Le conflit militaire qui se poursuit à partir du 7 octobre de cette année entre le Hamas, qui contrôle la Bande palestinienne de Gaza, et l’Armée de la défense de l’Israël, demeure incertain, tant en termes du prochain aboutissement que de son évolution.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a condamné le Hamas à la destruction complète, sur la base de laquelle opèrent l’état-major général de Tsahal et les services de renseignement israéliens. Tel-Aviv a obtenu un soutien confiant (politique, militaire et financier) de la part de ses principaux alliés – les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne. Comme on le sait, les leaders de ces pays se sont alternativement rendus en Israël et ont rencontré les dirigeants de l’État juif, les assurant apparemment de leur solidarité et de leur aide.
Des experts israéliens (par exemple Yakov Kedmi) affirment que le conflit russo-ukrainien en cours n’empêchera en aucun cas les États-Unis de soutenir activement l’Israël en termes d’équipement militaire et technique et d’accorder une autre aide. Le fait est, comme le note à juste titre Y. Kedmi, que l’Ukraine ne possède pas ce type d’armes (par exemple les chasseurs F-15 et F-16) dont dispose l’Israël. Par conséquent, les types de munitions dont l’armée de l’air israélienne a besoin (par exemple, des bombes aériennes) en provenance des États-Unis ne sont tout simplement pas fournies à l’Ukraine, mais pourraient bientôt être à la disposition de Tsahal dans les quantités requises.
Cependant, l’opération de nettoyage de la Bande de Gaza par les unités terrestres de l’armée israélienne est quelque peu retardée pour un certain nombre de raisons objectives. L’état-major général de Tsahal tente de préparer plus minutieusement cette opération terrestre avec le soutien des forces aériennes et navales, ainsi que des alliés. Les États-Unis ont envoyé en mission en Israël non seulement 2 mille fusiliers marins et deux porte-avions, mais également leurs généraux militaires expérimentés dans l’organisation de combat en conditions urbaines.
Par exemple, le Pentagone a envoyé des conseillers militaires américains en Israël. Parmi eux figurent notamment le lieutenant-général du Corps des Marines, James Glynn, qui a déjà servi dans la ville irakienne des mosquées de Falloujah lors de combats acharnés et dirigé les forces spéciales contre le Daech (une organisation terroriste internationale interdite en Fédération de Russie). La mission du général Glynn est de fournir au maximum un soutien spécialisé à la prochaine opération terrestre du Tsahal dans la Bande de Gaza (y compris des conseils sur la manière de combattre l’ennemi en milieu urbain et de minimiser les pertes, ainsi que de réduire les pertes des personnes civiles dans les combats urbains).
Naturellement, une opération terrestre dans la Bande de Gaza contre les forces du Hamas, se cachant derrière la population locale et utilisant de nombreuses communications souterraines, n’est une tâche facile pour aucune armée, et en particulier pour l’armée israélienne. Cela nécessite du temps pour une préparation minutieuse, une coordination efficace de toutes les forces et tous les moyens, ainsi que des informations de renseignement de haute qualité. Dans le même temps, Yakov Kedmi, ainsi que de nombreux autres experts israéliens, affirment que l’opération de nettoyage de la bande de Gaza ne se fera pas attendre (comme on dit, « le jeu se déroulera quel que soit le temps »). L’opération, selon les Israéliens, sera menée à l’aide d’armes de précision, tandis que les communications souterraines et les bunkers de l’ennemi seront tout simplement détruits (les entrées et les sorties seront faites sautées, l’eau et l’électricité seront coupées, et peut-être que du gaz sera libéré).
Mais quelles seront les conséquences d’une telle opération terrestre dans la bande de Gaza, comment le monde islamique réagira-t-il à la destruction d’une partie de la Palestine ? La Turquie, représentée par son président Erdogan, déclare que l’Israël, avec le consentement tacite de l’Occident, dirigé par les États-Unis, est impliqué dans un génocide évident de la population de la Bande de Gaza. Ankara accuse Tel-Aviv des crimes contre l’humanité, notamment le refus d’autoriser l’aide humanitaire au nord de Gaza. L’armée de l’air turque semble avoir accepté de transporter par avion une partie de l’aide humanitaire (y compris des médicaments) vers la Bande de Gaza et, si nécessaire, de soigner dans ses hôpitaux les blessés et les personnes touchées par les bombardements.
Pourtant, il est peu probable que l’Israël accepte un « pont aérien » pour relier la Turquie à la Bande de Gaza en raison des craintes suivantes : a) le transfert de l’assistance militaire au Hamas vers l’épicentre du conflit ; b) le retrait de la zone de conflit des membres du Hamas déclarés criminels (terroristes) en Israël. Eh bien, la DCA israélienne n’est pas pire que les systèmes turcs pour détruire des cibles aériennes.
Yakov Kedmi estime que la probabilité d’une internationalisation du conflit entre l’Israël et le Hamas est extrêmement faible et qu’après l’opération du nettoyage de la Bande de Gaza, ce territoire, selon lui, sera transféré à la gestion de l’Autorité Palestinienne. Certes, le leader de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, estime que l’Israël doit garantir une paix généralisée, et pas seulement la subordination de la Bande de Gaza à Ramallah. En d’autres termes, Abbas exige d’Israël la reconnaissance d’un État palestinien indépendant à l’intérieur des frontières de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza, ou conformément aux décisions de l’ONU de 1967. Cependant, il est difficile de croire que les mêmes États-Unis, à qui s’adresse l’opinion du leader palestinien, accepteront cela.
Par conséquent, la partie israélienne reste convaincue que le conflit avec le Hamas, même après l’opération terrestre, n’entraînera pas d’interférence de la part du Liban, de l’Irak, du Yémen, de la Syrie, de l’Égypte et, surtout, de l’Iran. Kedmi estime que l’Égypte, le Liban et la Syrie eux-mêmes souffrent de l’organisation islamique radicale « Frères musulmans », dont les représentants ont été libérés à tort des prisons en raison de la position de l’administration de l’ancien président américain Barack Obama. Ce manque de prévoyance politique de Washington a conduit au chaos au Moyen-Orient, puisque les « Frères musulmans » sont devenus le déclencheur des révolutions et ont permis à leur création et allié, le Hamas, de s’implanter dans la Bande de Gaza. Pendant ce temps, le seul pays où les partisans des « Frères musulmans» se sont ancrés au pouvoir au Moyen-Orient reste la Turquie et son leader Recep Erdogan, qui soutenait auparavant le Hamas contre l’Israël.
C’est pourquoi l’ancien chef du service de renseignement israélien « Native », Yakov Kedmi, estime que ni le Liban, ni la Syrie, ni l’Iran ne renforceront pas les « Frères musulmans » et n’entreront pas en conflit direct avec l’Israël. D’autant plus, dans le cas d’un scénario différent, l’Iran, en tant que principale force anti-israélienne, sera soumis à de lourdes attaques de la part des avions de combat et de l’artillerie de Tsahal, ainsi que des avions et des systèmes de missiles des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Si nécessaire, les États-Unis enverront un troisième porte-avions au Moyen-Orient, qui comprendra une flotte d’avions de combat, de missiles et de drones. Selon les Israéliens, toute tentative de résistance à l’Israël par des forces pro-iraniennes au Liban, en Syrie, au Yémen et en Irak sera localisée et détruite.
Reste une grande question à savoir si c’est réellement le cas ou s’il reste une menace potentielle pour l’Israël si l’Iran est entraîné dans un conflit militaire. Quoi qu’il en soit, l’Israël, dans un pareil scénario, promet de détruire toutes les entreprises, canalisations, centrales électriques et autres installations nécessaires à la vie et au développement de l’Iran sans recourir à des armes de destruction massive, ramenant ainsi la République islamique de 150 à 200 ans en arrière. Pourtant, il est peu probable que l’Iran reste les bras croisés. Si Tel Aviv n’utilise pas d’armes qu’elle n’a pas (comme le dit Yakov Kedmi), alors où est la garantie que Téhéran n’utilisera pas d’armes similaires ?
A leur tour, les forces pro-iraniennes en Irak et dans d’autres pays du Moyen-Orient ont commencé à mener des actions de protestation et à menacer les bases militaires américaines, ce qui ne peut qu’inquiéter les États-Unis et M. J. Biden (surtout à l’approche de la date de l’élection présidentielle).
Quoi qu’il en soit, l’Israël exprime sa confiance publique dans la non-ingérence officielle de l’Iran dans le conflit avec les Arabes, non seulement à partir du simple désir et de la rhétorique publique de ses éminents experts proférant des menaces contre l’Iran. Il est évident que le Mossad et la CIA travaillent avec le SIS sur différents scénarios du développement, parmi lesquels un impact sensible sur l’Iran sous la forme de la menace d’un nouveau conflit militaire près des frontières du nord de la République Islamique. En particulier, on pourra parler de la probabilité d’une nouvelle agression de l’Azerbaïdjan contre l’Arménie à cause du corridor de Zanguezur. Comment l’Iran va-t-il réagir dans ce cas ?
Comme on le sait, l’Iran a informé à plusieurs reprises ses partenaires (l’Azerbaïdjan, la Turquie, la Russie et l’Arménie) de sa propre position sur la question de Zanguezur. En particulier, Téhéran s’oppose au corridor extraterritorial du Zanguezur et opte pour la sauvegarde de la souveraineté de l’Arménie et la frontière directe entre l’Arménie et l’Iran, sinon il interviendrait dans le conflit. Au lieu de Zanguezur, l’Iran a proposé à l’Azerbaïdjan son territoire pour accéder au Nakhitchevan et à la Turquie.
Entre-temps, le président turc Recep Erdogan a signé le 23 octobre de cette année le protocole sur l’adhésion de la Suède à l’OTAN et a invité le parlement du pays à examiner ce sujet et à le ratifier. Le même jour, des manœuvres militaires turco-azerbaïdjanais à grande échelle « Kemal Atatürk » ont débuté en Azerbaïdjan (y compris Nakhitchevan, frontalier de l’Arménie, et le Haut-Karabakh occupé) en l’honneur du 100e anniversaire de la République Turque. Des chasseurs F-16 de l’OTAN ont été déplacés sur les champs de manœuvre de l’Azerbaïdjan, et le matériel de guerre azerbaïdjanais participant aux manœuvres est désigné par « ! » dans la continuité du slogan « Le Karabakh est l’Azerbaïdjan et ! »
Ceci, comme le souligne l’édition américaine Time, est le signe d’une invasion menaçante par l’Azerbaïdjan du Zangezur arménien. En outre, le secrétaire d’État Anthony Blinken lui-même, qui, étant juif d’origine, est naturellement très préoccupé par le sort d’Israël, aurait évoqué cette menace il y a une semaine aux États-Unis lors d’une réunion avec certains membres du Congrès. Quant à la réunion des chefs d’État de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie prévue à Bruxelles pour fin octobre de cette année, celle-ci n’aura pas lieu pour des raisons de « manque de temps ».
L’une des versions de ces actions tellement rapides pourrait être la provocation d’une nouvelle escalade militaire dans le Caucase du Sud. Il s’agit en particulier d’une éventuelle attaque du tandem turco-azerbaïdjanais (c’est-à-dire que l’un des participants est membre de l’OTAN) contre l’Arménie. La motivation pour cela ou le casus belli pourrait être la prétendue « opération de nettoyage de 40 km du territoire de la région de Syunik de l’Arménie indépendante » des soi-disant forces terroristes arméniennes telles que Voma ou Poga (en réalité, ce sont des associations publiques patriotiques et militaires impliquées dans l’organisation de la formation et de la préparation de la population à l’autodéfense). C’est à peu près le même scénario que la Turquie applique de temps en temps dans la zone frontalière de la Syrie et de l’Irak contre les Kurdes. Cependant, dans ce cas, il ne s’agit pas de rebelles kurdes, mais d’un État souverain et membre de l’ONU, l’Arménie, qui reste également membre de l’OTSC.
Ce n’est donc pas par hasard si, le jour même du début des manœuvres militaires conjointes avec l’Azerbaïdjan près de la frontière avec l’Iran, Erdogan a signé un protocole sur l’adhésion de la Suède à l’OTAN et l’a envoyé au TBMM pour ratification. Par cette démarche, la Turquie demande en fait aux États-Unis non seulement des F-16 modernisés et une aide financière ultérieure pour son économie en crise, mais aussi l’approbation réelle du déclenchement d’une nouvelle guerre dans le Caucase du Sud, ce qui permettrait de détourner l’Iran du conflit entre l’Israël et le Hamas. Les résultats positifs de l’agression contre l’Arménie permettraient à la Turquie d’obtenir l’accès le plus court à l’Azerbaïdjan et, plus loin, aux pays turcs d’Asie Centrale pour mettre en œuvre le projet Turan et faire progresser l’OTAN vers le sud et l’est post-soviétiques. Dans cette dynamique, la Russie maintiendra évidemment une position de non-intervention, et l’Iran se retrouvera seul face aux menaces au nord et au sud.
Autant qu’on sache, le jour même, le 23 octobre de cette année, une réunion des ministres des Affaires étrangères a eu lieu à Téhéran au format « 3+3 » avec la participation des représentants de l’Iran, de la Russie, de la Turquie, de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie (la Géorgie pour le moment refuse cette plateforme). Le président iranien Ibrahim Raisi a reçu tous les chefs de délégations étrangères, où il a déclaré que les pays islamiques ne devraient pas coopérer avec le régime sioniste. Le dirigeant iranien a adressé ce message en premier lieu à Bakou et à Ankara. Cependant, la Turquie, malgré sa forte rhétorique publique anti-israélienne et sa « diplomatie téléphonique », et l’Azerbaïdjan, malgré son abstention officielle sur le conflit israélo-palestinien, n’ont toujours pas donné à l’Iran la promesse de suivre dans ses relations avec l’Israël les approches de Téhéran et au détriment de ses propres intérêts.
Certains pensent que le Hamas a déclenché un conflit avec l’Israël afin de torpiller la conclusion d’un accord de reconnaissance mutuelle et de sécurité entre l’Arabie Saoudite et l’Israël, ainsi que pour bloquer le « transit indien » vers l’Europe à travers les Émirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite et l’Israël. Dans ce cas, il n’existe pas de garanties que l’Azerbaïdjan ne déclenchera pas une nouvelle guerre sur le corridor de Zanguezur afin de détourner l’Iran du conflit avec l’Israël et de bloquer la possibilité du même « transit indien » via l’Iran et l’Arménie vers l’Europe ?
L’Azerbaïdjan et la Turquie aideront ainsi l’Israël et les États-Unis à localiser la menace de l’Iran et de ses forces mandataires au Moyen-Orient, tandis que l’adhésion de la Suède à l’OTAN sera le prix de la non-ingérence de ces mêmes États-Unis dans la prochaine agression de Bakou contre l’Arménie en échange de l’avancée de l’OTAN dans le Caucase du Sud et en Asie centrale. Compte tenu du comportement sans volonté des dirigeants arméniens actuels, représentés par le régime de N. Pashinyan, rien ne garantit qu’en cas de signal alarmant d’agression, Erevan ne conclura pas un accord avec le tandem turco-azerbaïdjanais sur le même Zangezur.
Il est vrai que dans un tel scénario, la Russie, l’Iran et la Chine n’obtiendront rien de bon, sauf la dictature de la Turquie et de l’OTAN dans le sud-est post-soviétique. Cela crée une menace plus grande pour la sécurité régionale dans le Caucase du Sud, et la forêt du hasard est capable de modifier les plans les plus élaborés des faucons. Comme nous le voyons, le prix d’une intervention dans le conflit israélien est extrêmement élevé et dangereux.
Alexandre SVARANTS, docteur en sciences politiques, professeur, spécialement pour la revue en ligne « New Eastern Outlook »