27.10.2023 Auteur: Vladimir Terehov

À l’occasion du 50e anniversaire des relations entre le Japon et l’ANASE

Le mois de décembre de cette année marquera exactement les 50 ans de l’établissement des relations officielles entre le Japon et l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), qui comprend aujourd’hui 10 pays, soit la quasi-totalité de la sous-région (à l’exception de la Papouasie-Nouvelle-Guinée et du Timor-Oriental). Notons qu’au stade actuel du « Grand échiquier mondial », le coût de la question du contrôle ne cesse d’augmenter.

La sous-région gagne également en importance dans la politique étrangère du Japon qui, après sa défaite lors de la Seconde Guerre mondiale, revient à la table du jeu en tant que l’un de ses principaux participants.

N’oublions pas, cependant, qu’il y a 80 ans, la « branche Asie-Pacifique » de la Seconde Guerre mondiale a essentiellement résulté du mouvement stratégique du Japon impérial vers le sud-ouest. Les plans prévoyaient de rester pour toujours dans un positionnement intermédiaire nommé « Asie du Sud-Est ». Mais certaines des principales puissances mondiales n’ont pas apprécié cette intention, ce qui a provoqué cette « branche », identifiée avec la Seconde Guerre mondiale.

Cependant, les temps changent et, aujourd’hui, le principal ennemi du Japon de l’époque encourage dans les faits, le même mouvement stratégique vers le sud-ouest. Il reste toutefois important de noter que le Japon lui-même a changé le principal instrument par lequel la « deuxième version » de cette stratégie est mise en œuvre. Pendant les 60 dernières années, le Japon a restauré et renforcé son autorité politique dans le monde en général et en Asie du Sud-Est en particulier, en utilisant comme facteur sa propre économie en croissance rapide (dans la première moitié de la période mentionnée).

Toutefois, ces dernières années, la présence d’instruments militaires dans ce processus est devenue de plus en plus conséquente. Jusqu’à présent, il a été déployé principalement avec un allié clé (les États-Unis), ainsi qu’avec les partenaires régionaux les plus proches en matière de politique étrangère, à savoir l’Australie. De même augure, l’Inde se profile (de plus en plus clairement) à l’horizon.

L’évolution (par rapport à la période d’avant-guerre) dans « l’ordre des mouvements » dans l’utilisation privilégiée des instruments économiques et militaires a eu les conséquences les plus positives pour l’ensemble du processus d’acquisition de l’autorité politique par le Japon, principalement dans les pays de l’Asie du Sud-Est.

 L’une des composantes principales et extrêmement efficaces de l’instrument économique a été le programme d’aide publique au développement (APD), mis en œuvre par l’intermédiaire du ministère des affaires étrangères et opérationnel depuis 1954. Selon les experts, l’APD s’est montrée être « un phénomène de l’histoire économique mondiale moderne » qui a permis au Japon de s’imposer comme « une superpuissance de l’aide, dépassant même les États-Unis en termes de flux d’aide annuels ».  Il convient de remarquer que les formulations ci-dessus sont utilisées dans une étude qui se concentre sur le rôle de l’APD dans le développement des relations du Japon avec les pays de l’ANASE.

Il ne demeure donc pas surprenant que presque tous les pays de la région aient réagi très positivement à l’activation polyvalente du Japon dans cette région. Cela se voit être facilité par un autre facteur extrêmement important, qui est conditionné par presque le principal phénomène de la phase actuelle du « Grand échiquier mondial », en raison de l’émergence de la Chine en tant que deuxième puissance mondiale, dont les intérêts deviennent globaux par nature. Mais, naturellement, ce type de revendications de Pékin s’applique principalement à la sous-région voisine de l’Asie du Sud-Est. Taïwan est d’ailleurs directement adjacente à cette zone.

Une fois de plus, ces revendications ont été signalées par la publication, fin août, d’une série de « cartes standard » des territoires chinois proprement dits et d’autres régions du monde. Cette situation a suscité des réactions négatives de la part d’un certain nombre de pays de l’ANASE, notamment les Philippines, le Viêt Nam et du plus grand pays de l’Asie du Sud-Est, l’Indonésie. Pékin est depuis longtemps le principal partenaire commercial de la quasi-totalité des États membres de l’ANASE et, ces dernières années, il a favorisé une politique d’apaisement des problèmes dans les relations avec ces derniers.

C’est pourquoi, nous le répétons, il semble naturel que les trois pays de la région (mais pas seulement) aient une attitude favorable à l’égard du processus d’expansion de la présence globale des adversaires géopolitiques de la Chine dans cette région. Cela concerne en premier lieu, bien entendu, les États-Unis. Mais le « retour » du Japon en Asie du Sud-Est est également accueilli de manière très favorable.

Dans ce contexte politique et économique général, le gouvernement japonais actuel a déjà organisé, une série d’événements à la veille du 50e anniversaire de l’établissement des relations avec l’ANASE. Les visites de membres de la famille impériale et de membres du gouvernement dans les pays de la région en constituaient un élément important.

Rappelons tout d’abord le premier voyage à l’étranger de l’empereur et de son épouse, avec une visite d’État en Indonésie en juin de cette année, après leur accession au trône en 2019 (si l’on ne compte pas la présence « rituellement obligatoire » aux funérailles de la reine britannique Élisabeth II). Il convient toutefois de noter que, selon la constitution en vigueur au Japon depuis 1947, le statut de l’empereur est principalement de forme symbolique-représentative. Autrement dit, l’empereur Naruhito n’a pas évoqué d’objectifs politiques spécifiques dans les relations avec le principal pays de l’ANASE au cours de ce voyage.

Mais le symbolisme associé à ce voyage (« diplomatie de la bonne volonté ») ne semble pas du tout secondaire. La visite du couple impérial au lieu de sépulture à Jakarta des soldats indonésiens et troupes japonaises morts pendant la Seconde Guerre mondiale a été remarquable. Dans un entretien aux journalistes, l’empereur Naruhito, citant notamment son « passé diplomatique », a exprimé l’espoir que sa visite en Indonésie « contribuera à approfondir les relations amicales entre nos pays ».

Du 20 au 24 septembre, le prince héritier Akishino et son épouse se sont rendus au Viêt Nam à l’occasion du 50e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques bilatérales. Au cours de cette visite, ont eu lieu plusieurs événements tout aussi remarquables, dans leur portée symbolique. L’héritier du trône et son épouse ont notamment visité le mausolée de Ho Chiminh, le fondateur du Viêt Nam moderne.

La nouvelle ministre des affaires étrangères, Yoko Kamikawa s’est rendue successivement au Brunei, au Viêt Nam, au Laos et en Thaïlande au cours de la première quinzaine d’octobre, elle était chargée des spécificités politiques de la région. Résumant les résultats de cette tournée, Yomiuri Shimbun, l’un des principaux journaux japonais, note également que les pays de l’Asie du Sud Est ont été les premiers après la nomination de Yoko Kamikawa à la tête de la diplomatie japonaise en matière de politique étrangère.

Parmi les moments les plus importants de cette tournée, citons la visite au Vietnam, au cours de laquelle la ministre s’est notamment entretenue avec son homologue vietnamien. L’annonce de la réunion par le ministère japonais des affaires étrangères attire l’attention sur l’intention de rehausser le niveau des relations bilatérales dans divers domaines. La visite du porte-hélicoptères JDS Izumo, escorté par un destroyer de la marine japonaise, dans le port de Cam Ranh au cours de l’été de cette année est notamment mentionnée.

Néanmoins, le premier voyage à l’étranger de Yoko Kamikawa s’est déroulé un peu plus tôt que prévu, à cause du besoin de sa présence pour la représentation du Japon à une énième Assemblée générale des Nations unies. En marge du travail direct de cette organisation estimée, quelques événements importants ont eu lieu avec la participation de Yoko Kamikawa, notamment la réunion ministérielle des pays membres de la Quad. L’événement a une fois de plus mis en lumière les partenaires les plus appréciés du Japon sur la scène internationale. Ensemble et individuellement, ils se font de plus en plus connaître dans diverses zones de la région indo-pacifique, en particulier dans l’espace économique sud-est asiatique. C’est ce qui ressort fortement du rapport du ministère des affaires étrangères du Japon à propos de cette réunion.

La série d’événements marquant le 50e anniversaire des relations entre le Japon et l’ANASE se terminera par un sommet spécial en décembre de cette année.

Enfin, un article du recteur de l’université préfectorale de Kumamoto a attiré l’attention, il a paru dans la section éditoriale du Yomiuri Shimbun, sur la « perte de sens » de l’existence de l’ANASE. Autrement dit, l’organisation avec laquelle le gouvernement japonais célèbre un demi-siècle de coopération à si grande échelle.

L’auteur de cet article attendait depuis longtemps un texte similaire de la part d’un expert faisant autorité. En effet, il existe un décalage évident entre les ambitions des dirigeants de cette organisation (également respectée) et la situation réelle, tant dans la région périphérique qu’à l’intérieur de celle-ci. La « fragmentation » des membres de l’ANASE par les principaux acteurs mondiaux, l’incapacité à faire passer la part du commerce intérieur au-dessus du tiers (du chiffre d’affaires total de l’Association) où elle se trouve depuis des décennies, deviennent de plus en plus visibles. Les tentatives d’intervention (en général, sous la pression de Washington) dans la situation politique interne de Myanmar n’ont donné aucun résultat significatif.

Toutefois, quel que soit le sort réservé à l’ANASE, la région de l’ASE et les pays qui la composent ne disparaîtront pas. Par conséquent, le processus d’expansion de la présence globale du Japon dans cette région se poursuivra.

 

Vladimir Terekhov, expert des problèmes de la région Asie-Pacifique, spécialement pour la revue en ligne « New Eastern Outlook »

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