15.11.2023 Auteur: Alexandr Svaranc

Une diplomatie différente pour le Moyen-Orient…

Face au déclenchement d’une nouvelle guerre israélo-palestinienne dans la bande de Gaza, les agences diplomatiques des pays du Moyen-Orient ont, pour des raisons objectives, intensifié leurs activités. Les questions discutées sont à peu près identiques, car un cessez-le-feu et le rétablissement d’une paix durable dans la région restent pertinents pour tous les acteurs. Néanmoins, il subsiste une différence significative entre les approches des pays de la région, car la paix elle-même est perçue différemment selon les capitales (sinon il n’y aurait pas de conflit aussi persistant).

Tout d’abord, le ministère israélien des affaires étrangères prône la destruction complète du Hamas et qualifie cette organisation de terroriste, et soutient par conséquent la ligne du gouvernement de Benjamin Netanyahu sur la mise en œuvre de l’opération terrestre des forces de défense dans la bande de Gaza. Israël espère fortement que les États-Unis et la Grande-Bretagne, et avec eux le reste de la coalition occidentale, poursuivront leurs politiques prétentieuses et écraseront toute parcelle de résistance palestinienne. Parallèlement, le massacre de civils dans la bande de Gaza par toutes les formes de frappes militaires aériennes, maritimes et terrestres, la restriction de l’aide humanitaire en provenance de l’extérieur, la coupure de l’éclairage, des communications, de l’eau et du carburant, au mépris de toute morale et de nombreuses conventions internationales, semble justifié aux yeux du bureau d’Eli Cohen.

L’autre groupe de pays du Moyen-Orient appartenant à l’Orient arabe, tant dans le passé qu’aujourd’hui, a fait preuve d’une incohérence traditionnelle et d’une attitude contradictoire à l’égard de la Palestine et du conflit actuel en particulier. Les représentants riches du monde arabe que sont l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, Oman et le Koweït n’ont pas encore fait preuve d’une grande fermeté en fournissant une assistance militaire, politique et financière à ce même Hamas. Riyad n’a fait que suspendre les pourparlers avec Tel-Aviv en vue de parvenir à un accord de sécurité et de coopération économique. Les bases américaines stationnées dans ces pays continuent de mener leurs activités et de soutenir leur allié Israël dans la guerre contre les palestiniens de la bande de Gaza.

Par exemple, l’Arabie saoudite a accepté le déploiement sur son territoire de systèmes SAM américains pouvant être utilisés pour la défense aérienne d’Israël et la destruction des mêmes missiles lancés depuis le territoire de ce même Yémen.

Dans certains de ces pays, des essais ont été faits pour organiser des rassemblements anti-israéliens de masse, mais ils sont souvent réprimés par les autorités chargées de l’application de la loi. Ces rassemblements sont visiblement autorisés afin d’exclure les « révolutions de couleur » contre le régime en place. Les ministères des affaires étrangères de ces États ont eu tendance à se limiter à des annonces de cessez-le-feu déclaratoires qui ne sont pas soutenues par des mesures plus efficaces. Il est clair que les riches pays pétroliers donnent la priorité à leur propre bien-être et à la forte dépendance de leur stabilité à l’égard des politiques des pays du « milliard d’or », c’est-à-dire des alliés occidentaux d’Israël.

La troisième catégorie de la diplomatie du Moyen-Orient est déterminée par l’évolution des pays arabes orientaux comme l’Égypte et la Jordanie. On ne saurait dire que ces pays sont indifférents aux problèmes des Palestiniens, car ils sont liés non seulement par des affinités ethniques, mais aussi par la proximité géographique. En effet, les problèmes de sécurité aux frontières et la réticence à subir les attaques d’Israël et de ses alliés occidentaux dictent la diplomatie prudente et maladroite du Caire et d’Aman.

La Jordanie a simplement annoncé le retrait de ses diplomates d’Israël, mais n’a pas rompu les relations avec Tel-Aviv. En plus, c’est sur le territoire jordanien que les missiles américains Patriot SAM ont intercepté les missiles yéménites Houthi lancés en réponse au début de l’opération terrestre d’Israël dans la bande de Gaza.

L’Égypte accueille d’importantes conférences et réunions, mais son ministère des affaires étrangères n’a pas commenté l’étrange position du président Abdul Fattah al-Sisi, qui interdit l’acceptation de la migration massive des réfugiés palestiniens de la bande de Gaza. Le ministre égyptien des affaires étrangères, Sameh Shoukry, s’est contenté d’appeler à un cessez-le-feu et à des affrontements violents au sein des parties au conflit. Cependant, il est peu vraisemblable que de tels appels et avertissements sur le risque d’étendre la géographie du conflit influencent la position d’Israël, car des paroles qui ne sont pas soutenues par la force n’aideront pas la cause de la paix de sitôt. De toute évidence, les autorités égyptiennes craignent l’accumulation d’une masse critique de centaines de milliers de réfugiés et de nouveaux bouleversements internes.

Le quatrième groupe de pays de la région, représenté par les républiques arabes du Liban, de la Syrie, de l’Irak et du Yémen, se caractérise par une position plus tranchée sur le conflit israélo-arabe. Tous sont des alliés de l’Iran et des opposants au régime sioniste d’Israël.

Parallèlement, le Liban et la Syrie sont des États voisins d’Israël et ressentent très concrètement les échos de la guerre dans la bande de Gaza, étant donné les frappes aériennes périodiques d’Israël sur des installations stratégiques et militaires à Damas, Alep et Beyrouth. Le Hezbollah, organisation libanaise et pro-iranienne, a explicitement menacé Israël d’élargir le front de résistance si l’opération terrestre contre le Hamas se poursuivait. La Syrie, malgré les forces minées par la guerre civile et les interventions extérieures, n’exclut toujours pas de soutenir militairement la Palestine contre Israël et, le cas échéant, de restituer la partie du Golan occupée par Israël.

L’Irak, affaibli par l’occupation américaine et divisé par des contradictions internes, représente néanmoins une force capable d’entrer dans le conflit aux côtés du Hamas contre Israël.

Le Yémen, en revanche, est pratiquement le seul pays du Moyen-Orient à avoir déclaré la guerre à Israël et à avoir lancé un certain nombre de frappes sensibles de missiles balistiques. Les Houthis ont accusé les autorités saoudiennes et jordaniennes de complicité avec Israël pour avoir refusé d’autoriser l’armée yéménite à entrer en Israël.

La cinquième catégorie de la diplomatie du Moyen-Orient à l’égard du conflit militaire entre le Hamas et Israël exprime le tandem régional de la Turquie et du Qatar. En effet, Ankara et Doha soutiennent depuis longtemps le régime du Hamas dans la bande de Gaza, lui apportent un soutien financier et militaire et expriment aujourd’hui publiquement leur solidarité avec sa mission de libération contre les politiques discriminatoires de Tel-Aviv.

Le Qatar a menacé de couper les livraisons de gaz à Israël. La Turquie est allée beaucoup plus loin dans sa rhétorique anti-israélienne. Ankara, qui avait commencé par une « diplomatie par téléphone continue », a rapidement changé de tactique, adoptant une position pro-palestinienne sans équivoque et accusant Tel-Aviv de terrorisme, de « massacre de masse », de « meurtre collectif », de « crimes de guerre », de « crimes contre l’humanité » et de « génocide ».

La Turquie et le Qatar ont joué un rôle actif dans la fourniture d’aide humanitaire à la bande de Gaza, accusant fréquemment et publiquement l’Occident, sous la houlette des États-Unis, d’organiser le massacre des Palestiniens. Erdogan est même allé jusqu’à mettre en garde contre un djihad musulman mondial contre la croisade chrétienne.

En effet, dans ce cas, où placer la position objective et antisioniste de pays chrétiens comme la Russie, la Bolivie, le Chili, le Venezuela ? Et où se trouve, dans la bande de Gaza, la partie au conflit représentée par le monde chrétien si les arabes sont musulmans et les juifs judaïques ? Erdogan prévient-il l’Amérique chrétienne ? Qui, sinon la Turquie, membre de l’OTAN, a mis à la disposition de ces mêmes États-Unis son territoire pour l’installation de bases militaires et a offert un passage à Israël ? La Turquie aura-t-elle le courage d’affronter militairement les États-Unis et, une nuit, sans avertissement, comme le promet M. Erdogan, de leur faire face de l’autre côté de l’océan ?

La Turquie a clairement proposé une paix durable au Moyen-Orient par la création d’un État palestinien conformément aux décisions des Nations unies, dans les frontières de 1967 et avec Jérusalem-Est comme capitale. Ankara se dit prêt à devenir le garant de la sécurité des palestiniens. Cette idée ne suscite pratiquement aucune objection dans l’opinion publique (même Israël ne s’oppose pas formellement à la mise en œuvre des décisions de l’ONU relatives à la formation d’un État palestinien). Cependant, les bonnes volontés de la diplomatie turque restent encore dans le dossier des futures négociations, elles ne sont pas soutenues par Israël et ses alliés occidentaux, et il n’y a pas d’accord univoque des pays de l’Orient arabe.

La diplomatie turque déploie une grande énergie mais dévie souvent vers le populisme (par exemple, les avertissements bruyants d’une guerre religieuse imminente entre le Croissant et la Croix, ou les accusations verbales selon lesquelles Israël commettrait un crime de génocide). Dans le même temps, l’impulsivité d’Ankara dans ses demandes d’élargissement du Conseil de sécurité des Nations unies et ses allusions à sa propre candidature suggèrent que la Turquie est plus concernée par le changement de son statut sur la scène mondiale que par le soutien militaire et politique au Hamas et à la Palestine.

Enfin, le sixième système de diplomatie au Moyen-Orient concernant le conflit israélo-palestinien semble être l’Iran. Téhéran poursuit sa tradition millénaire de diplomatie mesurée et réfléchie, sans esbroufe extérieure, sans populisme et sans impulsivité. Les autorités iraniennes n’ont jamais caché leur attitude négative à l’égard des politiques du régime sioniste, mais n’ont jamais remis en question le droit à la vie de l’État juif.

Certains médias de pays formellement musulmans (par exemple, l’Azerbaïdjan, qui se caractérise par son partenariat stratégique avec Israël et le gouvernement de B. Netanyahu en particulier) tentent d’accuser l’Iran d’avoir apporté un soutien militaire et autre à la formation et à la montée en puissance du Hamas dans la bande de Gaza. La réalité est quelque peu différente des désirs du même journal «minval.az» de vouloir déformer les événements. Le fait est qu’on n’a pas vu l’Iran s’allier aux Frères musulmans, et que le Hamas est l’émanation de ces derniers et a reçu l’aide appropriée du dirigeant turc Erdogan et du Qatar.

En principe, Israël lui-même admet aujourd’hui l’erreur du gouvernement de Benjamin Netanyahou qui a favorisé l’arrivée au pouvoir du Hamas dans la bande de Gaza, par opposition aux autorités de Ramala au sein de l’Autorité palestinienne. C’est la raison pour laquelle le président américain Joseph Biden considère que la question d’un changement rapide de gouvernement en Israël est résolue et qu’il serait approprié que M. Netanyahou réfléchisse aux fautes commises qui ont conduit au conflit actuel avec le Hamas et qu’il donne des conseils sur ce que le futur premier ministre ne devrait pas faire.

Toutefois, l’Iran s’est d’abord opposé à la politique de Netanyahou dans la bande de Gaza, a qualifié d’inacceptable une opération terrestre entraînant la destruction massive de civils, a mis en garde contre l’extension de la géographie du front anti-israélien (y compris avec la participation de forces pro-iraniennes au Yémen, au Liban, en Syrie et en Irak) et a eu des discussions de fond avec les États-Unis au sujet des « lignes rouges ».

Et désormais, Téhéran envoie son ministre des affaires étrangères, Amir Abdollahian, dans les pays du Moyen-Orient pour coordonner les efforts conjoints sur la voie israélienne, proposant de discuter de l’élargissement du front de résistance et de la formation d’une coalition (islamique) à l’échelle de la région, détournant les forces américaines dans les pays de la région en menant des frappes ciblées sur les bases et les installations militaires, appelant les pays de la région du Moyen-Orient à accroître la pression des masses sur leurs gouvernements en raison de leur inaction ou de leur complicité avec les États-Unis et Israël.

L’Iran estime que les États-Unis ne sont pas le bon pays pour dire aux États du Moyen-Orient s’ils doivent ou non entrer en guerre avec Israël. Selon les approches de la diplomatie iranienne, la paix dans la région peut devenir une vérité en cas de retrait des bases militaires américaines et britanniques du Moyen-Orient, de retrait du support militaire direct à Israël et de cessation du cours sioniste de Tel-Aviv (« Israël avant tout »).

Comme nous pouvons le constater, la position de la diplomatie iranienne est étonnamment différente de celle des diplomaties turque et arabe, car les mots seuls sur la création de l’État de Palestine ne résoudront pas la question si les bases militaires américaines dans la région et le cours sioniste d’Israël sont maintenus. Sinon, pourquoi les décisions des Nations unies de 1967 n’ont-elles jamais été mises en œuvre ?

L’Iran comprend et propose aux pays de la région de ne pas combattre Israël avec des mots, mais de neutraliser les capacités offensives de Tsahal avec une force réelle et de localiser l’intervention extérieure de l’OTAN. À cet effet, Téhéran est en faveur de la tenue d’une conférence des pays arabes et islamiques pour discuter de l’ensemble de l’agenda du conflit au Moyen-Orient et définir une réponse collective.

Il apparaît donc clairement que la diplomatie iranienne fait preuve d’une approche plus claire et plus fondamentale pour résoudre la crise du Moyen-Orient en toute sérénité. L’Iran n’a pas de direction formelle, n’est pas caractérisé par le populisme et n’appelle pas à la guerre du Croissant avec la Croix ou l’Étoile de David. Mais il devient évident que sans l’Iran et son approche responsable de la question de l’équilibre des pouvoirs, il sera difficile pour les acteurs mondiaux d’établir un nouvel ordre dans cette région stratégiquement importante.

 

Alexandre SVARANTS, docteur en sciences politiques, professeur, spécialement pour la revue en ligne « New Eastern Outlook ».

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