01.10.2023 Auteur: Vladimir Terehov

L’épisode impliquant le meurtre d’un leader de la communauté sikh au Canada a évolué

Au cours de la deuxième quinzaine de septembre, un épisode relativement mineur (à l’échelle des processus mondiaux en cours) et apparemment déjà oublié, qui s’était déroulé trois mois plus tôt sur le territoire du Canada, a connu, de manière plutôt inattendue, une évolution très médiatisé sur la scène politique mondiale. Cependant, il avait déjà jeté une certaine ombre sur les relations de ce dernier avec l’Inde.

Il s’agit de l’assassinat dans la ville de Surrey, dans la province canadienne de Colombie-Britannique, d’un certain leader de la communauté locale des immigrés sikhs, commis le 18 juin par deux inconnus (d’après ce que l’on peut comprendre, jusqu’à présent) sur le parking devant le temple de cette nationalité très spécifique de l’Inde. Des représentants de la communauté avaient déjà pointé du doigt le service de renseignement étranger indien (Research and Analysis Wing, RAW), mais aucun indice de ce type n’a été donné par les autorités officielles canadiennes. Il se peut que les services canadiens compétents à l’époque n’aient tout simplement pas disposé d’informations fiables, qui leur sont parvenues plus tard des États-Unis.

Mais il n’est pas exclu qu’Ottawa n’ait tout simplement pas voulu mettre des bâtons (généralement assez épais) dans les roues du processus qui s’est développé ces dernières années pour attirer le « grand frère » indien à ses côtés. Pour Washington, ce pays revêt une importance particulière dans la lutte qui se joue à la table de la phase actuelle du « Grand jeu mondial » avec pour principal adversaire Pékin. Malgré cela, les États-Unis n’ont apparemment pas jugé nécessaire d’informer l’Inde des informations transmises sur l’assassinat au Canada.

Cela dit, l’une des principales composantes de la stratégie américaine est une propagande primitive qui divise le monde réel en trois parties : le « bon côté » (le monde des démocraties), le « mauvais côté » (les régimes totalitaires) et la « zone grise » (que l’on appelle depuis peu le « Sud global »). L’importance de l’Inde pour les États-Unis, c’est-à-dire le leader du camp des « démocraties légères », tient non seulement au fait qu’elle devient rapidement l’un des principaux acteurs mondiaux, mais aussi au fait qu’elle conserve, dans une certaine mesure, son appartenance au Sud global. Et comme l’une de ses principales composantes. Entre-temps, la lutte d’influence sur le « Sud Global » devient progressivement le point central de tout ce qui se passe autour de la table.

Tout doit être « brillant » pour tous les participants du « bon côté ». Cela s’applique avant tout à la politique qui, dans le cas de l’Inde, est définie par un mème récent qui s’est imposé : « la plus grande démocratie du monde ». Et les « démocraties » Comme nous le savons, sont appelées à respecter certaines « règles » (plutôt mystérieuses) sur la scène internationale. En particulier, les « démocraties » devraient au moins signifier la lutte contre le « terrorisme international » et, en tout état de cause, ne pas laisser soupçonner qu’elles utilisent elles-mêmes des méthodes terroristes pour résoudre certains problèmes internes et externes.

Il convient de noter une fois de plus que le terme « terrorisme » lui-même (absolument ridicule du point de vue de son analyse sémantique élémentaire) est l’une des principales composantes de l’argot politique moderne. Depuis la fin des années 90 du siècle dernier, il est largement utilisé (par les mêmes dirigeants des « démocraties ») dans la lutte politique contre les opposants. En termes de « poids », seule l’accusation de « violation des droits de l’homme universellement reconnus » peut être comparée à l’expression « coup de massue » susmentionnée. Cependant, cette terminologie s’est, récemment, enrichie d’expressions tout aussi percutantes telles que « émetteur vicieux de gaz à effet de serre » ou « opposant à des valeurs inférieures à la ceinture ».

Et pourtant, à notre époque où les simulacres dominent l’espace public au détriment des significations, il est particulièrement important d’éviter les soupçons d’implication dans tout ce qui est directement ou indirectement lié au fameux « terrorisme ». Et de tels soupçons à l’égard de « la plus grande démocratie du monde » ne pouvaient que surgir immédiatement après l’« incident » qui s’est produit au Canada le 18 juin. Pour des raisons qui ont été discutées plus d’une fois à la NEO, lorsqu’un autre incident (d’un plan similaire) s’est produit en Inde même (plus précisément dans la partie nord de l’État du Pendjab), cela a donné lieu à des spéculations sur la structure extrêmement complexe de ce pays.

Rappelons simplement que les Sikhs ont été une source de maux de tête (plus ou moins constante) non seulement pour l’administration de l’« Inde britannique », mais aussi pour l’État indépendant moderne qu’est la « République de l’Inde ». La Première ministre Indira Gandhi a été victime du « problème sikh » en octobre 1994. Sept ans plus tard, elle a été suivie par son fils Rajiv, qui, alors qu’il occupait le même poste de Premier ministre, a été assassiné pour un « problème tamoul » différent mais très similaire. Et de tels problèmes dans l’Inde moderne sont, comme on dit, légion.

Apparemment (et en particulier), c’est ce dernier point qui explique la réaction négative du Premier ministre indien Narendra Modi aux tentatives de son homologue canadien Justin Trudeau, faites en marge du sommet du G20 qui s’est tenu en Inde au cours de la première décennie de septembre, pour résoudre ensemble la situation désagréable qui s’est soudainement installée dans les relations bilatérales.

On peut également supposer qu’au début de cet événement international (plus bruyant qu’important), les services de sécurité canadiens ont « déterré » » quelque chose de concret sur ce qui s’est passé à Surrey. Le gouvernement du pays s’est alors demandé ce qu’il devait faire de ce « quelque chose ». Il n’est pas exclu qu’autour du 10 septembre, Justin Trudeau et Narendra Modi aient échangé les remarques suivantes dans les coulisses de New Delhi : « Père, reprenez vos esprits ! Nous t’aimons, ainsi que ton pays, mais que dois-je faire de ce « dossier sikh » ? Aidez-moi à sortir de ce… gouffre ». La réponse a apparemment suivi dans le style d’une chanson autrefois populaire : « Collègue, dégage… J’ai mes propres problèmes à régler. Je ne veux pas être accusé d’un acte de « terrorisme international ».

Ce n’est qu’après cela (plutôt en désespoir de cause) qu’il y a eu une « fuite d’informations » en provenance d’Ottawa concernant l’« incident » à Surrey. Il s’en est suivi des actes de mécontentement symboliques, routiniers et obligatoires entre l’Inde et le Canada. Toutefois, il est peu probable qu’ils aient un effet durable.

Enfin, il semble approprié de faire quelques remarques sur tout ce qui précède. Premièrement, même s’il s’avère que les auteurs de l’acte dont il est question dans l’affaire Surrey étaient effectivement la RAW indienne (ce que l’auteur ne croira pas de toute façon), il ne s’agira alors, d’une manière générale, que d’une manifestation relativement mineure et ordinaire du processus général de violation des mêmes « règles ». Qui sont ignorées par leurs auteurs, représentant, répétons-le, le « bon côté » mentionné, encore et encore (et à une échelle incommensurablement plus grande).

Afin de « justifier » quelque peu ce dernier point, nous devrions noter que nous vivons dans un monde réel et cruel, dans lequel les « règles » formées artificiellement (le plus souvent « sur un coup de tête » et sur un plan spéculatif) échouent inévitablement.

Deuxièmement, le comportement des principaux alliés du Canada dans cette situation désagréable est remarquable. Pour autant que nous puissions le comprendre, avant de rendre publics les soupçons concernant l’implication de l’Inde dans l’incident à Surrey, Ottawa a tenté d’obtenir le soutien de cette dernière dans cette action.

Et déjà à Washington, c’est-à-dire dans la capitale du principal d’entre eux, le gouvernement canadien a échoué. Ce qui n’est pas du tout surprenant, compte tenu de la politique de « cour ouverte » à New Delhi suivie par toutes les administrations américaines récentes.

Londres a adopté une position ambiguë et seule la ministre australienne des Affaires étrangères, Penny Wong (qui est d’origine chinoise, soit dit en passant), s’est montrée plus ou moins explicite quant à la « profonde inquiétude »que les services de renseignement indiens aient pu organiser l’incident en question. Cela n’a pas empêché cette même Mm Wong de participer à la réunion ministérielle régulière de la configuration Quad (qui, avec l’Australie, comprend également l’Inde) et d’être photographiée côte à côte avec son collègue indien Subrahmanyam Jaishankar. Le couple était « entouré » de deux autres représentants du « bon côté ».

Troisièmement, le même incident ne pouvait que se refléter dans les relations complexes de l’Inde avec ses principaux adversaires régionaux, la République populaire de Chine et le Pakistan. En particulier, ces dernières années, New Delhi et Islamabad se sont régulièrement lancés des pavés de propagande qualifiés de « sponsors du terrorisme ». Qu’il s’agisse de la situation au Baloutchistan ou dans la zone frontalière du Cachemire divisé. Au Pakistan, il n’a pas non plus manqué un autre cas approprié au Canada.

Mais, incidemment, nous constatons que les Sikhs pourraient bien empiéter sur une partie du Pendjab pakistanais. La NEO a déjà évoqué une raison importante à cela, à savoir la construction du « corridor de Kartarpur » dans la zone frontalière séparant cette province du Pakistan de l’État indien du même nom.

Au moment de la rédaction de cet article, il a été rapporté l’assassinat d’un autre militant sikh dans le même Canada. Jusqu’à présent, ce dernier semble être une victime accidentelle d’un échange de coups de feu entre quelques gangs.

En guise de conclusion, nous pouvons rappeler un classique : « Oh, combien de merveilleuses découvertes nous sont préparées… » par les participants à l’étape actuelle du « Grand Jeu Mondial ».

 

Vladimir Terekhov, expert des problèmes de la région Asie-Pacifique, spécialement pour la revue en ligne « New Eastern Outlook »

Articles Liés