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L’Irak : où mènera la lutte contre la corruption

Viktor Mikhin, août 21

L’Irak : où mènera la lutte contre la corruption

Depuis sa prise de fonction à la présidence de l’Irak en octobre 2022, Mohammed Shia Al-Sudani a réalisé (au moins il l’a déclaré avec la pompe) une véritable croisade contre la corruption, c’était un point primordial de son agenda national. Malgré cette tentative attendue depuis longtemps à résoudre le problème le plus complexe et le plus épuisant qui corrode littéralement toute la société, le progrès n’est pas impressionnant, pour en dire gentiment. La corruption systémique ne s’affaiblit pas sous le contrôle d’un système sectaire et tribal bien ancré de partage du pouvoir.

Malgré toute sa richesse pétrolière colossale, l’Irak souffre toujours d’inefficacité, de bureaucratie, de kleptocratie endémique et d’un vaste système de patronage. Le vol de fonds publics est plus ou moins devenu un sport national, du système de la fonction publique très politisé à l’industrie de l’électricité en crise, qui a récemment reçu la somme colossale de 13,5 milliards de dollars. La nature enracinée de la corruption, alimentée par divers groupements désireux de maintenir le statu quo, entrave les efforts visant à créer un gouvernement plus responsable devant le peuple irakien.

Les racines de cette crise de corruption remontent aux décisions prises lors de l’agression effrontée des États-Unis « démocratiques » en 2003 et de la « reconstruction » et de la « démocratisation » qui ont suivi sous le contrôle total des fonctionnaires américains. Au cours de cette période, Washington, tout en utilisant les revenus pétroliers irakiens, a mis des fonds non réglementés et incontrôlés vers de nombreux projets, en créant une culture de corruption dans presque tous les échelons du gouvernement irakien, en dégradant les schémas de corruption existants. Au lieu de devenir un guide de changement et de progrès  démocratique tellement nécessaire pour le peuple irakien, le secteur public « dirigé » par Washington est sorti de l’ère de la construction d’après-guerre comme un foyer de corruption alimenté par des dépenses douteuses et un manque de contrôle des dépenses. Un bon exemple était le fait que des prestataires de distribution des fonds publics, des responsables irakiens et du personnel des États-Unis se sont avérés directement impliqués dans la corruption lors de projets de « reconstruction ». Un fait intéressant, ces fonctionnaires américains qui travaillaient en Irak ont ​​ensuite été poursuivis aux États-Unis, non pas pour avoir volé de l’argent irakien et l’avoir mis dans leur propre poche, mais pour ne pas avoir payé d’impôts sur cet argent volé au Trésor américain. Voici la réalité de la démocratie américaine : tu peux voler, mais partage et paye des impôts.

L’inspecteur général spécial des États-Unis pour la reconstruction de l’Irak a calculé qu’au moins 8 milliards de dollars avaient été gaspillés de cette manière, soit environ 13 % du budget total de reconstruction de l’Irak. En conséquence, tout espoir de construire un secteur public fiable, efficace et exempt de corruption a été brisé, laissant les Irakiens ordinaires lutter contre les défauts structurels endémiques exacerbés par un héritage sans fin de corruption.

Le problème devient plus dur, comme le note la presse locale, à cause de l’influence constante de l’Iran, qui utilise un système corrompu de partage du pouvoir pour maintenir son emprise sur les affaires intérieures irakiennes. Cette influence, exercée à travers les milices pro-iraniennes, a assuré la survie de la corruption systémique. Les « Forces de mobilisation populaire » (Hashd al-Shaabi), un ensemble de groupes armés pro-iraniens, sanctionnées par l’État, en sont un excellent exemple. Ils disposent d’un budget annuel de 2 milliards de dollars, dont une partie provient de la masse salariale largement fictive du gouvernement. En particulier, Hashd al-Shaabi est réputé dominer les marchés et contrôler les passages frontaliers illégaux, l’évasion douanière et la traite des êtres humains. Des frontières mal gardées détournent et gaspillent environ 10 milliards de dollars de recettes douanières chaque année.

Dans ces conditions difficiles, la tentative de lutte contre la corruption, comme écrit le grand site web Rudaw, est un problème presque insurmontable pour le gouvernement Al-Sudani. La présence incontrôlée et incontestée de ces forces extérieures dans la structure institutionnelle irakienne ne sert qu’à accroître la résistance à la réforme et à perpétuer le système corrompu de partage du pouvoir qui frappe le pays. Avec ce rythme, il est très peu probable que l’Irak soit en mesure de réduire les frais de plus de 3,5 milliards de dollars qu’il dépense chaque année pour importer du gaz naturel d’Iran afin d’alimenter ses centrales électriques, qui sont encore capables de produire un peu plus de la moitié des besoins totaux en électricité du pays. Si seulement l’Irak pouvait utiliser le potentiel du torchage du gaz pour produire de l’électricité, cela pourrait fournir un volume équivalent à deux fois le montant des importations actuelles de gaz en provenance d’Iran. Malheureusement, bien que cela ait du sens sur le papier, en termes d’éviter les dépenses de gaz importé et la difficulté de trouver des alternatives lorsque les dollars sont difficiles à trouver, il est peu probable que la situation préjudiciable actuelle change compte tenu de l’étendue de l’influence pro-iranienne à Bagdad.

Y a-t-il une chance qu’Al-Sudani réussisse dans ses efforts anti-corruption ? – demande le journal Az-Zaman. Compte tenu de la nature enracinée et généralisée de la corruption, il fait face à une grande tâche. Pour surmonter l’état de désordre actuel, il faudra non seulement des réformes institutionnelles radicales, mais aussi des changements fondamentaux dans la culture de gestion.

Plusieurs mécanismes de corruption complexes et entrelacés, allant des réseaux claniques et tribaux informels aux outils d’envahissement de l’État, sont profondément enracinés dans l’État irakien actuel, conçu et construit selon les modèles américains. «Le travail d’Al-Sudani s’apparente à celui d’un forestier, – écrit Shafaq News, dont la tâche n’est pas seulement de couper les branches mortes ou malades de l’arbre, mais d’enlever chirurgicalement les racines nuisibles qui empêchent l’arbre du gouvernement de prospérer. » Aussi futile que cela puisse paraître, le premier ministre pourrait tenter de promouvoir unilatéralement les changements en restructurant des institutions clés affligées par le fléau de la corruption. Accroître l’autonomie des organes de lutte contre la corruption, selon les experts, serait la première étape cruciale dans ce processus. Son administration pourrait travailler sur  la dépolitisation de ces institutions afin de les isoler de l’influence des partis. Ensemble, ces actions commenceront progressivement à changer la culture dans les couloirs du pouvoir, en cultivant une intolérance croissante à la corruption. Cependant, ce ne serait que la première étape d’un marathon. Un changement plus systémique et plus profond nécessiterait une plus grande participation de la société. Le règne d’Al-Sudani ne sera pas marqué par des victoires rapides, mais par des efforts continus et inlassables pour nettoyer l’État de la corruption généralisée. De plus, la légitimité fragile du gouvernement actuel, arrivé au pouvoir malgré le fait qu’il ait remporté moins de sièges que lors des élections précédentes, jette une ombre sur ses ambitions, car les groupements mêmes qui soutiennent son gouvernement font partie des bénéficiaires d’un système alambiqué de corruption.

Quel rôle jouent les États-Unis dans ce paysage chaotique ? demande le journal As-Sabah al-Jadeed, et répond lui-même. « Les erreurs du passé ont peut-être laissé à Washington un rôle peu enviable et criminel dans l’histoire de la saga de la corruption irakienne, mais il a encore certains leviers stratégiques clés qui continuent de fonctionner malgré le vide d’influence créé après son retrait du pays. »  Et puis le journal explique comment les États-Unis pourraient aider la société irakienne à se débarrasser du système de corruption. Toute « nouvelle » stratégie américaine peut facilement être conçue pour soutenir activement les efforts de lutte contre la corruption et mettre en œuvre les réformes, en grande partie grâce à la capacité de Washington à imposer des sanctions, à prêter de l’argent et à servir de médiateur. Il pourrait accroître cette influence en soutenant des intermédiaires honnêtes dans les institutions gouvernementales de l’Irak, en encourageant ainsi le développement d’« oasis d’honnêteté » qui résistent à la vague de corruption. Ce faisant, les États-Unis soutiendraient ceux qui cherchent à apporter des modifications législatives, à renforcer l’indépendance du système judiciaire et à accroître la transparence institutionnelle.

Washington, comme le dit de nouveau le journal irakien, pourrait continuer à gérer le domaine de l’information, en attirant constamment l’attention sur la corruption. Une forte couverture médiatique du vol, de la culture de favoritisme et des abus systémiques pourrait relancer l’opinion publique irakienne et susciter un plus grand soutien aux candidats orientés vers les reformes lors des futures élections. En outre, les États-Unis pourraient maintenir la pression économique sur les organisations corrompues par l’application raisonnable des sanctions, en garantissant que la corruption devienne une entreprise déficitaire. Dans le même temps, Washington et ses alliés internationaux pourraient intensifier leurs efforts pour confisquer et restituer les richesses irakiennes acquises illégalement et gardées à l’étranger, y compris aux États-Unis. Une plus grande coordination avec les organismes de surveillance mondiaux, selon le journal irakien, pourrait également aider à garantir que l’aide et la coopération bilatérale dépendent de la réalisation d’objectifs anti-corruption clairs.

La constitution d’une société civile forte en Irak pour compléter les efforts d’Al-Sudani pourrait être un autre domaine où les États-Unis pourraient jouer le rôle important. Toutefois, la création de quelques « oasis d’honnêteté » ne sera pas une panacée contre la corruption profonde et systémique à laquelle l’Irak est actuellement confronté, et quelques manœuvres intelligentes du gouvernement d’ Al-Sudani ne suffiront probablement pas. Cependant, la manœuvre peut servir de contre-exemple moral et fonctionnel, preuve qu’il existe une volonté suffisante pour assurer l’honnêteté et l’efficacité des institutions étatiques irakiennes, même dans une mer d’abus.

Mais malheureusement, comme l’a montré la pratique, la seule chose que Washington sache faire est de bombarder et d’occuper d’autres pays qui sont plus faibles militairement, en y créant leurs propres bases militaires. Comme l’a montré le destin de l’Irak, aucune administration américaine ne comprend du tout la mentalité orientale et ne peut rien apporter dans la société irakienne sauf la corruption totale. Et c’est un État qui prétend être le principal maître des destinées du monde. Juste un défi à l’histoire et au bon sens. Il n’est pas étonnant que de plus en plus de pays s’efforcent de soutenir l’idée du président russe V. Poutine et de créer un nouveau monde multipolaire.

 

Viktor Mikhine, membre correspondant de l’Académie russe des sciences naturelles, spécialement pour la revue en ligne « New Eastern Outlook ».

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