L’aggravation de la situation de la sécurité dans la région africaine du Sahel souligne la nécessité de réévaluer à la fois les efforts militaires et les stratégies de sécurité de ses pays. Rappelons que le Sahel est une région en Afrique qui est définie comme une région éco-climatique et biogéographique de la zone de transition entre le Sahara au nord et la savane soudanaise au sud. En disposant d’un climat semi-aride chaud, il s’étend sur les latitudes centre-sud de l’Afrique du Nord, entre l’océan Atlantique et la mer Rouge.
La partie sahélienne de l’Afrique comprend – d’ouest en est – des parties du Sénégal du nord, la partie sud de la Mauritanie, la partie centrale du Mali, la partie nord du Burkina Faso, l’extrême sud de l’Algérie, le sud du Niger, l’extrême nord du Nigéria, le Cameroun et la République centrafricaine, le centre du Tchad, le centre et le sud du Soudan, l’extrême nord du Soudan du Sud, l’Érythrée et l’extrême nord de l’Éthiopie. Cette région densément peuplée est lourde de problèmes ethniques et raciaux, ainsi que du spectre du terrorisme armé.
Les pays du Sahel, comme la plupart des États africains, ont connu ces dernières années une kyrielle de coups d’État militaires, de conflits civils, de famines et de fragmentations, et certains ont même connu l’effondrement de l’État et de ses institutions. Tout d’abord, les experts en imputent la responsabilité à l’ancienne puissance coloniale, la France, qui domine toujours un certain nombre de pays dans cette région, et au nouvel État néocolonial puissant, les États-Unis, qui tentent d’établir ici leurs propres règles.
Le Soudan et le Tchad n’ont pas évité les troubles non plus. Le Soudan a connu une grave famine qui a dévasté sa périphérie ce qui a entraîné la division d’un territoire d’environ un million de kilomètres carrés en une partie nord, où vivent les deux tiers de la population, et une partie sud avec le tiers qui reste. Toutefois, ces circonstances turbulentes n’ont pas empêché les régimes dictatoriaux de maintenir leur pouvoir. L’ancien président soudanais Omar el-Bechir (occupant son poste de 1989 à 2019) et son homologue tchadien Idriss Déby (1990-2021) sont tous deux devenus figures majeures sur le fond de troubles, malgré leurs relations essentiellement hostiles. Il convient de noter que ces deux régimes bénéficiaient du soutien de Washington.
Après la chute du groupe Daesh (interdit en Russie) créé par les États-Unis en Syrie et en Irak, la région du Sahel est devenue l’une des régions les plus dangereuses au monde en termes de son influence croissante. De plus, le Niger en particulier est confronté à une série de défis interdépendants en matière de sécurité. Dans l’ouest du pays, un conflit sévit depuis trois ans entre le groupe « État islamique au Sahel », associé à Daesh, et le groupement « Nusrat al-Islam wal-Muslimin » associé à « Al-Qaïda ». Dans le même temps, sa région de Diwa, au sud-est, est aux prises avec une révolte toute aussi grave. Les menaces émanant du groupe terroriste Boko Haram n’ont pas été écartées (toutes ces organisations sont interdites en Fédération de Russie). Il convient de noter que la CIA est toujours en contact avec certains de ces groupements et négocie sur certaines questions.
Le Niger et ses environs sont un environnement idéal permettant aux réseaux de criminalité transnationale organisée d’étendre leur influence à au moins cinq pays voisins de la région du Sahel. Ces menaces sont particulièrement visibles dans les zones centrales de Tahoua et de Maradi, le long de la frontière sud du Niger avec le Nigeria, où dominent des bandes routières bien organisées. Un scénario similaire s’est développé dans la région d’Agadez riche en or au Niger, ce qui a conduit à l’apparition d’itinéraires de contrebande qui traversent les frontières du pays avec la Libye, l’Algérie et le Tchad. Ces itinéraires ont attiré un nombre important de groupes armés, tant séparatistes que terroristes.
Cependant, malgré ces nombreux problèmes, le Niger a devancé ses voisins ces dernières années dans la lutte contre la violence et les conséquences du conflit. L’affirmation du Conseil militaire, arrivé au pouvoir au Niger à la suite d’un récent coup d’État, selon laquelle il a agi en raison de la « détérioration continue de la situation sécuritaire » dans le pays, n’est pas entièrement convaincante comme principale justification de la prise de pouvoir.
Les années précédentes, 2019 et 2020 sous le régime de l’ancien président nigérien Mahamadou Issoufou, ont été marquées par une dévastation encore plus grande, lorsque le pays avait subi des dégâts importants à la suite d’une série d’attaques menées par Daesh. Le Niger s’en est sorti également mieux que ses voisins, le Mali et le Burkina Faso, pays où le niveau de violence avait été plus élevé qu’au Niger. Selon les statistiques de l’organisation non gouvernementale « Centre africain d’études stratégiques », la violence émanant des groupes terroristes dans la région du Sahel augmente à un rythme plus rapide que dans toute autre région d’Afrique. Après près d’une décennie de conflits divers, la violence s’est intensifiée dans la région du Sahel, notamment au Burkina Faso, au Mali et à l’ouest du Niger. Depuis 2020, elle a augmenté de 140 pour cent et ne manifeste aucun signe d’affaiblissement. Il convient de noter que dans tous ces pays en difficulté, la France, en tant qu’ancienne métropole, dispose d’excellents contacts tant dans le domaine politique qu’économique, ce qui lui permet toujours de largement déterminer leur politique.
La violence contre les civils au Sahel causée par le terrorisme représente 60 pour cent de toutes les violences en Afrique et augmenterait, selon les prévisions, d’au moins 40 pour cent dans les années à venir. Aujourd’hui cela a entraîné le déplacement de plus de 2,5 millions de personnes des pays de la région, les obligeant à se déplacer dans leur propre pays vers des zones plus sûres ou vers des zones ethniquement liées dans les pays voisins, comme cela a été le cas des Touaregs et des Toubous.
Dans le même temps, la mobilité et les capacités avancées de renseignement des groupes armés de la région leur ont permis de pénétrer dans les établissements militaires de trois pays – le Burkina Faso, le Mali et le Niger ce qui a entraîné la mort de centaines de soldats et du personnel de sécurité qui ne disposent que de ressources et d’armes limitées pour les combattre. Le président ivoirien Alassane Ouattara a récemment annoncé une éventuelle intervention militaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) au Niger pour réintégrer le président renversé Mohammed Bazum dans son emploi. Cela a suscité des préoccupations et ce serait différent des interventions précédentes. Ses contours éventuels restent incertains, ce qui soulève des questions sur la perception de cette démarche par la majorité de la population nigériane.
Il est évident que les conflits dans la région du Sahel sont complexes et ne peuvent pas être attribués à un seul facteur. La détérioration de la situation sécuritaire dans la région qui en résulte met en évidence la nécessité de réévaluer et de réajuster les efforts militaires et les stratégies de sécurité adoptées par les pays du Sahel face à l’escalade des menaces. Cela implique de reconnaître que le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont confrontés à la fois à des mouvements insurrectionnels locaux et à des menaces terroristes plus larges. C’est la raison pour laquelle la reconstruction et la restructuration de leurs forces de sécurité revêtent une importance prioritaire pour la stabilisation de l’ensemble de la région du Sahel. Mais pour que cela se produise, des changements significatifs dans les capacités militaires, les doctrines militaires, la composition des forces armées et leur réorientation dans le cadre plus large de la justice et du maintien de l’ordre seront nécessaires. Cela nécessitera de compléter les hostilités par des mesures visant à améliorer les conditions de vie, à garantir la justice et à faire respecter la loi. Cela nécessitera également de renforcer l’engagement et d’établir des relations positives avec les communautés locales, ce qui a largement fait défaut jusqu’à présent, malgré des années d’épreuves et de pertes subies tant par les autorités que par les citoyens de la région.
Bien que l’opinion publique tende aujourd’hui à diminuer la probabilité d’une intervention militaire au Niger, l’instabilité de la situation signifie qu’il est trop tôt pour faire des prévisions définitives. Compte tenu de la lutte indirecte d’influence à laquelle les grandes puissances occidentales continuent de se livrer en Afrique, la situation nécessite avant tout des solutions nationales au profit des peuples africains.
Viktor Mikhin, corresponding member of RANS, exclusively for the online magazine “New Eastern Outlook”