27.07.2023 Auteur: Vladimir Terehov

Le Japon : à la recherche d’une stratégie optimale de politique extérieure

Il est bien probable que certains lecteurs (voire la majorité) soient surpris par le titre de cet article. Car les informations accessibles au grand public contribuent à l’opinion selon laquelle « le Japon ne cherche rien sur l’arène internationale ayant remis sa politique extérieure entre les mains habiles du frère aîné en la personne des États-Unis. » A peu près la même “idée générale” concerne le positionnement de l’Allemagne d’aujourd’hui, c’est-à-dire de l’allié du Japon pendant la Seconde Guerre mondiale.

On ne peut pas dire que ces idées n’ont pas de fondements objectifs. Qui plus est, elles correspondent largement à la réalité. Mais le recoupement n’est pas complet. De plus, il y a de plus en plus de signes que le niveau “d’autonomie” dans le positionnement de Tokyo (et de Berlin) sur l’arène internationale ne fera que s’accroître. Surtout au fur et à mesure que le frère aîné diminuera inévitablement le degré de son implication dans les querelles mondiales. C’est, d’ailleurs, très utile pour lui-même.

Après tout, c’est Tokyo qui a (toujours) besoin de la présence du contingent des forces armées américaines (United States Forces Japan, USFJ) sur le territoire du Japon. Et le fait qu’il y a près de 80 ans, il s’est retrouvé ici à une occasion fort triste (pour le Japon) n’a plus aucune importance dans le système actuel des relations bilatérales.

Pendant longtemps encore, les navires d’État des États-Unis et du Japon suivront des parcours parallèles dans l’espace de la politique mondiale. Les deux pays en profitent, mais de plus en plus chacun à sa façon. Et si une démarche de l’un des deux pays correspond actuellement (nous le soulignons) aux intérêts de l’autre, il ne faut pas nécessairement conclure que cette démarche est entreprise sous la pression de l’autre partie.

A cet égard, fin juin, un événement remarquable (bien qu’apparemment secondaire) a eu lieu. Lors d’un événement public de la campagne électorale qui a commencé, le président américain Joseph Biden a commis une nouvelle bévue publique en affirmant que la récente décision du Japon de doubler progressivement (au cours des cinq prochaines années) les dépenses militaires avait été prise justement sous sa “pression”.

Cependant, après une démarche d’un des membres du Cabinet des Ministres actuel du Japon, Joe Biden a corrigé son propos disant que le Japon avait pris sa décision, bien sûr, « tout seul ». Le fait même de cette « correction », de l’avis de l’auteur, reflète l’état réel des affaires dans les relations américano-japonaises. D’autant plus que, sans aucun doute, des entretiens préliminaires sur ce sujet avaient eu lieu (probablement plus d’une fois) entre Joe Biden et le Premier ministre japonais Fumio Kishida.

Mais le fait est que les dirigeants japonais actuels considèrent cette décision comme extrêmement nécessaire. S’ils ont raison ou non, c’est aux Japonais eux-mêmes qu’il appartient de se prononcer là-dessus (dans le sens littéral du terme). Apparemment, dans un avenir proche, ils auront cette occasion.

Quant à Kishida, il utilise des clichés récents pour expliquer les motifs de la politique visant une forte augmentation du potentiel militaire du pays, par exemple : « L’agression russe, qui peut devenir un exemple pour la Chine vis-à-vis de Taiwan ». Ou bien : « La menace chinoise à la liberté de navigation dans les zones maritimes de la région Indo-Pacifique ».

Les mêmes clichés servent à expliquer la tendance la plus remarquable de la politique extérieure japonaise récente, à savoir les tentatives d’établir des contacts étroits dans le domaine de la défense avec un certain nombre de pays européens et l’OTAN dans son ensemble. Ce qui correspond aussi (pour l’instant, nous le soulignons encore) aux intérêts du principal allié japonais, les États-Unis.

A cet égard, de grandes attentes avaient surgi à Tokyo à l’occasion de l’invitation du Japon (avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la République de Corée) au récent sommet de l’OTAN, qui s’est tenu les 11 et 12 juillet à Vilnius. D’ailleurs, l’invitation (pour la deuxième fois) de certains pays de la région Indopacifique à l’événement principal de l’Alliance politique et militaire de l’Atlantique du Nord est une nouvelle confirmation du déplacement général des processus mondiaux vers l’Indopacifique.

Parallèlement à la situation dans la région de la responsabilité directe de cette alliance, cette fois, une attention particulière a été accordée à la situation dans l’Indopacifique en général et aux relations avec la Chine, en particulier. Il est remarquable que dans le vaste Communiqué conjoint (contentant 90 paragraphes) adopté à l’issue du sommet de Vilnius, les “menaces” émanant de Pékin, et les mesures pour y répondre, aient reçu au moins autant d’espace que tout ce qui se passe dans l’Euro-Atlantique.

Le signe extérieur du désir croissant de l’alliance occidentale de mettre fin au conflit en Ukraine et de se concentrer sur les affaires de l’Indopacifique s’est manifesté dans une attitude clairement méprisante envers le président Ukrainien en visite à Vilnius.

En général, cette tendance bien visible dans le positionnement de la plus grande organisation politique et militaire du monde correspond à la volonté susmentionnée du Japon d’élargir la coopération dans le domaine de la défense avec les Européens. Car, répétons-le, Tokyo fait partie d’une alliance formalisée avec Washington depuis plus de 70 ans.

Cependant, en mai dernier, M. Kishida a déclaré que son gouvernement n’avait aucune intention d’adhérer à l’OTAN. Néanmoins, une étape importante vers le renforcement des liens nippo-européens dans le domaine de la défense aurait été l’adoption à Vilnius du projet discuté au cours de ces derniers mois d’ouvrir les bureaux de représentation officielles de l’OTAN à Tokyo et du Japon à Bruxelles.

Cependant, avant même le début du sommet, des informations ont apparu sur “l’attitude réservée de l’Allemagne“ à l’égard de ce projet. Et, en effet, le document conjoint adopté à l’issue des négociations tenues à Vilnius par Kishida avec la direction de l’OTAN et intitulé “Programme de partenariat sur mesure“ pour les trois prochaines années (qui s’apparente plutôt à une “Déclaration d’intentions“), ne contient pas de clause sur l’ouverture des bureaux mentionnés.

L’analyse de ce document a permis à l’un des principaux journaux japonais, le Mainichi Shimbun, de qualifier le niveau des liens du Japon avec l’OTAN comme étant “toujours de nature symbolique“.

A cet égard, il convient de noter que presque simultanément à l’événement de Vilnius, un document spécial du gouvernement allemand consacré aux perspectives des relations avec la Chine, qui est assez contradictoire, a apparu. Autrement dit, parallèlement à l’intention d’adhérer au concept (américain) de la “réduction des risques“ dans les relations commerciales et économiques avec Pékin, l’orientation vers le développement des relations bilatérales dans son ensemble est définitivement confirmée. Et cette deuxième composante de la politique allemande envers la Chine serait en contradiction avec le soutien au processus d’une certaine formalisation des relations entre les Européens et le Japon dans le domaine de la défense.

Notons d’ailleurs que Tokyo ne rompt pas ses divers liens avec Pékin. En particulier, l’attention a été attirée sur les propos prônant l’amélioration les relations sino-japonaises, prononcés fin avril par le nouveau chef de l’Association parlementaire pour l’amitié avec la Chine, Toshihiro Nikai, qui est un personnage haut placé dans la politique japonaise. En 2017, en tant que secrétaire général du Parti libéral-démocratique au pouvoir, il a été envoyé par le Premier ministre de l’époque Shinzo Abe à Pékin pour établir des contacts de travail avec le dirigeant chinois Xi Jinping.

Début juillet, Yohei Kono, un représentant non moins important de la classe politique japonaise (d’ailleurs, c’est le père de l’actuel ministre de la Défense du Japon), a mené des négociations à Pékin avec le numéro deux de la politique extérieure de la RPC, Wang Yi.

Pendant des décennies, Tokyo a accordé une attention particulière aux pays adjacents à la route maritime d’importance cruciale pour le Japon qui le relie à la zone du golfe Persique. Il s’agit des pays d’Asie du Sud-Est, de l’Inde, de l’Iran et d’un groupe de pays arabes. En ce qui concerne l’Inde, Kishida s’y est rendu pour la dernière fois en mars dernier. Il devait se rendre dans trois pays de la zone du golfe Persique (le Royaume d’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis et le Qatar) lors de son prochain voyage de trois jours à l’étranger, du 16 au 19 juillet.

Dans l’ensemble, on peut constater que le Japon est en train de chercher une stratégie pour sa propre politique extérieure optimale. Cette dernière se forme sous l’influence d’un certain nombre de facteurs d’incertitudes déterminées par l’état transitoire de l’ordre mondial.

C’est pour cela qu’il est trop tôt pour dire où les « recherches » mentionnées mèneront l’un des pays qui affirment avec une confiance croissante leur présence significative à la table du « Grand jeu mondial ».

 

Vladimir Terekhov, expert des problèmes de la région Asie-Pacifique, spécialement pour le magazine en ligne « New Eastern Outlook ».

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