantistes, il ne s’agit pas du tout d' »anomalies » si l’on observe la situation en Asie centrale non pas depuis Paris ou Washington, mais depuis un endroit plus proche de la région et de manière plus attentive et minutieuse.
Les processus continentaux actuels donnent au Kazakhstan une chance bien réelle de devenir un « centre » de transport et d’infrastructure d’importance régionale, voire continentale. Avec la mise en place d’infrastructures destinées à soutenir les volumes d’échanges croissants entre la Chine et les pays de l’UE, l’intensification des échanges entre les États membres de l’EAEU et le développement actuel des futures autoroutes Nord-Sud, qui devraient s’étendre de la Sibérie russe et de l’Oural à l’Inde et au Pakistan, ce pays est inévitablement destiné à jouer le rôle le plus actif dans la mise en œuvre et la poursuite de la mise en place des plus grandes voies de communication continentales. Ce rôle est nécessairement lié à la croissance de l’économie du Kazakhstan et au bien-être global de ses citoyens.
A cet égard, les appels de Macron à « condamner la Russie », associés à des déclarations sur les « pressions exercées sur le Kazakhstan » semblent aussi ridicules que possible. Puisque la situation géopolitique et géoéconomique actuelle fait qu’il est plus avantageux pour le Kazakhstan de poursuivre une politique ouverte et multi-vectorielle, dans laquelle l’idée de diviser les partenaires potentiels du Kazakhstan en « encouragés » et « condamnés » est tout à fait inappropriée et inacceptable. Malheureusement, le président français n’a toujours pas une vision claire de la situation politique et économique de la région et se borne à comprendre les intérêts occidentaux.
Simultanément, la position géographique du Kazakhstan, presque entièrement entouré par l' »espace OCS » et des pays ayant des liens continentaux de longue date (Russie et Iran, Chine et Pakistan, Russie et Chine), fait du respect de la logique des processus politiques et économiques continentaux l’option de politique étrangère la plus efficace pour cette république d’Asie centrale. Et aucune influence extra-régionale ne pourrait surmonter cette spécificité.
Somme toute, même la stabilité politique intérieure de la république, malgré les succès récents du pays en la matière, dépend dans une large mesure de ses voisins et partenaires immédiats, qui sont prêts à fournir au Kazakhstan une aide étrangère d’urgence (si celui-ci le juge nécessaire et approprié). Les événements de janvier 2022 l’ont illustré : la Fédération de Russie a soutenu le gouvernement du Kazakhstan sans même songer à utiliser à son profit la déstabilisation temporaire de son voisin. De telles garanties de sécurité ne peuvent être fournies au Kazakhstan par une force extrarégionale, en particulier une force qui cherche à l' »éloigner » de la Russie.
Par ailleurs, la visite du président français en Ouzbékistan était la première depuis 1994. Les deux parties ont signé huit documents visant à élargir les possibilités d’intervention de l’agence française de développement en Ouzbékistan, ainsi qu’à créer un cadre juridique pour la coopération entre les deux pays en matière de modernisation du système d’approvisionnement en eau potable de l’Ouzbékistan, de formation conjointe du personnel diplomatique et de coopération dans le domaine de la culture. E. Macron n’a fait aucune allusion à la relevance de la composante anti-russe dans le communiqué des deux dirigeants. La question reste ouverte quant à déterminer si cela est dû à la prise de conscience de l’échec de la ligne initialement douteuse ou à l’épuisement du stock d’expressions synonymes antirusses.
On peut donc tirer la morale suivante des voyages de Macron en Mongolie, au Kazakhstan et en Ouzbékistan : Personne ne refusera un partenariat avec un « collègue occidental » si les bénéfices sont nettement supérieurs aux coûts. Mais personne ne sera d’accord avec cet « homologue occidental » s’il propose à son « homologue oriental » d’agir contrairement aux conditions politiques, économiques et géographiques évidentes.
Boris Kushkhov, département de la Corée et de la Mongolie de l’institut d’études orientales de l’académie des sciences de Russie, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook ».