Le processus établi de longue date de retour du Japon (après une défaite écrasante lors de la Seconde Guerre mondiale) à la table du « Grand Jeu mondial » en tant que l’un des principaux participants se manifeste notamment dans la présence de plus en plus visible de Tokyo en Afrique. Pour illustrer ce fait, notons que trois membres du gouvernement du pays, dirigés par le Premier ministre, se sont successivement rendus dans différents pays du continent entre mai et mi-août de cette année, au cours d’une période de trois mois à peine.
De plus, il s’agit bien d’une « présence de plus en plus visible », puisque l’intérêt global du Japon pour les affaires de ce continent a été constaté
bien avant l’actuelle « fièvre africaine » qui a gagné tous les principaux acteurs mondiaux sans exception. Cette tendance de la politique extérieure de Tokyo s’est dessinée presque immédiatement après la constatation du fait que les problèmes dans ses relations avec la Chine qui remontent dans l’histoire (aussi bien récente qu’assez lointaine) pourraient être remis à l’ordre du jour. La Chine, quant à elle, a obtenu un succès particulièrement notable sur le continent africain dans le processus de mise en œuvre de son projet mondial « Une ceinture, une route ».
Dans l’ensemble complexe des problèmes qui accompagnent le développement des relations sino-japonaises, celui qui a déjà reçu la définition de « minéral » dans les médias est devenu récemment très pertinent. Notons que la lutte entre les principales puissances (à telle ou telle époque) pour les sources de divers types de « minéraux » est l’un de ses principaux motifs au moins au cours des deux derniers siècles, c’est-à-dire depuis le début de la « révolution industrielle ».
Aujourd’hui, l’accès garanti aux « minéraux » désignés par le terme « métaux des terres rares » revêt une importance particulière. C’est la Chine qui détient toujours un monopole quasi absolu dans leur fourniture sur les marchés mondiaux. Pékin utilise bien entendu ce facteur en réponse aux différents actes de pression exercée par ses opposants géopolitiques sur ses « plaies douloureuses ».
Les initiateurs (à Washington, Tokyo et Bruxelles) de la stratégie de « réduction des risques » dans les « chaînes d’approvisionnements » internationales qui assurent la fabrication de produits semi-finis dans le domaine des techniques informatiques avancées auraient pu s’attendre à une mesure de rétorsion face à leurs tentatives d’exclure la RPC de ces « chaînes ». Cette mesure de rétorsion qui est une réponse (nous le soulignons encore une fois), a consisté en la restriction imposée par Pékin en juillet sur l’exportation de germanium et de gallium, c’est-à-dire de deux métaux des terres rares, qui constituent la base de la production de semi-conducteurs modernes.
Le Japon a alors découvert que les entreprises impliquées dans ce processus de production ne disposaient que d’un stock de gallium pour six mois. A cet égard, le ministre de l’économie du pays Nishimura a déclaré qu’il ne s’attendait à aucune conséquence immédiate, mais que son département « suivra[it] de près la situation ».
Or, ni lui ni son ministère n’ont le droit d’observer passivement l’épuisement des réserves mentionnées et sont tout simplement obligés de chercher des sources alternatives pour leur reconstitution. C’est de cela (entre autres choses) que Nishimura s’est préoccupé lors de son voyage d’une semaine dans plusieurs pays africains.
Ce voyage a été le troisième parmi ceux mentionnés ci-dessus, alors que le premier avait été effectué par le Premier ministre Kishida en personne entre le 30 avril et le 4 mai. Au cours de cette tournée, il a visité successivement l’Égypte, le Ghana, le Kenya et le Mozambique. Bien entendu, les objectifs de ce voyage ne pouvaient pas se limiter à des « questions terre-à-terre » et incluaient un large éventail d’aspects compris dans le terme élastique de « politique ».
En particulier, les objectifs de cette tournée de Kishida ont été largement déterminés par le facteur de l’escalade de la lutte menée contre la RPC et la Fédération de Russie par « l’Occident généralisé » (où le Japon se positionne désormais comme un élément important) pour l’influence sur ce qu’on appelle le « Sud Mondial » en général et sur sa « composante africaine » en particulier. Lors de ses entretiens avec ses homologues dans les pays visités, le premier ministre japonais a utilisé divers gros mots destinés à présenter les opposants géopolitiques sous une lumière négative. En ce qui concerne la Russie, il a été question d’une « agression non provoquée contre l’Ukraine » et l’invité a vivement appelé ses interlocuteurs à la condamner.
Les commentateurs de l’un des principaux journaux japonais Yomiuri Shimbun, notant « des désaccords apparus sur plusieurs questions internationales clés », soulignent que l’invité a surtout échoué dans ses tentatives de gagner le soutien des hôtes (généralement assez hospitaliers), principalement dans l’évaluation du conflit en Ukraine. Pour la raison évidente que « de nombreux pays africains ont historiquement entretenu des liens étroits avec la Chine et la Russie ».
Mais, comme on dit, un résultat négatif est tout de même un résultat qui mérite autant d’attention qu’un résultat positif. D’autant plus qu’au cours de ce voyage, Kishida a joué dans une certaine mesure le rôle d’un « envoyé spécial » du G7, appelé à sonder les opinions dans cette partie extrêmement importante du « Sud mondial ». Lors du sommet du G7 qui s’est tenu à Hiroshima deux semaines plus tard, le Premier ministre japonais a apparemment exprimé ses impressions sur ces opinions. Le thème général du « Sud mondial » ainsi que celui des « défis émanant de la Chine et de la Russie » se sont retrouvés au centre de l’attention des participants à l’événement d’Hiroshima.
Il convient de noter la rencontre de Kishida avec le Secrétaire général de la Ligue des États arabes al-Gheit, qui s’est tenue le 30 avril au Caire, capitale du premier pays visité au cours de cette tournée. Le fait même de cette rencontre (comme d’ailleurs de celle avec le président égyptien Al-Sisi) montre l’attention croissante que les dirigeants japonais accordent à l’ensemble de la chaîne de pays et de régions qui les relie à Afrique. Alors que la région du Grand Moyen-Orient, composée principalement de pays arabes et formant l’un des maillons de cette chaîne, a une valeur indépendante pour le Japon. Pour des raisons évidentes, qui ont été récemment évoquées dans la NPO à l’occasion de la tournée du même F. Kishida dans les pays du Golfe Persique qui s’est déroulée deux mois et demi plus tard.
Le volet « politique » de l’activation du Japon tant en Afrique que dans un certain nombre de pays qui composent la « chaîne » mentionnée ci-dessus a été poursuivi par le ministre des Affaires étrangères Hayashi, qui, du 27 juillet au 4 août, s’est successivement rendu en Inde, au Sri Lanka, aux Maldives, dans la République d’Afrique du Sud, en Ouganda et en Éthiopie. Et bien que, pour diverses raisons, toutes ces destinations du chef du ministère japonais des Affaires étrangères soient intéressantes, prêtons attention à deux d’entre elles, à savoir l’Inde et l’Afrique du Sud.
Le fait même de l’escale de Hayashi à New Delhi, ainsi que le contenu de ses discours ainsi que de ceux de son homologue indien Jaishankar au Forum bilatéral qui s’y est tenu s’inscrivent pleinement dans l’une des tendances les plus significatives de l’évolution de la situation dans la région indopacifique, due au renforcement des relations globales entre l’Inde et le Japon.
En ce qui concerne l’Afrique du Sud, elle est le pays le plus développé de tous les pays de l’Afrique et le seul d’entre eux qui fait partie du G20, elle est aussi l’un des cinq principaux membres des BRICS. Dans ces deux groupements (et sur la scène politique mondiale en général), l’Afrique du Sud prétend être une représentante du « Sud mondial » en remplaçant progressivement l’Inde dans ce rôle.
C’est l’une des raisons pour lesquelles tous les principaux acteurs mondiaux, y compris le Japon, accordent une attention particulière à l’Afrique du Sud dans la lutte d’influence dans le « Sud mondial ». Par ailleurs, en ce qui concerne la fameuse composante « minérale » de cette lutte, le haut dignitaire japonais avait bien des choses à dire à ses interlocuteurs sud-africains. A son homologue Pandor, aussi bien qu’aux représentants des entreprises du pays.
Et pourtant, nous le répétons, la fourniture de divers types de « minéraux » relève de la responsabilité directe d’un autre membre du gouvernement japonais, à savoir le ministre de l’Économie déjà mentionné, Nishimura. Ce dernier, sans répéter les itinéraires du Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères, a entrepris le 6 août (c’est-à-dire trois jours à peine après le retour du second fonctionnaire mentionné au Japon) une tournée d’une semaine en Afrique visitant la Namibie, l’Angola, la République démocratique du Congo, la Zambie et le Madagascar. Il a signé des accords bilatéraux avec ses homologues dans tous ces pays, leur contenu principal étant l’expansion de la présence d’entreprises japonaises dans le développement des minéraux qui sont très abondants (nous le répétons) dans l’ensemble du continent africain.
Selon la déclaration commune adoptée en Zambie, une attention particulière sera portée à l’extraction du cuivre, du nickel et du cobalt. Les parties sont convenues sur l’utilisation d’un satellite de télédétection japonais pour effectuer une étude détaillée des sources de minéraux déjà découvertes et rechercher de nouvelles sources de minéraux en Zambie.
En ce qui concerne les bases politiques pour le développement de la coopération bilatérale exposées dans ce document, il convient de noter le passage suivant : « Assurer le fonctionnement sûr des chaînes d’approvisionnement pour les minéraux importants, en particulier ceux utilisés dans le secteur énergétique de la période de transition, afin d’éviter une dépendance grave à l’égard d’un certain pays ». Ce passage semble une copie des derniers documents du G7 et de l’UE, qui expliquent ce que signifie le terme de de-risking dans le cadre des relations actuelles avec la Chine.
Toutefois, il ne pouvait en être autrement, puisqu’il s’agit de l’importance croissante de la « composante africaine » dans la politique extérieure du pays, qui, nous le répétons, fait partie intégrante du G7 et développe des relations diversifiées avec l’UE.
Vladimir Terekhov, expert des problèmes de la région Asie-Pacifique, spécialement pour la revue en ligne « New Eastern Outlook »