17.09.2023 Auteur: Alexandr Svaranc

Négociations à Sotchi : « L’accord sur les céréales » n’a pas d’avenir sans le respect des intérêts de la Russie

La prochaine visite du président turc Erdogan en Russie a généré beaucoup d’informations dans les médias ces derniers temps. Une chose a été claire : Recep Erdogan avait l’intention de rencontrer son homologue Vladimir Poutine coûte que coûte, que ce soit en Turquie, en Russie ou ailleurs (par exemple, en Inde). Quel a été le catalyseur de cette hâte de la part du dirigeant turc ?

Bien entendu, il ne s’agissait pas de remercier la Russie pour le soutien qu’elle avait apporté à M. Erdogan lors de la récente élection présidentielle difficile. Les négociations syriennes sont également un sujet peu probable : après l’achèvement de la plate-forme d’Astana, elles sont désormais sans lieu de réunions spécifique. Selon de nombreuses estimations, l’urgence de la réunion personnelle des deux présidents a probablement été liée au thème de « l’accord sur les céréales », où la Turquie souhaite la relance rapide de l’initiative de la mer Noire.

Cependant, la Turquie que pourrait-elle proposer de nouveau à la partie russe sur la question des céréales, si Moscou a mentionné à plusieurs reprises et en public les raisons de son retrait (ou de la suspension de sa participation), ainsi que les conditions de son retour ? On sait que dans ce contexte, la Russie n’a jamais rien reproché à ses partenaires turcs mais, au contraire, de toutes les manières possibles a soutenu les initiatives de « l’ami » Erdogan (dans certains cas même au détriment de ses intérêts, comme cela s’est produit avec une nouvelle prolongation de l’accord en mai dernier à la veille du second tour de l’élection présidentielle en Turquie).

Le principal obstacle est la position de l’Occident et son manque de respect pour la Russie, or cette « rue à sens unique » ne peut pas fonctionner éternellement au mépris de l’État russe. À tout seigneur tout honneur, selon l’adage. La Russie, comme auparavant, reste une grande puissance, dont les intérêts doivent être pris en compte.

Ainsi, peu importe à quel point l’Occident compte sur l’amitié personnelle et l’influence d’Erdogan sur Poutine, il y a des questions claires sur la table qui nécessitent des réponses non moins claires pour satisfaire les intérêts des exportations des produits agricoles russes. Néanmoins, la Russie exprime la volonté de développer une coopération fructueuse avec la Turquie dans la question des céréales sur les exportations de son blé via le territoire turc vers les pays tiers (par exemple, les pays nécessiteux de l’Afrique).

Cependant, cette initiative de Moscou est connue depuis longtemps, est-ce bien pour cela qu’Erdogan s’est rendu à Sotchi chez le camarade Poutine ? Il ne fait aucun doute que lors des entretiens au plus haut niveau, les parties discutent, dans les limites autorisées de la confiance, d’un ensemble de questions relatives aux relations bilatérales et de sujets d’actualité à l’ordre du jour international (régional). La nouvelle réunion, qui s’est tenue le 4 septembre dernier à Sotchi, n’a pas fait exception à la règle.

A Sotchi, le président de la Russie a de nouveau exprimé sa volonté de ne retourner à « l’accord sur les céréales » que sous réserve du respect des intérêts de notre pays et des conditions des exportations précédemment indiquées des produits agricoles russes et de la résolution des problèmes connexes (révocation des sanctions financières contre la Rosselkhozbank, contre les importations du matériel agricole et des pièces de rechange, contre le lancement du pipeline d’ammoniac Togliatti – Odessa, ainsi que contre l’assurance des marchandises et navires, etc.).

Dans le même temps, la Russie et la Turquie se sont mises d’accord sur le développement des relations commerciales bilatérales dans les exportations des céréales russes vers les pays d’Afrique dans le besoin, avec transformation de blé en farine dans les fabriques turques. Le seul élément supplémentaire est la participation du Qatar, maintenant un partenariat fidèle avec la Turquie et la Russie. Ainsi les efforts de l’Occident pour instaurer le régime total des sanctions anti-russe ne reçoivent pas le soutien du reste du monde.

En ce qui concerne la participation du Qatar dans « l’accord sur les céréales » avec la Russie, certains experts étrangers (par exemple, le politologue azerbaïdjanais Aydin Kerimov écrivant pour haggin.az) notent que la Russie accorderait à Doha une commission importante, aussi bien qu’à la Turquie elle-même. Le fait même de l’accession du Qatar à cette transaction, selon Kerimov, a eu lieu lors d’une réunion à Budapest le 22 août dernier, le jour de la fête nationale hongroise de St. Istwan. En particulier, le Qatar prévoit d’assurer l’achat financier de céréales russes, puis de remettre les marchandises à la Turquie moyennant une commission spécifique, et Ankara recevra le droit d’exporter ces produits par la suite sur des marchés extérieurs en prélevant une commission pertinente. En conséquence, le Qatar assurera des transactions financières avec la Rosselkhozbank et, éventuellement, assurera la fourniture de machines agricoles à la Russie depuis des pays tiers.

En d’autres termes, de cette manière, l’ONU tentera de satisfaire en partie les intérêts de la Russie et d’obtenir apparemment l’approbation de Moscou au transit des « céréales ukrainiennes » vers des marchés étrangers à travers la mer Noire.

Nous ne pouvons ni confirmer ni infirmer les détails de la transaction commerciale éventuelle sur les céréales russes présentés par notre collègue Kerimov. On peut faire valoir que l’entreprise implique les intérêts commerciaux des participants à la transaction. Sur le plan politique, la Russie démontre la capacité de développer des relations commerciales et économiques avec des partenaires externes, mais non sans préjudice pour ses propres intérêts.

Dans le même temps, « l’accord sur les céréales » avec la Turquie et le Qatar ne signifie pas le consentement de la Russie à la reprise de l’initiative de la mer Noire sur les céréales ukrainiennes. Si quelqu’un s’imagine que la Russie, en réponse aux exportations de ses produits par la Turquie avec la participation du Qatar, se limitera à « observer à travers les jumelles » l’éventuel transit des cargos de la zone de l’Opération militaire spéciale vers les ports de la mer Noire, il pourrait rapidement se rendre compte qu’il s’est trompé. Les menaces de recours à la force contre la flotte russe de la mer Noire par le « convoi humanitaire » des forces maritimes de l’OTAN seraient capables d’entraîner une crise plus profonde avec une puissance nucléaire.

Le président Poutine a donc expliqué assez clairement aux partenaires occidentaux, par le truchement de M. Erdogan, dans quelles conditions « l’accord sur les céréales » dans le bassin de la mer Noire pourrait être relancé, mais dans tous les cas, il ne peut pas réussir sans respecter les intérêts de la Russie. Apparemment, c’est pour cela que la partie turque attend le prochain sommet des chefs des deux États dans un avenir proche, les dates et le lieu de la réunion n’ont pas encore été fixés. Pour des raisons évidentes, l’Occident et la Turquie sont pressés de boucler « l’accord sur les céréales », car le mois de septembre est arrivé et les greniers se remplissent de blé. Moscou rappelle à juste titre que le volume des céréales ukrainiens sur le marché mondial est très insignifiant et ne peut pas affecter les prix. En conséquence, les manipulateurs occidentaux ne devraient pas hypertrophier artificiellement le sujet de « la famine universelle imminente par la faute de la Russie ». Autrement dit, messieurs, si vous voulez du blé, soyez amis de la Russie.

Sur tous les autres aspects des relations russo-turques, les parties ont confirmé à Sotchi leur dynamique élevée, une augmentation du chiffre d’affaires commercial de 86 %, la volonté de lancer un projet de plaque tournante gazière et la construction par Rosatom de la deuxième centrale nucléaire de Sinop sur la côte turque de la Mer Noire. Ces indicateurs du solde commercial montre clairement que la Turquie a besoin de l’aide économique russe et ne peut pas imposer à Moscou ses conditions.

 

Alexandre SVARANTS, docteur en sciences politiques, professeur, spécialement pour la revue en ligne « New Eastern Outlook »

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